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A Béziers, Robert Ménard réécrit l’histoire

« Que vous cessiez de “torturer” la mémoire de Jean Moulin et que vous laissiez ses mânes reposer définitivement en paix » : dans un courrier adressé à Robert Ménard, 29 enseignants d’histoire-géographie de Béziers dénoncent l’instrumentalisation à laquelle se livre le maire autour de la mémoire de Jean Moulin, ajoutant : « Hélas, l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à des fins strictement polémiques confinent désormais à une orientation idéologique telle qu’il nous a paru relever de notre devoir de citoyens d’exprimer publiquement notre désaccord. Précisément parce que nous sommes des professeurs profondément attachés à la rigueur de la démarche historique. »

A Béziers, dont il est originaire, Jean Moulin sert à tout, à condition de savoir s’en servir. Même à remporter les élections comme Ménard l’avait fait comprendre lors des dernières régionales, dans un appel tweeté à ses électeurs : « Dimanche, au nom de Jean Moulin, au nom de la République, nous ferons barrage à la gauche. » Une polémique qui n’a pas manqué de rebondir avec l’opération immobilière réalisée par la ville autour de la maison natale de Jean Moulin et qui permet à Ménard, dans son organe de propagande favori – « le Journal de Béziers », bulletin municipal – de récupérer à son profit l’image de la Résistance : « Jean Moulin est avant tout français, un grand Français »… sans doute plus qu’un résistant. Il faut dire qu’en matière de mémoire historique, le maire de Béziers s’est fait une spécialité de l’arranger à sa manière : entre la « réhabilitation de l’OAS » dénoncée par ces mêmes enseignants et la promotion des racines chrétiennes de la France, Ménard développe tous les travers du roman national dans sa version la plus éculée : celle d’un peuple mythique paré de toutes les vertus, sans cesse menacé par les barbares. Avec « le Journal de Béziers », cette école historique a trouvé son instrument de diffusion, dans un impensable mélange de propagande grossière, d’amalgames en tout genre et d’infantilisation dont le numéro de novembre 2015 sur la commémoration – appelée ici « célébration » – du centenaire de la Première Guerre mondiale donne un bon aperçu.

La mort de millions de soldats se réduit à cette explication toute simple : « (…) ils avaient en eux l’idée de patrie, l’amour de la France, de ses clochers et de ses champs, l’idée de nation soudée à l’âme. La France était une famille, son histoire une biographie. » Symbole de cette époque bénie où le sabre et le goupillon pouvaient encore compter sur l’école pour édifier les enfants, le soldat « sait d’où il vient. Il a une certaine idée de la France sa grande patrie, idée forgée par l’école publique, alors totalement patriote. Il est obéissant, il est encore souvent croyant. » Cette reconstruction du passé permet alors au maire d’aboutir là où il a choisi d’amener son public – et ses électeurs – lors de la commémoration du 11 novembre 2015 : « Ceux qui sont morts pour sauver la France de la victoire allemande, que diraient-ils en voyant certaines rues de nos communes où le Français doit baisser la tête ? » Pour Ménard, la chose est entendue : c’est comme outil de stigmatisation de toute une partie de la population que l’histoire doit faire sens et l’on comprend bien sa réaction outragée devant l’interpellation dont il a fait l’objet de la part des enseignants : « Je m’inquiète sur la façon dont est enseignée l’histoire à nos enfants. Je connais une dizaine d’historiens, plus légitimes que ceux-là, qui ont une tout autre vision de l’Histoire. »

Reste que si l’initiative des enseignants biterrois est judicieuse et réconfortante en ce triste temps d’inféodation à la pensée identitaire, l’instrumentalisation de l’histoire qu’elle dénonce dépasse très largement la petite personne du maire de Béziers, s’épanouissant quasiment à l’identique sur un large échiquier politique, notamment lorsqu’il est question de son enseignement à l’école où l’injonction récurrente d’un hypothétique « devoir de mémoire », le recentrage des programmes officiels sur le fait national ou la récente promotion du patriotisme dans le cursus des élèves, aboutissent à des compromissions idéologiques mortifères. Après tout, lorsque Valls, avec des accents à la Déroulède, commémore le centenaire de la bataille de la Marne, il se place dans une logique de manipulation du passé guère différente de celle que Ménard met à l’œuvre à Béziers.

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