Introduction: l’actualité d’une proposition de loi sur la fin de vie
Vingt ans après la loi de 2005 sur le handicap, le CUSE fait un bilan sur la scolarisation des enfants handicapéEs qui est loin d’être réjouissant. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il nous semble important d’évoquer le contexte actuel car il ne permet guère d’être optimiste pour l’avenir. Il y a même de nombreuses raisons d’être profondément inquiets. Alors que la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la fin de vie, qui concerne aussi les personnes handicapées, a prévu de faire de l’entrave au « droit de mourir dans la dignité » un délit, il n’existe aucun délit d’entrave pour l’accès aux droits fondamentaux des personnes handicapéEs, pourtant constamment bafoués : ni pour la désinstitutionnalisation, pourtant exigée par la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) de l’ONU, ratifiée par la France en 2010, ni pour l’accès à l’éducation dite inclusive ou aux aides humaines essentielles à une vie autonome. La désinstitutionnalisation est toujours activement entravée notamment par les associations gestionnaires d’établissements médico-sociaux qui ont intérêt à son maintien tout comme par certaines forces syndicales du secteur médico-social et éducatif qui défendent la perpétuation des structures ségréguées au lieu de revendiquer une école ouverte à toustes les enfants.
Ce blocage sociétal qui condamne les personnes handicapées à la relégation dans les marges s’inscrit dans une vision profondément validiste, majoritairement ancrée dans le modèle médical du handicap. Ce modèle considère le handicap comme un problème individuel, une déficience à corriger, voire à éliminer. Dans cette logique, le handicap n’est pas pensé comme le résultat d’un environnement inadapté ou d’un manque de soutien social, mais comme une défaillance personnelle. La qualité de vie est, quant à elle, évaluée à l’aune des limitations fonctionnelles physiques ou cognitives et de la dépendance, produisant ainsi une hiérarchie implicite (et parfois explicite) des vies: certaines seraient dignes d’être vécues, d’autres moins. Ce regard tragique sur les existences handicapées, où les personnes handicapées ne sont perçues que comme des objets de soin, où la souffrance est supposée inhérente au handicap, autorise à présenter la mort elle-même comme une forme de soin ultime — une solution acceptable face à une vie que la société refuse de rendre vivable.
À l’opposé, le modèle des droits humains, porté notamment par la CIDPH, affirme que le handicap résulte d’une interaction entre des limitations fonctionnelles et des barrières sociales, politiques et environnementales. Il place la responsabilité non sur l’individu, mais sur la société, et défend le droit universel à la dignité, à l’autodétermination, à l’éducation et à la participation pleine et entière à la vie collective. Ce modèle reconnaît les personnes handicapées comme des sujets de droits, non comme des objets de soins ou de compassion. Or, en France aujourd’hui, le modèle des droits reste marginalisé dans les politiques publiques, y compris par certaines forces dites progressistes, trop souvent enclines à reproduire les représentations validistes du handicap.
Face à ce constat le CUSE, aux côtés de toutes les organisations antivalidistes, affirme une exigence claire : celle d’une vie digne et non d’une mort par défaut. Une vie digne c’est, entre autres, celle qui garantit à chacun et chacune l’accès réel et inconditionnel à l’éducation ordinaire et à un accompagnement humain adapté. Ce n’est pas l’accès à une vie digne conditionnée à des capacités physiques, sensorielles, psychiques ou cognitives et à la capacité de se dépasser. AucunE enfant ne devrait avoir à prouver qu’il a sa place à l’école et en classe. Ce n’est pas la survie tolérée dans des espaces ségrégués. Et ce n’est certainement pas une vie considérée comme indésirable au point de proposer la mort comme réponse politique.
Bilan des 20 ans de la loi de 2005
Ce texte est le fruit du travail collectif des membres de notre collectif: militantEs handiEs, parents d’enfants handicapéEs, personnels de l’Education Nationale et du médico-social.
