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2014 : Entrer dans un autre paradigme

Si on voulait collationner tous les textes, articles, livres critiquant l’école, parus jusqu’à la fin de cette année 2013, il est probable qu’un seul ordinateur n’y suffirait pas. Rien que parcourir ce qui a été publié sur questionsdeclasses, en à peine un an, prendrait des jours.

Il y a bien un consensus : on voudrait une autre école ! Avec plus de ceci, moins de cela. En général avec un peu plus de plaisir, de bonheur. Apprendre autrement. Les pédagogies s’y consacrent… depuis des décennies… sans que l’école change.

Très bien.

Mais quelle autre école ? En dehors de Illich qui avait réglé le problème (« Une société sans école » !), il est bien plus difficile de trouver des propositions concrètes autres que l’amélioration de l’existant. Ses murs restent, l’architecture du système reste, les positions de chacun dans cette architecture restent, sa place dans l’espace-temps des enfants et adolescents reste, sa finalité reste, elle, incertaine. Poser par exemple la question d’une école sans horaires, sans programme, sans évaluation, sans diplômes relève de l’incongruité la plus absolue (bleu][voir le billet de une[/bleu]). Cela reflète au moins que l’école est bien la clef de voûte de la cathédrale sociale et qu’y toucher risque de la faire écrouler.

Cela reflète aussi l’hétéronomie dans laquelle nous sommes enfermés, incapables justement d’imaginer une autre école, le « autre » signifiant qu’elle n’aurait plus rien à voir avec celle que l’on pense indispensable. D’ailleurs, en quoi est-elle indispensable ? Lorsqu’un ingénieur a des doutes sur l’utilité d’une pièce, il l’enlève au moins en imagination. Ce que les scientifiques appellent faire « une expérience de pensée », c’est ainsi que s’est élaborée la physique quantique. En ce qui concerne l’école, l’expérience de pensée semble totalement impossible.

Nous pourrons nous faire plaisir encore longtemps en critiquant l’existant, nous épuiser encore longtemps en luttes perpétuelles, dépenser une énergie folle en tentant d’améliorer l’« entre les murs ». Bien sûr qu’il faut le faire, échanger pour se sentir moins seuls, un peu plus forts. Mais cela reste stérile s’il n’y a pas la perspective de ce qu’on voudrait, si cette perspective n’est pas matérialisée dans des propositions construites et cohérentes radicalement différentes.

Radicalement différente. Une autre école, si elle est autre, n’aura plus rien à voir avec celle que l’on fustige. Il faudra nécessairement rentrer dans un autre paradigme comme toute révolution doit le faire si elle ne veut pas être qu’une simple amélioration provisoire et volatile d’un état social. Dans cet autre paradigme, toutes les positions, fonctions, relations seront nécessairement bouleversées. Si on fait l’impasse de cela, une autre école ne verra jamais le jour.

Alors, puisqu’il est de tradition de faire des vœux, je fais celui-ci pour 2014 : Que questionsdeclasses devienne, à côté de celui des luttes, à côté de celui des pédagogies pouvant être mises en place dans des murs inchangés, le lieu des « expériences de pensée » pour élaborer ce que devra être « une autre école ».

Bernard Collot
fond lavande][http://education3.canalblog.com[/fond lavande]

10 Comments

  1. Paul

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Bernard, tu nous mets du pain sur la planche pour 2014. Faudra quand même attendre que les brumes du réveillon se dissipent !
    As-tu toi-même une “expérience de pensée” à nous mettre sous la dent ?

    • Bernard Collot

      2014 : Entrer dans un autre paradigme
      Je l’ai fait dans le tome 2 des chroniques d’une école du 3ème type, “école et société” (sera publié par l’Instant Présent en 2014 mais disponible depuis longtemps en version bêta autoéditée sur rouge][TheBookEdition.com[/rouge] )
      Une école publique autrement publique qui ne soit plus une école d’Etat, rien que cela retourne la tête ! Mais comme le dit Jean-Pierre plus loin, je ne suis pas un théoricien en chambre, ce qui explique aussi qu’il ne m’est pas facile d’exprimer en un texte d’où cela découle. Mais un “autre paradigme” serait aussi que d’autres praticiens osent, sur Q2C et ailleurs, proposer, imaginer, et troublent les hiérarchies intellectuelles ! Emparez-vous de Q2C !

