Dans la continuité de la présentation en plénière de Charlotte Nordmann, un atelier pour prolonger la discussion et la réflexion sur les liens entre le libéralisme et l’école.
Le néolibéralisme contre l’école ?
Les évolutions actuelles mettent-elles vraiment aux prises deux adversaires, l’école d’un côté et le néolibéralisme de l’autre ? On ne peut pas comprendre grand-chose aux évolutions en cours à l’école si on ne reconnaît pas qu’elles se « composent » avec des traits inhérents à l’école, qu’elles s’appuient sur des principes essentiels à l’institution. Un certain nombre de traits qui définissent le néolibéralisme apparaissent même à l’examen comme des transpositions de principes propres à la logique scolaire. L’école n’a pas attendu le néolibéralisme pour être le lieu principal où les petits d’hommes acquièrent les habitudes, les disciplines, qui leur permettront de supporter sans regimber, et même souvent d’investir et de désirer, les contraintes du salariat – comme la spécialisation dans une tâche donnée, ou encore les relations hiérarchiques. […]
L’école n’a pas non plus attendu le néolibéralisme pour être ce lieu où les individus sont constamment évalués, et classés, hiérarchisés les uns par rapport aux autres, puis séparés les uns des autres sur la base de ces évaluations.
Pour dire les choses à grands traits : il ne nous paraît pas possible de lutter contre la multiplication actuelle, jusqu’à l’absurde, des évaluations sans s’interroger sur la centralité qu’ont toujours eue dans l’institution scolaire l’évaluation, le classement et la hiérarchisation des élèves. Sans une critique de l’évaluation scolaire, qui a pour effet principal de transformer des différences en inégalités, sans une réflexion sur la possibilité d’évaluer autrement, sans essentialiser les individus – un travail mené par exemple par les courants de pédagogie Freinet ou par la Pédagogie institutionnelle, dont La Nouvelle École capitaliste n’a rien à nous dire sinon qu’ils auraient contribué malgré eux à légitimer certaines des réformes en cours, en particulier à travers la valorisation de la notion de compétences –, nous n’aurons rien de concret à opposer à ceux qui voudraient faire de l’école une fabrique de l’adhésion à l’ordre existant. […]
Dès lors, non seulement on reconnaît combien l’école se prêtait à l’investissement par la logique néolibérale, mais on en vient à se demander si le mode de gouvernement néolibéral ne doit pas beaucoup à la logique scolaire : outre l’usage des évaluations individuelles et des classements, l’importance accordée à l’investissement subjectif, à l’intériorisation des règles et des objectifs (magnifiée en « autonomie »), sont des modalités de gouvernement que l’école a développées et perfectionnées en son sein. […]