Si on voulait collationner tous les textes, articles, livres critiquant l’école, parus jusqu’à la fin de cette année 2013, il est probable qu’un seul ordinateur n’y suffirait pas. Rien que parcourir ce qui a été publié sur questionsdeclasses, en à peine un an, prendrait des jours.

Il y a bien un consensus : on voudrait une autre école ! Avec plus de ceci, moins de cela. En général avec un peu plus de plaisir, de bonheur. Apprendre autrement. Les pédagogies s’y consacrent… depuis des décennies… sans que l’école change.

Très bien.

Mais quelle autre école ? En dehors de Illich qui avait réglé le problème (« Une société sans école » !), il est bien plus difficile de trouver des propositions concrètes autres que l’amélioration de l’existant. Ses murs restent, l’architecture du système reste, les positions de chacun dans cette architecture restent, sa place dans l’espace-temps des enfants et adolescents reste, sa finalité reste, elle, incertaine. Poser par exemple la question d’une école sans horaires, sans programme, sans évaluation, sans diplômes relève de l’incongruité la plus absolue (bleu][voir le billet de une[/bleu]). Cela reflète au moins que l’école est bien la clef de voûte de la cathédrale sociale et qu’y toucher risque de la faire écrouler.

Cela reflète aussi l’hétéronomie dans laquelle nous sommes enfermés, incapables justement d’imaginer une autre école, le « autre » signifiant qu’elle n’aurait plus rien à voir avec celle que l’on pense indispensable. D’ailleurs, en quoi est-elle indispensable ? Lorsqu’un ingénieur a des doutes sur l’utilité d’une pièce, il l’enlève au moins en imagination. Ce que les scientifiques appellent faire « une expérience de pensée », c’est ainsi que s’est élaborée la physique quantique. En ce qui concerne l’école, l’expérience de pensée semble totalement impossible.

Nous pourrons nous faire plaisir encore longtemps en critiquant l’existant, nous épuiser encore longtemps en luttes perpétuelles, dépenser une énergie folle en tentant d’améliorer l’« entre les murs ». Bien sûr qu’il faut le faire, échanger pour se sentir moins seuls, un peu plus forts. Mais cela reste stérile s’il n’y a pas la perspective de ce qu’on voudrait, si cette perspective n’est pas matérialisée dans des propositions construites et cohérentes radicalement différentes.

Radicalement différente. Une autre école, si elle est autre, n’aura plus rien à voir avec celle que l’on fustige. Il faudra nécessairement rentrer dans un autre paradigme comme toute révolution doit le faire si elle ne veut pas être qu’une simple amélioration provisoire et volatile d’un état social. Dans cet autre paradigme, toutes les positions, fonctions, relations seront nécessairement bouleversées. Si on fait l’impasse de cela, une autre école ne verra jamais le jour.

Alors, puisqu’il est de tradition de faire des vœux, je fais celui-ci pour 2014 : Que questionsdeclasses devienne, à côté de celui des luttes, à côté de celui des pédagogies pouvant être mises en place dans des murs inchangés, le lieu des « expériences de pensée » pour élaborer ce que devra être « une autre école ».

Bernard Collot
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