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Les dispositifs ULIS : abolir mais s’inspirer


Qu’est-ce qu’un dispositif ULIS ?

On parle souvent de classe ULIS mais ce n’en est pas une. Une Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire est un dispositif à l’extérieur des classes. Il est composé d’unE enseignantE à temps plein censée être spécialiséE et d’unE AESH collective minimum avec un temps de travail variable selon les dispositifs. Il y a des dispositifs ULIS de l’école primaire jusqu’au lycée, même si leur nombre se réduit en avançant dans la scolarité et qu’il existe très peu de dispositif ULIS en lycée général et technologique.Les dispositifs ULIS sont censés accueillir des élèves en situation de handicap quand il est estimé que leur présence en classe ordinaire n’est pas possible. Pour être accompagné par un dispositif ULIS, il faut avoir une notification de la MDPH. UnE enseignantE coordonnateur ULIS est censéE proposer un emploi du temps sur-mesure à chaque élève qui y est affecté.

Je suis professeure des écoles et je coordonne un dispositif ULIS en lycée professionnel. J’accompagne 10 élèves inscrits dans différentes filières présentes qui vont du CAP au Bac professionnel. Les élèves que j’accompagne sont toustes handicapéEs et n’ont pas forcément le même âge (jusqu’à 5 ans d’écart). Iels ont souvent subi leur orientation, comme l’immense majorité des élèves en lycée professionnel.

J’essaie de construire avec les élèves leurs emplois du temps, en fonction de leurs envies, de leurs capacités mais aussi de leur passé scolaire : certainEs élèves ont un lourd passif dans des domaines disciplinaires où iels ont perdu toute confiance en elleux. Iels préfèrent alors travailler ces domaines en ULIS avec moi. Cette année, les temps de scolarité pour les élèves que j’accompagne varie de 20h (8h en ULIS et 12h en classe ordinaire) à 32h (4h en ULIS et 28h en classe ordinaire).

Lorsque les élèves sont dans leurs classes, iels peuvent être accompagnéEs d’une AESH, de moi-même (on parle de cointervention avec unE collègue) ou seulEs et essaient de suivre les apprentissages avec leurs enseignantEs et leurs camarades de classe. Lorsque les élève viennent en ULIS, iels peuvent reprendre des notions mal comprises en classe, être accompagnéEs dans leurs devoirs & révisions, consolider les savoirs dits fondamentaux, développer des projets personnels (recherches culturelles, préparation d’exposés, d’expositions, de films, etc) ou travailler sur leur projet professionnel (recherches de stages, bilan des ateliers au lycée, recherches sur l’orientation,…).

Je m’épanouis professionnellement en ULIS depuis 15 ans. J’y exerce mon métier d’enseignant avec une liberté pédagogique importante. J’essaie de m’adapter aux particularités et aux personnalités de chaque élève, d’accorder le plus de temps possible aux parents et aux éventuelLEs partenaires (éducateurices, soignantEs, parents, proches, etc). Je m’appuie sur les centres d’intérêt des élèves pour proposer des projets individuels et collectifs qui valoriseront leurs compétences au sein du lycée. Je me régale dans ma pratique professionnelle quand l’institution me donne les moyens et les conditions de fonctionner. Et pourtant, je constate que regrouper des élèves, toustes handicapéEs dans le même espace parce que la classe ordinaire ne leur serait pas accessible est un problème.


Pourquoi c’est un problème ?

« Les élèves bénéficiant de l’Ulis sont des élèves à part entière de l’établissement scolaire, leur classe de référence est la classe ou la division correspondant approximativement à leur classe d’âge,  conformément à leur projet personnalisé de scolarisation (PPS). Ils bénéficient de temps de regroupement autant que de besoin. »1

Malgré des textes officiels plutôt clairs sur la condition des élèves affectéEs en ULIS, les élèves que j’accompagne en ULIS depuis 15 ans (5 ans en école élémentaire et depuis 10 en lycée professionnel) n’ont jamais été vraiment « des élèves à part entière de l’établissement scolaire » et leur classe de référence n’est jamais «  la classe ou la division correspondant approximativement à leur classe d’âge » parce que ces enfants restent des « ULIS » avant d’être des élèves de leur classe d’âge. C’est le cas pour tous les dispositifs ou les classes spécifiques. Quand les élèves les intègrent iels sont étiquetéEs et stigmatiséEs :« les petits d’ULIS » (même quand iels ont 18 ans et font 1,90 mètres), « la classe des migrants », « les SEGPA », « cassos », « teubé », « mongols », « neuneu », « migrants »… Les termes prononcés sont différents selon qu’ils sont prononcés par des élèves ou des personnels mais la stigmatisation est partagée par toute la communauté scolaire.

Je passe de nombreuses heures chaque année pour informer sur le handicap et les discriminations associées : le harcèlement entre élèves, le déni des besoins et des aménagements en classe ou en entreprise. Mais ces temps ne peuvent rien changer à la réalité des élèves handicapéEs affectéEs en ULIS. Iels ne sont jamais des élèves à part entière dans leurs classes.