  2. Anonyme

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Aux acteurs millimétriques du quotidien, aux artisans de Sisyphe de faire ce lien entre leurs expériences épuisantes-mais-pas-que et ces “expériences de pensée” ; elles ne seront légitimes qu’à cette condition : car nous n’avons pas besoin de constructeurs de système, de théoriciens en chambre ni de références idéologiques tellement vastes et éloignées qu’on s’y perd, mais de partir de ce que nous connaissons (sans nous y perdre non plus !)

  3. Bernard Collot

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Jean Agnès (de Q2C) a fait la remarque suivante hors commentaires :

    [fond lavande]D’un point de vue historique et scientitifique, je ne comprends pas la phrase : « En dehors de Illich qui avait réglé le problème (« Une société sans école » !) »

    Dès la parution en France de l’ouvrage, on avait remarqué que le titre provocateur de l’éditeur ne traduisait pas le titre original – Deschooling society.

    Je me souviens du ramdam terrorisé que le titre, compris comme slogan, avait provoqué à l’époque (1971) chez nos collègues anti-pédagogues tenants de l’ordre établi (et du syndicat dominant), et qui nous menaient la vie dure.

    [fond lavande]Bien entendu, c’est un peu plus compliqué que cela ! Il faut avoir lu, et Illich (« qui n’avait sûrement pas réglé le problème ! ») pas plus que Everett Reimer, ne présentent de conclusions simplistes. Mais il s’agit en effet d’une critique en règle du scolarisme (http://www.phileduc.eu/scolarisme-a…)[/fond lavande]

    [fond lavande]Il faut donc un peu d’herméneutique, car c’est une pensée difficile, et en maints domaines, précursive de ce qui se passe aujourd’hui. Notons aussi qu’il y a une autre récupération d’Illich : par les universitaires qui ont pris, par académisme, « un petit bout de sa pensée »[/fond lavande][/fond lavande]

    Ma réponse

    On peut régler intellectuellement le problème de l’école en reprenant le titre de Illich, une société sans école : puisque l’école empoisonne la société, on supprime le poison ! Ce qui n’empêche de se poser la question en quoi et pourquoi on a encore besoin de quelque chose qu’on appellerait encore école et qu’est-ce que devrait être ce quelque chose ? C’est dit en termes simples, mais cela peut-il être dit autrement ?

    C’est tout et ça ne va pas plus loin dans ce que cela voulait dire !

    Ceci dit j’ai lu Illich ! Je peux même dire que, sur le terrain, je l’ai un peu approché cette société sans école… mais avec une école !

  4. Jean Agnès

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Bravo pour cette pro-position!

    « La perspective de ce qu’on voudrait « « matérialisée dans des propositions construites et cohérentes radicalement différentes » « une ligne d’horizon vraiment autre ».

    [bleu]Il y a là une voie tout à fait [mauve fonce]inédite[/bleu][/mauve fonce].

    Il y a d’ailleurs de quoi faire, et ç’aurait été l’honneur des “penseurs de l’urgence” de titiller le pouvoir dans le sens de nouveaux “fers de lance” en ce sens…(v. comment les « innovations Savary » ont fait long feu. (v. il y a un an et demi : un sursaut ? ). Ici, il n’y a même eu aucune tentative.

    Le premier point touche l’absorption par le discours dominant et par la logorrhée universitaire, notamment, qui aboutit entre autre au détournement ou à la déréalisation des meilleures tentatives. Le cas d’Illich est intéressant, au sens où il est assez difficile pour ne pas avoir subi trop de récupération, même si quelques universitaires ont pris, par académisme, “un petit bout de sa pensée”. Mais c’est une vieille affaire, et qui a donné lieu à une littérature copieuse, à une époque où on voulait faire croire que « tout se vaut ». Cela rejoint la critique de la pensée molle, le discours des limbes, au profit d’une radicalité nécessaire. Car enfin, le “discours scolaire” est aujourd’hui sans contrepartie.