L’école inclusive est aujourd’hui un idéal inscrit dans nos textes législatifs, un principe fondateur censé garantir à chaque élève, qu’il soit en situation de handicap ou non, l’accès à une éducation équitable, dans un environnement scolaire partagé. Pourtant, cette ambition se heurte à une réalité bien différente sur le terrain. Malgré des avancées notables, le système éducatif français, dans son ensemble, peine à mettre en place des solutions concrètes et adaptées pour les élèves en situation de handicap. Les témoignages croisés d’enseignants, d’AESH (Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap), de parents, de professionnels du médico-social et d’élèves eux-mêmes, révèlent des difficultés profondes et des écueils récurrents issus d’une loi qui a déclamé une intention sans s’en donner les moyens, tout en maintenant en parallèle un système de ségrégation, d’une application inégale de la loi, de moyens insuffisants et de formations inadaptées.
Vingt ans après l’adoption de la loi du 11 février 2005, censée garantir l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il est devenu évident que, si des progrès ont été réalisés, la réalité de l’école inclusive reste loin des attentes et des engagements inscrits dans la loi et encore plus loin de la convention ONU ratifiée par la France en 2010. La promesse d’une école ouverte à tous, où chaque élève, quelle que soit sa situation de handicap, aurait une place, se heurte à une série de difficultés structurelles, institutionnelles et humaines.
La Défenseure des droits, dans son rapport de 2022 sur « l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap », souligne des constats alarmants. En 2021, près de 20 % des saisines adressées à la Défenseure des droits concernaient des difficultés d’accès à l’éducation pour des enfants en situation de handicap. Ces chiffres témoignent d’un problème systémique qui, loin de se résorber avec le temps, semble au contraire se renforcer.
Un des principaux manques relevés par le rapport est l’absence de données précises et fiables sur la scolarisation effective des élèves handicapés. Le rapport recommande la mise en place d’outils statistiques permettant de suivre, en temps réel, l’accompagnement des élèves handicapés, notamment le temps de présence des AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap), le temps de scolarisation effective dans les classes ordinaires, les modalités d’accompagnement, et l’application des décisions des MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées). Cette absence de données concrètes empêche une évaluation rigoureuse de la mise en œuvre des droits des élèves en situation de handicap et, par conséquent, l’action corrective de l’État.
À ce jour, il n’existe toujours pas de système de suivi permettant de garantir que chaque enfant bénéficie réellement de l’accompagnement qui lui est dû. L’absence de transparence sur ces questions empêche non seulement de mesurer l’impact réel de la loi de 2005, mais aussi de mettre en lumière les inégalités persistantes dans l’accès à l’éducation pour ces enfants.
Il est essentiel que, vingt ans après, l’État prenne enfin les mesures nécessaires pour rendre compte de la situation de manière objective et agisse de façon décisive pour améliorer les conditions de scolarisation des élèves handicapés. Cette exigence de données claires et d’un suivi rigoureux s’impose comme une étape indispensable pour concrétiser l’école inclusive, et pour que chaque enfant puisse bénéficier d’un véritable droit à l’éducation.
En tant que collectif CUSE, nous avons choisi de faire entendre cette voix plurielle et de dénoncer les dysfonctionnements d’une école censée être inclusive mais qui, dans la réalité, laisse trop souvent certains élèves de côté. Loin d’être une simple question de moyens financiers, l’école inclusive exige une véritable volonté politique et une refonte en profondeur de l’accompagnement scolaire. C’est ce que nous revendiquons aujourd’hui : une éducation qui réponde aux besoins réels de tous les élèves, sans exception, au sein d’UNE SEULE ECOLE !
1. Les Enseignant·es de Classes Ordinaires et l’École Inclusive : constats et défis
Les Avancées :
L’inclusion des élèves handicapéEs à l’école est un enjeu crucial et des progrès ont été réalisés ces dernières années, même si des défis persistent. Une des avancées notables réside dans la formation continue des enseignantEs. Des modules obligatoires ont été instaurés, centrés sur la loi, les différentes formes de handicap et l’adaptation des pratiques pédagogiques. Bien que ces formations demeurent souvent théoriques et générales, elles constituent néanmoins un premier pas vers une prise en charge plus centrée vers les besoins des élèves concernéEs.
Pour une majorité de personnels, la scolarisation des enfants handicapéEs n’est plus remise en question : elle est devenue une évidence, un droit fondamental. De nombreux collègues s’investissent activement pour se former, trouver des ressources pédagogiques et s’adapter aux besoins spécifiques des élèves, qu’ils ou elles soient reconnues en situation de handicaps ou rencontrent d’autres difficultés.
