Même si, pour les détails, le programme éducatif du FN reste à finaliser, les grandes lignes en sont connues depuis la publication des « Cent mesures pour l’école et l’université de demain », sorties de l’imagination sans limite des enseignants lepenistes rassemblés dans le collectif Racine. A quelques mois d’une échéance qui s’avère cruciale, il importe que ce projet soit connu de tous les professionnels de l’éducation ainsi que des parents : même s’il ne vient pas de nulle part, sa brutalité lui donne une cohérence toute particulière.
Les propositions du collectif sont organisées autour de quatre thématiques principales : les savoirs, la « sérénité », l’administration du système, la sélection des élèves (1).
Des fondamentaux bien rudimentaires
La conception des savoirs partagée au FN est rudimentaire, fruste pourrait-on dire : en CP, pas moins de 15 heures hebdomadaires exclusivement réservées à la trilogie écriture, lecture, arithmétique. Doté de compétences qu’on ne lui soupçonnait pas, le parti impose ses méthodes d’apprentissage : bien sûr la syllabique, puis, dans la suite de la scolarité, priorité donnée aux grands textes du patrimoine littéraire et aux exercices de grammaire. Rejoignant la liste des fondamentaux, l’histoire de France, réduite à une chronologie, « faisant toute sa place au roman national présenté sous forme de récits, lesquels forment la mémoire, forgent le sentiment d’une appartenance à la nation et sont porteurs de valeurs propres à orienter la conduite. » Si la syntaxe est laborieuse, du moins les intentions sont elles clairement défendues.
Alors que les préoccupations touchant aux langues vivantes semblent singulièrement réduites (la main de l’étranger est partout), le latin et le grec se voient par contre promus au rang de fondamentaux, notamment à partir de la 4e où le latin devient obligatoire. Parmi les nouveautés, outre la suppression de la philosophie en série technologique, la création d’une discipline nouvelle – « civisme et droit » – chargée de permettre l’accession à « une citoyenneté éclairée » (tout dépend de l’orientation de l’éclairage) et surtout « de pleinement s’assimiler à la nation française ».
La pédagogie tant honnie laisse la place à des méthodes d’apprentissage rustiques privilégiant le cours magistral qui correspond à « l’autorité du maître fondée sur le savoir ». Dans cette optique, la formation des enseignants se voit réduite à sa plus simple expression, cantonnée à une formation purement disciplinaire dans le cadre d’ « Ecoles Normales Régionales » (ENR) qui remplaceront les ESPE. Tout à sa croisade purificatrice, le FN prévoit le « rétablissement » de la note chiffrée (on ne savait du reste pas qu’elle avait disparu) et du redoublement, l’objectif étant, à terme … de faire baisser le nombre de bacheliers et d’en finir avec ce scandale du bac “bradé” par les effets nécessairement funestes de la démocratisation de l’enseignement. Dans un même ordre de préoccupation, l’école retrouvant la marque de sérieux que des décennies de laxisme lui ont fait perdre, toute activité « ludique » ou extrascolaire assimilée à une « perte de temps », se verra bannie, à commencer par les voyages et sorties scolaires, interdites dans les classes d’examen (3e et Terminale).
Education enfermée… mais séparée
Afin d’assurer la « sérénité » du climat scolaire (il faut croire que même pour le FN, le terme de « sécurité » est par trop galvaudé), le projet FN sort le grand jeu du dressage : uniforme obligatoire, « discipline intransigeante », « tolérance zéro », sans oublier le désormais traditionnel couplet sur la laïcité. Avec quelques innovations remarquables : généralisation des internats (sic), suspension des allocations familiales, signalements aux procureurs mais aussi possibilité donnée aux recteurs d’éloigner jusqu’à 100 kilomètres ( !) les élèves perturbateurs. Ces mesures, qui, au passage, négligent complètement le fait que les élèves relèvent du droit des mineurs, poussent à l’extrême le concept de « sanctuarisation » des établissements scolaires : par la coercition, la menace, la surveillance généralisée, l’école doit se refermer sur elle-même, se couper du monde comme de son environnement proche, tout en refusant aux élèves la reconnaissance de leur propre personnalité.
