Le SNU hors l’école
Depuis ses débuts en 2019, le SNU est loin d’avoir fait ses preuves : des stages qui ne font pas le plein, une communication nébuleuse sur l’obligation à venir du SNU, des accidents, des jeunes transporté·es aux urgences, du harcèlement sexuel, des agressions que les paroles autosatisfaites du gouvernement ne parviennent pas à masquer. Un condensé de l’esprit de caserne et d’un encadrement autoritaire et disciplinaire ! Sans compter le problème que pose un Service national universel en terme d’embrigadement et de militarisation de la jeunesse. Une démarche inédite, du moins depuis le régime de Vichy et ses Chantiers de la jeunesse française fondés en 1940 et dont l’un des objectifs était d’inculquer à la jeunesse les valeurs de la Révolution nationale prônée par le régime du Maréchal Pétain.
Dans son programme de 2017, c’est bien dans la rubrique “Défense” et non “Éducation” que le candidat Macron avait fait figurer cette mise en place du SNU (par ailleurs baptisé “Service militaire universel” – lapsus ? – dans son discours du 18 mars 2017 à l’hôtel des Arts et des Métiers de Paris)… un programme bel et bien militaire donc, même si il est financé exclusivement sur le fond du ministère de l’EN.
La vaine défense du SNU
Depuis maintenant plusieurs mois, Sarah El-Haïry, la secrétaire d’État auprès du Ministère des Armées chargée de la Jeunesse et du Service national universel, a multiplié les prises de parole dans les médias, vantant le caractère prétendument émancipateur du SNU et ses prétendues vertus en terme de mixité sociale, d’apprentissage de la solidarité et de lutte contre les discriminations. Ce discours tourne à vide évidemment, Sarah El-Haïry nous parle en fait des missions qui devraient constituer le cœur de l’institution scolaire en tant que service public d’éducation nationale et ne peuvent certainement pas être assurées par une institution militaire reposant sur des valeurs autoritaires et disciplinaires.
Pour redorer le blason du SNU, une « Tournée expérience SNU » est organisée entre mars et juin 2023… pendant un mouvement d’opposition historique contre la réforme des retraites. Il n’en fallait pas moins pour que la dénonciation du SNU soit sur le devant de la scène et que ce SNU Tour soit mis en échec par ses opposant·es : campements déserts, parfois même repliés en quelques heures, visite de 15 minutes à peine pour la secrétaire d’État Sarah El-Haïry au « camp » de Versailles, etc.
Depuis 2019, le SNU peine donc à convaincre et à recruter… sauf dans les milieux où règne l’esprit militaro-policier (1). Les rumeurs sur son futur caractère obligatoire sont régulières, et régulièrement démenties par les représentant·es du gouvernement. Tout récemment encore où, devant la jeunesse qui commençait à se mobiliser dans le cadre du mouvement social contre la réforme des retraites et dénonçant la crise démocratique, le gouvernement a décidé de “remettre à plus tard” le projet… Un échec pour Emmanuel Macron qui avait fait du Service unique universel un de ses chevaux de bataille.
Le SNU, illustration de l’autoritarisme gouvernemental
Mais, qu’à cela ne tienne, répressions, menaces, sanctions, 49.3 : le gouvernement sait comment passer par la force.
Et de fait, aujourd’hui, nous apprenons via Politis que c’est par le lycée et par des classes à projet que le gouvernement veut passer à présent pour diffuser le SNU : une carotte pour les personnels qui seraient « récompensés par le Pacte », une carotte pour les jeunes qui seraient valorisé·es dans ParcourSup, une large porte ouverte à l’armée dans les établissements scolaires. Mais aussi un vieux relent de nationalisme rance puisque le SNU est réservé aux jeunes français ! (que feront les autres pendant ces 2 semaines?)
Et le droit d’objecter au SNU ? La loi de 1983 est-elle abrogée ? Non.
Si comme nous le sentons bien, l’idée d’un service national universel avec des valeurs militarisées voulu par la macronie venait à se généraliser, ne serions-nous pas en droit de revendiquer une “objection de conscience” toujours écrite dans la loi Joxe de 1983 ? Une objection de conscience à défiler en uniforme, à s’entraîner aux arts martiaux ou à chanter l’hymne national devant le lever du drapeau. Une objection à se voir imposer 12 jours de conditionnement du corps et de l’esprit. D’ailleurs, pourquoi 12 jours ? Un concentré des 12 mois du service militaire ? Objecter une militarisation de l’école. La question est posée et elle devra se poser car le SNU relève d’une idéologie patriotique, d’un “reconditionnement” de la jeunesse du pays. Faisant fi des projets collectifs et coopératifs du vivre ensemble. Ils ont choisi la voie la plus radicale. Qui pourrait objecter alors ? L’enseignant·e en refusant la carotte du pacte. L’élève ? Le pourra-t-il/elle ? Mais alors la question de l’imposition de “normes” qui défie la libre pensée à l’école doit au final être objectée.
C’est à présent devenu habituel : n’ayant pas convaincu sur le fond, le gouvernement Macron passe en force en exerçant ici une forme de chantage scandaleuse.
Pendant ce temps-là, l’école peine trop souvent à assurer ses missions d’émancipation collective et individuelle et de lutte contre les discriminations, reposant sur l’accès aux savoirs pour toutes et tous, l’apprentissage de l’esprit critique et de l’autonomie de pensée, faute de moyens. Le SNU coûte extrêmement cher : 2 milliards par an, selon un rapport de 2023 (2). L’école a quant à elle besoin de ces moyens pour réduire le nombre d’élèves par classe, former régulièrement ses enseignant·es, les rémunérer à la hauteur de leurs missions, pour équiper les écoles au maximum, etc.
On l’a vu avec les différents budgets passés sous le gouvernement Macron : entre la police, l’armée et l’éducation, la priorité n’est certainement pas donnée à cette dernière.
Le collectif Questions de classe(s)
(1) Selon le rapport parlementaire Déploiement du Service national universel sur l’ensemble du territoire français en 2021, Enseignements de l’évaluation des séjours de cohésion INJEP NOTES & RAPPORTS janvier 2022, « on observe une surreprésentation des enfants de « corps en uniformes » parmi les participants avec 37 % des jeunes ayant un parent qui travaille ou a travaillé dans l’armée, la police, la gendarmerie ou chez les pompiers. Une proportion très élevée quand on sait que les personnes travaillant pour l’armée représentent environ 1 % des personnes en emploi à l’échelle nationale (Source : RP-INSEE). »
(2) Le rapport des inspections générales remis au Premier ministre au printemps 2018, qui chiffrait le coût par an du SNU généralisé à l’ensemble d’une classe de 2,4 à 3,1 milliards d’euros par an, semble proche du coût réel qu’aura le SNU par an. Ce coût ne prend pas en compte les investissements requis pour disposer d’un nombre suffisants de centres d’hébergement