Les ressources disponibles pour soutenir cette démarche sont abondantes. Si les sites institutionnels jouent un rôle clé dans la diffusion de ces outils, ce sont souvent les collègues eux-mêmes, ainsi que certains collectifs militants, qui partagent des pratiques pédagogiques et des retours d’expérience enrichissants.
Les obstacles :
Cependant, plusieurs freins persistent. Les formations disponibles sont souvent l’apanage des spécialistes et si certains d’entre eux sont en mesure de former et d’accompagner leurs collègues, leur disponibilité reste limitée. En raison de la dispersion géographique des formateurs et de leurs horaires souvent incompatibles avec les exigences quotidiennes des enseignantEs, ces formations ne sont pas accessibles à toutes et à tous.
Un autre point de friction réside dans les corps d’inspection. Les inspecteurs et inspectrices, qui ont pour rôle d’évaluer les pratiques pédagogiques, se révèlent parfois insuffisamment formés en matière de scolarisation des élèves handicapéEs. Leur manque de compétences spécifiques rend leur accompagnement peu utile, voire contre-productif, ce qui constitue un frein supplémentaire à l’amélioration des pratiques.
De plus, malgré l’importance de la formation continue, nombreux sont les personnels qui ne s’y inscrivent pas, en raison du manque de temps et de la pression liée aux responsabilités quotidiennes : examens, programmes à couvrir, gestion des absences. Il serait nécessaire d’instituer des mesures permettant à chaque professionnelLe de disposer de temps à consacrer à la formation tout au long de sa carrière, dans le cadre de son évolution professionnelle.
Les personnels se retrouvent donc souvent livrés à eux-mêmes, à la fois isolés et épuisés par la gestion quotidienne des classes. Une autre difficulté réside dans la hiérarchie implicite des handicaps, certains étant perçus comme plus « acceptables » que d’autres. Les élèves présentant des troubles du spectre autistique ou polyhandicapés sont souvent les plus stigmatisés, et leur inclusion dans des classes ordinaires demeure un défi majeur.
Enfin, malgré la volonté affichée de favoriser l’inclusion, l’école reste largement structurée en classes ordinaires et spécialisées. Cette organisation renforce la ségrégation des élèves handicapéEs, qui sont parfois perçu·es comme une « variable d’ajustement », déplacéEs ou excluEs lorsque la situation devient trop complexe. Cette division entre classes « normales » et classes adaptées symbolise bien l’ambiguïté de l’inclusion : une volonté de faire entrer les élèves handicapéEs à l’école, mais dans un cadre qui, souvent, les exclut de facto.
Les inquiétudes :
L’une des principales préoccupations demeure l’absence de moyens financiers et humains suffisants pour garantir un accueil digne des élèves handicapéEs. Depuis la loi de 2005, les gouvernements successifs ont échoué à mettre en place les ressources nécessaires à une véritable école inclusive. L’ absence de statut des Accompagnant·es des Élèves en Situation de Handicap (AESH) en est un symbole frappant. Ces personnels, pour lesquels il n’ existe pas de corps de métier statutaire, mal rémunérés et précaires, sont un exemple flagrant de la manière, incomplète et inadéquate dont l’inclusion est mise en oeuvre.
Les conséquences de cette situation sont lourdes : souffrances multiples à l’école, tensions croissantes autour de la scolarisation des élèves handicapéEs, et crispations qui se font de plus en plus entendre. CertainsEs enseignantEs, heureusement minoritaires, rejettent la responsabilité des dysfonctionnements sur les élèves handicapé·es eux·elles-mêmes, les qualifiant d’inadaptéEs, de violentEs, voire de danger pour les autres élèves, et les excluant de l’école sous prétexte qu’ils et elles n’auraient pas leur place dans cet espace.
Cependant, cette vision déformée de l’inclusion occulte la réalité : c’est l’école qui demeure inadaptée aux besoins de tous les élèves. La « handiphobie » est bien présente, se manifestant par la peur et le rejet des personnes handicapées, alimentée par des discours stigmatisants qui cherchent à justifier leur marginalisation au sein de la société. Quant à la violence supposée de certainEs élèves, elle est trop souvent la résultante d’attitudes inadaptées d’enseignantEs pas ou mal forméEs, dont la violence symbolique des représentations qu’ils et elles se font des enfants handicapéEs peut conduire à de la violence en réaction de ces élèves.