Ce principe d’encadrement renforcé se retrouve dans des préoccupations administratives visant à renforcer la centralisation du système : écoles primaires dirigées par un véritable chef, création d’hypothétiques « Etablissements publics d’enseignement » (EPE) dont la finalité avérée est de court-circuiter les projets d’établissement et donc leur autonomie, présence des parents réduite au minimum, syndicats mis au pas, sommés de se limiter à la simple défense corporatiste de leurs adhérents, renforcement de l’Inspection ; bref, ce qui est en marche ici c’est la confiscation de la responsabilité éducative au profit de la seule administration centrale, au détriment des personnels – considérés comme de simples exécutants – des parents, des élèves. Une société civile soumise à l’état.
De fait, cette brutalisation n’est pas gratuite, elle s’inscrit dans un large projet social auquel l’école est appelée à contribuer. La fin du collège unique, prévue par le FN (et revendiquée par beaucoup d’autres…), la multiplication des examens, le recours au redoublement, la sélection des élèves dès la classe de 5e (et peut-être même dès la sortie du primaire), la sélection à l’entrée de l’université, le recentrage de l’apprentissage sur les besoins des entreprises, tout cela porte la marque d’une volonté de revanche sur plus d’un demi-siècle de massification scolaire et d’un retour loin en arrière vers l’époque où coexistaient deux ordres d’enseignement différents : le primaire pour les enfants issus des milieux modestes, le secondaire pour ceux des milieux favorisés auxquels s’adjoignaient de temps en temps un petit nombre d’élèves jugés « méritants », histoire de donner un semblant de crédibilité à la devise républicaine. Partant de la constatation – avérée – que la réussite scolaire était aujourd’hui (comme autrefois) étroitement corrélée au milieu social des élèves, le FN en tire la conséquence, sa conséquence : plutôt que d’adapter le système scolaire aux enfants tels qu’ils sont pour permettre à chacun de trouver sa voie, l’école se voit attribuer pour mission première de pratiquer un tri, une sélection tournée vers la satisfaction d’un ordre social fondamentalement inégalitaire qu’on s’interdit de remettre en cause.
Une école brutalisée pour une société brutalisée : un terrain bien préparé ?
Au final, le programme éducatif du FN est donc extrêmement cohérent, articulé autour des fondements qui plus que jamais, en dépit du vernis moderniste qu’il cherche à se donner, restent ceux de l’extrême-droite : un projet socialement réactionnaire, dans la mesure où c’est un retour au passé qu’il vise ; un projet résolument xénophobe et raciste – allant aujourd’hui jusqu’à refuser la gratuité scolaire pour les enfants d’immigrés – étayé par les valeurs nationalistes inculquées aux élèves ; un projet fondamentalement autoritaire récusant les libertés fondamentales et les règles de droit qui fondent la société civile. En un mot, un projet qui réactive tous le fondamentaux du fascisme.
Reste alors la question de savoir comment un projet à la fois aussi brutal et surréaliste – tellement son application est potentiellement explosive – peut en 2017 rentrer dans le champ du possible et paraître crédible aux yeux de millions d’électeurs. Car si le discours d’extrême-droite ne vient pas de nulle part, on ne peut nier que sa légitimité ait été ces dernières années grandement renforcée par le climat malsain entretenu autour de l’école et de l’éducation par des apprentis sorciers venus d’horizons très divers, de droite comme de gauche. On pourra citer par exemple la visibilité accordée aux théories catastrophistes et extravagantes des déclinologues de tout poil qui polluent le débat sur l’éducation (par exemple la mouvance « réacpublicaine ») ; la puissance des représentations identitaires remises au menu scolaire par une EN (enseignement de l’histoire, promotion des symboles nationaux, du patriotisme) qui s’enferre dans un jeu dangereux ; la mise en cause de l’école dans les désordres sociétaux ou dans le terrorisme, auxquels on répond par un bourrage de crâne pseudo-civique ou une surveillance accrue des élèves ; ou encore l’incapacité (ou le refus) de l’EN de faire de la justice sociale sa priorité, autrement que dans des discours de façade.
Car d’une certaine façon, le projet éducatif du FN en dit long sur la société qui le voit éclore.
(1) – Pour une approche exhaustive, voir l’analyse fouillée et pertinente de l’association intersyndicale VISA.