Le collectif Q2C s’est engagé dans une réflexion sur la pédagogie antifasciste. Après deux premières contributions, nous lançons une série d’entretiens sur cette question pour donner une dimension véritablement collective à ce chantier.
1er épisode
2ème épisode
Aux sources de la pédagogie antifasciste
1er entretien
C’est quoi pour toi une pédagogie antifasciste ? (Mariane)
Entretien irène pereira
– Que t’évoque l’idée d’éducation ou de pédagogie antifasciste ? Quelle définition pourrais-tu en donner ?
irène – L’expression « pédagogie antifasciste » renvoie a priori à l’idée de lutter contre le fascisme. L’actualité de ce terme est discutée par certains auteurs et autrices et acceptée par d’autres. Le sociologue Ugo Palheta parle de néo-fascisme en continuité avec les fascismes historiques.
Pour ma part, j’ai été choquée que des intellectuels et des personnalités politiques affirment que la notion d’extrême-droite n’a plus de sens, que l’extrême-droite renverrait à une réalité historique liée à la 2e guerre mondiale et qui n’a plus d’actualité si ce n’est dans des groupuscules.
Il me semble que ce qui caractérise l’extrême-droite (aujourd’hui comme par le passé), c’est de porter un projet discriminatoire. Ce projet discriminatoire peut toucher les immigrés extra-européens, les juifs, les rroms, les personnes trans, les homosexuels, les femmes ou d’autres groupes encore. Tout dépend du courant d’extrême-droite auquel on a affaire.
De ce fait, on pourrait dire qu’une pédagogie antifasciste, c’est une pédagogie qui s’oppose à tout projet politique dont l’objectif est d’instaurer un régime politique discriminatoire à l’égard d’une ou plusieurs catégories de population.
– En quoi cette pédagogie antifasciste te semble-t-elle, ou pas, pertinente et d’actualité ?
irène – La question de la lutte contre l’extrême-droite me semble extrêmement urgente et importante dans la mesure où nous voyons en Europe et dans les Amériques des gouvernements d’extrême-droite arriver au pouvoir et des partis recueillir de plus en plus de votes. On ne compte plus les déclarations inquiétantes. On peut prendre celle par exemple de Javiei Milei le 25 janvier 2025 à Davos : « Le féminisme, la diversité, l’inclusion, l’égalité, l’immigration, l’avortement, l’environnementalisme, l’idéologie du genre, entre autres, sont autant de têtes d’une même créature dont le but est de justifier l’avancée de l’État par l’appropriation et la déformation de nobles causes. »1 Des droits ont été conquis par des luttes sociales et ont été considérés comme des avancées sociales et humaines. Et aujourd’hui, ces leaders d’extrême-droite produisent un autre narratif qui déconsidère les luttes contre les discriminations et les droits qui garantissent l’égale-dignité de tous et toutes.
– Penses-tu que la question de nos pratiques pédagogiques, dans ou hors de l’institution, a un rôle à jouer dans la lutte contre les extrêmes droites ? Quelles pratiques concrètes seraient par exemple à explorer ? Quelles autres seraient à rejeter ?
irène – Il me semble que l’extrême-droite développe une pédagogie publique mythifiante. Il est donc important de la remettre en question. Cette pédagogie publique mythifiante repose sur plusieurs principes. Je vais en énoncer deux :
– l’inversion des opprimé.es et de l’oppresseur : on peut prendre des exemples. L’extrême-droite masculiniste affirme que les hommes sont opprimés par les féministes et les femmes. L’extrême-droite raciste affirme que les Européens sont colonisés par les immigrés extra-européens.
– Le recours à la pseudo-évidence : l’extrême-droite prétend s’appuyer sur l’évidence. Il suffirait de regarder autour de soi, dans certains quartiers, pour constater par exemple ce mouvement de colonisation. De même, distinguer un homme d’une femme relèverait de l’évidence.
Ce qui est problématique, c’est que ces affirmations sont rendues possibles par un manque de formation aux sciences, et aux sciences sociales en particulier. Il est donc important de mettre en lumière la différence entre une affirmation qui est produite à partir d’une méthodologie scientifique et une affirmation qui est une simple opinion.
Le problème, c’est que les débats télévisés ne permettent pas d’aider les élèves et les citoyens en général à distinguer ces deux éléments. Les plateaux de débats télévisés mettent sur le même plan toutes les affirmations.
Or les affirmations de la recherche scientifique en sciences sociales ne reposent pas sur des évidences apparentes, mais sur des observations rigoureuses, sur de la comptabilisation. C’est là toute la difficulté. C’est qu’il est plus facile de s’appuyer sur des pseudo-évidences pour convaincre et plus difficile d’expliquer des raisonnements et des méthodes scientifiques complexes.
Ainsi, les discours féministes s’appuient sur des statistiques qui ont été établies à partir de plusieurs études et non pas sur des simples opinions.
Il arrive également que l’extrême-droite fasse des usages abusifs de statistiques qui ne correspondent pas aux normes scientifiques2.
Il me semble donc qu’il est important de former les élèves à la distinction entre les sciences sociales (qui s’appuient sur des enquêtes empiriques avec des méthodes d’enquête) et de simples opinions.
Souvent les débats autour du « wokisme » font abstraction du fait que les discours dits « woke » s’appuient sur des études scientifiques empiriques concernant les discriminations.
1 Le texte complet de son discours à Davos est disponible sur le site internet : Le Grand Continent – https://legrandcontinent.eu/fr/2025/01/25/milei-a-davos-le-discours-integral-2/
2 On peut penser au cas de chiffres avancés sur le coût de l’immigration : https://factuel.afp.com/doc.afp.com.34NN2GT