2. Les familles et l’école inclusive : les difficultés d’une école prétendument inclusive
Au sein du CUSE, nous constatons de nombreux témoignages qui reflètent l’expérience de familles confrontées aux défaillances d’un système scolaire qui se revendique “inclusif”, mais dont les pratiques révèlent une profonde inadaptation aux besoins des enfants en situation de handicap. Une expérience synthétisée ici, certes, mais qui fait écho à celles de nombreuses autres familles concernées.
L’accès aux diagnostics et à la prise en charge
Dans le cas d’un enfant dyspraxique, l’accès aux diagnostics constitue un parcours long, coûteux et souvent décourageant. Les bilans nécessaires — réalisés par des neuropsychologues, ergothérapeutes, psychomotriciens — sont multiples et rarement pris en charge. Même lorsque ces bilans concluent à l’existence d’un handicap, cela ne garantit aucune reconnaissance officielle par les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). L’obtention d’une notification de handicap relève trop souvent d’un véritable parcours du combattant, nécessitant parfois de recourir à la justice et comportant des frais d’avocat.
Une prise en charge éducative insuffisante
Malgré l’ensemble de ces démarches, la reconnaissance institutionnelle peut se limiter à un simple Plan d’Accompagnement Personnalisé (PAP), dont les préconisations restent le plus souvent théoriques et très générales, sous la forme d’un tableau présentant une liste de possibilités à cocher. Ces recommandations ne s’accompagnent d’aucune exigence d’adaptation pédagogique réelle. Les enseignantEs conservent toute latitude pour les appliquer — ou non — et les ajustements proposés ne remettent jamais en cause les pratiques scolaires dominantes.
Par ailleurs, les rééducations préconisées dans les bilans doivent être réalisées en dehors de l’école. Cela démontre que l’école actuelle n’est pas inclusive : elle impose à l’élève de se conformer à ses exigences, plutôt que de s’adapter à ses besoins. Ces soins, rarement remboursés, impliquent un temps de transport qui s’ajoute à l’emploi du temps et pèse donc lourdement sur des enfants souvent déjà fatigables — une fatigue pourtant reconnue dans les PAP et les PPS comme un facteur à prendre en compte. À cela s’ajoute la difficulté à trouver des professionnels bien formés, les erreurs d’orientation, les pertes de temps et d’argent, et les risques de démotivation pour l’enfant. Les rééducations devraient pouvoir se dérouler dans l’établissement scolaire, avec la création de postes adéquats sous l’égide de l’éducation nationale, mais c’est rarement le cas.
Les défis liés à la mise en œuvre des PPS
Même lorsque la MDPH reconnait une situation de handicap, le Plan Personnalisé de Scolarisation (PPS) n’est pas automatiquement rédigé ni appliqué. Cette tâche revient souvent aux familles, contraintes de devenir expertes malgré elles et de se battre seules face à l’institution scolaire. Pour obtenir la mise en œuvre des recommandations des professionnels de santé, les familles doivent souvent intervenir directement auprès des équipes pédagogiques, parfois même avec l’appui, à leurs frais, d’unE professionnelLE extérieurE. Les recommandations médicales et paramédicales restent souvent opaques pour les enseignantEs et sont interprétées de manière arbitraire.
Une pression implicite s’installe : l’élève bénéficiant d’aménagements est somméE de prouver leur efficacité par des résultats scolaires conformes aux attentes générales ; il faut mériter ses aménagements. Mais attention, unE élève réussissant “trop bien” grâce aux aménagements voit ceux-ci remis en question et ses besoins niés. Un projet de scolarisation fragile car sur un fil.
Le rôle des AESH : une aide trop précaire
Les AccompagnantEs d’Élèves en Situation de Handicap (AESH) sont souvent affectéEs tardivement dans l’année, parfois après le début des cours. Ce décalage engendre des retards d’apprentissage pour l’élève, qui se retrouve déjà en difficulté avant même d’avoir bénéficié du moindre accompagnement. Par ailleurs, la présence de l’AESH est parfois perçue comme une excuse pour que l’enseignantE se décharge de ses propres obligations en matière d’adaptation pédagogique.