D’abord parce que leur présence en classe est toujours en sursis : l’absence d’unE AESH, l’incompréhension d’une situation d’apprentissage ou la moindre difficulté peut remettre en question la présence de cet élève en classe. Combien de fois m’a-t-on dit que sa présence en classe n’avait aucun sens car unE élève ne comprenait rien ou s’endormait sur sa table ? La majorité des élèves présentEs en classe n’avaient rien compris et étaient effondréEs sur leur table mais il n’était question que de sortir de classe l’élève affectéE en ULIS.

Ensuite parce que les dispositifs finissent par ostraciser les pédagogies d’adaptation et/ou alternatives. Si il existe un espace spécifique bien identifié où on peut mettre en place des pédagogies de projets, où on explicite les apprentissages pour comprendre comment s’en servir, où on prend en compte les intérêts des élèves mais aussi leurs limitations, leurs fatigues, leurs affects et que cet espace spécifique n’est pas une classe ordinaire, alors on induit que les classes ordinaires ne peuvent être que le lieu de la pédagogie traditionnelle. On y propose des situations d’apprentissage où il faut « suivre le rythme » et « avoir le niveau ». Il n’y sera pas proposé d’adaptations ou trop peu. Si il y a des espaces de pédagogie spécialisée (les ULIS) alors on peut maintenir en classe une pédagogie traditionnelle portée par des attentes institutionnelles (les programmes) et sociales (suivre le rythme). Cela se fait au détriment de la majorité des élèves, pas seulement celleux affectéEs en ULIS, car les rythmes et les besoins des élèves dans leur diversité ne peuvent être respectés dans ces conditions.

Les dispositifs ULIS sont une des nombreuses modalités de prise en compte des besoins hors classe. L’Éducation Nationale a pris l’habitude d’externaliser la gestion des difficultés scolaires à l’extérieur des classe. UnE élève handicapéE qui n’arrive pas à suivre le rythme doit aller en ULIS avec ses pairEs handicapéEs. UnE élève en difficulté scolaire doit aller en SEGPA avec ses pairEs cancres. UnE élève qui ne parle pas le français doit aller en UP2A avec ses pairEs étrangerEs, etc. Cette séparation de certainEs élèves du reste de leur classe renvoie l’idée que les difficultés ne pourraient se régler en classe et que l’école d’aujourd’hui devrait se construire en triant des enfants.

Cela m’amène à proposer une piste de réflexion qui semble au départ contradictoire : les dispositifs spécifiques comme les ULIS, et je crois qu’il en serait de même avec les SEGPA notamment, sont un problème mais aussi une solution. Je m’explique.

1https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo31/MENE1504950C.htm


Pourquoi c’est aussi une solution ?

Tant qu’il y aurait des espaces spécifiques pour accueillir des enfants handicapéEs, que ce soient des ULIS ou des IME, il faudra parler de ségrégation de ces enfants. Une seule place de libre dans une structure médico-sociale ou dans une ULIS et unE enfant handicapéE peut voir sa place en classe ordinaire remise en question. Il faut donc abolir tout espace spécifique réservé à unE enfant sous prétexte qu’iel est handicapéE, en difficulté scolaire, étrangerE, issu des commautés de voyageurs et voyageuses, etc.

Mais avant de dissoudre ces espaces problématique, il sera indispensable d’en siphonner les moyens, les fonctionnements, les pédagogies et tout ce qui y est produit pour que les classes deviennent universellement accessibles. Il n’y aura plus besoin d’ULIS quand les classes ordinaires pourront et sauront fonctionner comme ces dispositifs :

– effectifs de classe réduits car il est impossible d’enseigner correctement à plus de 15 élèves.

– deux adultes par classe minimum avec unE enseignantE et unE AESH collective par classe, à quoi s’ajoutent des aides humaines individuelLEs si nécessaire.

– un espace de classe pensé pour que puissent se côtoyer des élèves de niveau, d’âge et de besoins différents (espace de travail collectif, espace individuel, coin lecture, coin numérique, espace de repli).

– la prise en compte des rythme des élèves et non des rythmes du programme. Une des deux a besoin qu’on prenne soin d’elle, pas l’autre. Les emplois du temps aménagés doivent pouvoir bénéficier à tout élève qui en a besoin, comme les adaptations pédagogiques. UnE enfant doit pouvoir être entendu quand il dit être trop fatigué pour travailler.

– un suivi individualisé de chacunE quand à la construction de ses envies et projets (projet professionnel mais aussi envies futures, réalisation de projets personnels ou artistiques).

Le plaisir que je prend à enseigner en ULIS en essayant de répondre aux besoins des élèves que j’accompagne et le fait qu’iels arrivent ainsi à tirer un peu profit de leur scolarité ne contrebalance pas la ségrégation et la stigmatisation que ces élèves subissent. Mais si l’enseignement spécialisé devenait une boussole sur le plan pédagogique et politique, peut-être pourrions-nous trouver, pour les élèves comme pour les personnels, un rapport désirable aux savoirs et à l’école ?

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