    Le second point est celui du rapport entre les parties prenantes : qui peut prendre appui sur quelques « phares » (il n’y a pas tant que cela) d’une pensée de l’éducation émancipatrice. Mais pas seulement les morts : la pédagogie pense, en effet, mais il n’est pas concevable de « séparer les ordres » comme l’entretiennent les clercs et les gens de pouvoir. Les « potentats » de tous poils ne l’entendent pas de cette oreille : j’ai pour ma part – et avec d’autres – toujours essayé de lier, dans l’action, la posture de recherche et celle de pédagogie. Ce fut parfois possible : mais c’est aujourd’hui globalement un tabou : chacun son poste! Quant à intérioriser cette posture, c’est d’une grande difficulté existentielle. . En lieu et place de coexpérience féconde, on a donc ceux d’en haut et ceux d’en bas.

    Sur cette nécessité de la coexpérience, j’aime toujours la citation de Freinet : « Pendant trop longtemps, les uns ont parlé sans œuvrer, les autres œuvré sans avoir le droit de parler, comme des travailleurs qui ne se rencontreront jamais dans le tunnel où ils se sont engagés ».

    Il y a au-delà, la nécessité d’une « triade » (philosophie (au sens d’une « réflexivité accrue », du questionnement)//anthropologie (au sens véritablement scientifique de l’étude critique) //action pédagogique (au sens de l’authenticité)… Une telle utopie, parfois énoncée, et qui a parfois montré son efficacité dans l’expérimentation, serait lourde de conséquences dans l’effectivité…

    Nous sommes très loin aujourd’hui de dépasser les cloisons et les hiérarchies dans ce domaine. Plus encore, ce qui se met en place ressemble fort à un nouveau scolastisme.

  5. Tovar josé

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Au cas où certains l’ignoreraient, il existe une proposition cohérente oppp “pour une autre école”. Celà s’appelle “l’école commune”, ce serait un véritable tronc commun de culture commune de la maternelle au baccalauréat, sans notes, sans dicriminations ( ni filières ni dispositifs) d’aucune sorte, sans redoublements, etc… Il faut, pour prendre connaissance, faire le site du GRDS ( ci dessus), et encore mieux, acheter un livre publié en 2012 à La Dispute intitulé “L’Ecole Commune: prpositions pour une refondation du système éducatif.”.

    Cordialement; José

  6. Sonia

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    La seule “école” valable serait celle libre (comme certaines universités libres), endroit où il n’y aurait que des passionnés transmettant leurs savoirs, connaissances, surtout expériences… et les gens (dont enfants) pourraient y aller si ça les intéresse, s’inscrire librement aux cours dont ils ont envie.
    … mais le problème de fond, c’est que l’École sert entre autres (et surtout?) de “garderie”; placer les enfants pendant que les 2 parents travaillent, système économique “oblige”!…
    Que ferions-nous avec “tous ces enfants” sinon? car pour apprendre, ils peuvent le faire de mille et une façons; sinon pourquoi s’obstiner à croire qu’elle a le monopole de l’apprentissage?

  7. Il Rève

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Je m’interroge sur les propos tenus envers l’école et de la référence à Yvan Illitch et de sa pensée provocatrice. Avant d’énoncer des principes de réorganisation de l’école il est indispensable de se poser plusieurs questions en tentant d’y répondre. Que doivent savoir les enfants, élèves ? Quelles compétences doivent ils acquérir ? Concevons nous un instrument national pour parvenir à transmettre, construire ces savoirs ? Les savoirs et les compétences doivent ils être utiles
    à l’enfant élève où à la société, aux deux à la fois ? Si oui dans quelles proportions ? L’école doit elle préparer à l’insertion professionnelle ? Devrait il y avoir pour tous les parcours une “formation manuelle” ? On peut lire avec intérêt pour avancer dans l’élaboration des réponses le livre de Denis Kambouchner : ” L’école, question philosophique”. Bien à vous.

  8. Sonia

    2014 : Entrer dans un autre paradigme
    Je dirais qu’avant tout, ce qui serait primordial, est le réel libre choix des individus de comment ils veulent apprendre et ce qu’ils veulent; combien de faux problèmes éviterions-nous ainsi!
    Le discours populaire est de tenter de ramener “dans le droit chemin” les soit-disants “décrocheurs”, alors que ce n’est le symptôme d’un système qui ne convient pas à tout le monde! Pourquoi vouloir à tout prix mettre tous les individus sur le même chemin, pour apprendre “de force”, alors qu’il y a tellement d’autres façons d’apprendre, y compris le contenu?

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