Lorsque l’AESH est mutualiséE, l’accompagnement devient encore plus incertain. L’élève peut se retrouver, notamment lors des examens, avec unE AESH inconnuE, incapable de répondre efficacement à ses besoins spécifiques. De plus, ces professionnelLes accompagnent souvent plusieurs élèves en situation de handicap, dans le même niveau scolaire, ce qui les place dans l’impossibilité de se consacrer pleinement à chacunE. Leurs conditions de travail précaires, leur formation inégale, ainsi que le manque de reconnaissance de leur rôle au sein de l’institution reflètent le même mépris que celui que subissent les élèves qu’ils et elles accompagnent. Les AESH subissent un double mouvement : ils et elles sont les premières victimes du manque de reconnaissance et de formation, tout en incarnant malgré elles une forme de sous-traitance de l’inclusion. Leur présence, souvent contrainte à l’accompagnement individuel, renforce la stigmatisation de l’élève et la relégation de la responsabilité collective. Le regard porté sur ils et elles rejaillit sur les élèves qu’elles accompagnent : le stigmate circule. Ceci s’aggravant encore un peu plus quand unE AESH est iel-même concernéE par un handicap.
Une école qui ne change pas de paradigme
L’observation générale qui se dégage de cette expérience est sans appel : il n’existe pas, au sein des politiques éducatives actuelles, une volonté sincère de transformer l’école pour la rendre véritablement inclusive. L’école continue de fonctionner selon un paradigme du tri, excluant de fait les élèves qui ne s’adaptent pas à ses normes. En refusant de fournir les moyens nécessaires, les gouvernements successifs maintiennent l’illusion d’une inclusion possible, tout en laissant entendre que certains handicaps n’ont pas leur place à l’école ordinaire et doivent être relégués à des structures spécialisées.
La réussite d’unE élève en situation de handicap dépend aujourd’hui encore fortement du capital culturel et économique de ses parents, ainsi que de leur capacité à s’impliquer et à lutter dans un système qui les contraint à tout porter. L’école inclusive, dans sa forme actuelle, reste un leurre. Elle promet l’égalité tout en exigeant la conformité. Elle laisse les familles seules face à un système opaque et inégalitaire. Il devient urgent de repenser ce modèle, de changer radicalement de logique, pour faire de l’école un lieu véritablement ouvert à toutes et à tous, quelles que soient les différences.
3. Constats des enseignant·es spécialisé·es en dispositifs ULIS
Les enseignantEs en dispositifs ULIS sont au cœur d’un paradoxe profond : ils et elles incarnent une volonté d’inclusion, mais se retrouvent souvent à travailler en périphérie de l’école ordinaire, dans un système qui peine à remettre en question ses fondements hiérarchiques et sélectifs.
Une légitimité refusée dans les espaces communs
Dans une école qui prétend être inclusive, les enseignantEs spécialiséEs sont encore perçuEs comme des figures à part, intervenant en marge de la « vraie » classe, celle de l’ordinaire. Leur expertise est rarement reconnue dans les espaces communs d’enseignement. Leur légitimité est conditionnée à une conception restrictive du handicap, qui ne mobilise pas l’ensemble de la communauté éducative. Cela empêche une appropriation collective des problématiques d’accessibilité, réduisant l’inclusion à une affaire de spécialistes, alors même qu’elle devrait être l’affaire de toustes. Il en est de même pour les pratiques pédagogiques adaptées: elles sont cantonnées aux enseignantEs et dispositifs spécialisés sans que ne soit évoqué la possibilité de les mettre en place en classe ordinaire.
Une hiérarchisation implicite des handicaps
L’école trie, classe, oriente, souvent selon une logique de performance. Les élèves les plus « rentables » pédagogiquement – c’est-à-dire ceux qui apprennent vite et sans trop de difficultés – bénéficient d’un enseignement plus long et plus soutenu. À l’inverse, les élèves qui auraient besoin de plus de temps d’apprentissage se retrouvent cantonnéEs à des dispositifs allégés, segmentés, voire exclusifs. Les affectations (classe ordinaire, ULIS, IME) s’appuient davantage sur des potentiels estimés que sur des besoins réels, contribuant à renforcer une école sélective et inégalitaire. Le temps de scolarité réduit (aménagement d’emploi du temps en classe, accueil très réduit à l’école ou temps de scolarité infime en IME) n’est jamais compensé sur la durée. Au contraire, beaucoup d’enfants handicapéEs, notamment celleux en IME, voient leur scolarité s’arrêter totalement à 16 ans
Des institutions ségrégatives en manque de volontaires
Face à l’absence de solutions de droit commun réellement inclusives, la demande de places en IME augmente. Pourtant, peu d’enseignantEs souhaitent y travailler. Les structures médico-sociales sont majoritairement peu attractives pour les titulaires de l’Éducation nationale, et ce sont souvent des contractuelLes non forméEs qui y exercent. Ce paradoxe interroge : comment se satisfaire de structures où même les professionnelLes forméEs rechignent à aller, tout en y orientant massivement les enfants en situation de handicap ?
Des déterminismes sociaux puissants
Les mécanismes de tri scolaire n’épargnent pas les enfants en situation de handicap à l’école, au contraire. Ce sont les familles issues des classes moyennes et supérieures qui parviennent à maintenir leur enfant dans des parcours scolaires longs et valorisés. À l’inverse, les enfants de familles populaires, racisées ou issues de l’immigration sont surreprésentéEs dans les institutions spécialisées. Cette réalité dévoile un système scolaire où le validisme se conjugue au racisme et au classisme pour enfermer toujours les mêmes.
Former, oui, mais pas imposer
La formation est nécessaire, mais elle ne saurait suffire. Et surtout, elle ne peut être imposée sans réflexion critique sur ce qu’elle véhicule. Il faut penser les discriminations liées au handicap à l’aune des autres discriminations systémiques : sexistes, racistes, classistes. Le système scolaire, à travers ses normes implicites, participe à la production de ces inégalités. Il faut donc interroger en profondeur ses logiques de normalisation, ses attentes implicites, ses violences ordinaires.
4. Constats des professionnels du médico-social : témoins d’un système de tri silencieux.
Une position d’observation privilégiée, entre école et accompagnement.
Les professionnels du médico-social sont en première ligne pour observer les dysfonctionnements de l’école inclusive. Leur position leur donne une vue d’ensemble unique : ils et elles interviennent dans les établissements scolaires au sein de dispositifs de soutien à la scolarisation (SESSAD, UEMA, UEEA, EMAS, DAR, DITEP…), accueillent dans leurs structures des enfants que l’école a excluEs, ou encore accompagnent les familles dans leur parcours de scolarisation. À travers ces missions, ils sont les témoins directs d’un tri progressif et structurel des élèves en situation de handicap.
D’un soutien à une substitution à la scolarisation
Alors que leur rôle est censé renforcer l’inclusion scolaire en soutenant les élèves dans leur classe de référence, ces professionnelLEs sont de plus en plus sollicitéEs pour intervenir en dehors de l’école, voire pour en détourner les enfants. Leurs actions, initialement pensées comme des appuis à la scolarité, deviennent trop souvent des palliatifs, voire des substituts. Cette dérive révèle une dégradation continue de la coopération entre l’Éducation nationale et le secteur médico-social, particulièrement marquée ces deux ou trois dernières années.
Une sélection des enfants dans l’accès aux dispositifs.
Par ailleurs, le médico-social lui-même est contraint à des logiques de sélection. Les enfants accompagnés sont choisiEs en fonction de critères implicites : autonomie, capacité à s’adapter à un groupe, implication des familles… Dans un contexte de pénurie organisée— places limitées en IME, injonction des Agences Régionales de Santé à assurer un “roulement” des bénéficiaires — seuls certains profils peuvent intégrer les dispositifs. Résultat : de nombreux enfants, souvent les plus en difficulté, restent sans solution. Trop éloignéEs des attendus scolaires, trop “complexes” pour les critères d’entrée dans les dispositifs, elles et ils se retrouvent excluEs à la fois de l’école et des accompagnements spécialisés.
Des réponses temporaires pour des situations durables.
Les réponses institutionnelles sont souvent temporaires, incomplètes, insuffisantes. Et les familles, faute d’alternatives, doivent assumer seules l’accompagnement et le suivi médico-social de leur enfant, en fonction des moyens dont iels disposent. Certains parents cessent leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant, avec peu ou pas de soutien. En dehors de l’école, l’accès aux loisirs, au sport, à la santé devient une épreuve de plus dans un quotidien déjà fragmenté.
Une école inclusive au rabais : le tri silencieux des élèves.
Ce que révèlent les professionnelLEs du médico-social, c’est une politique d’inclusion au rabais, où la promesse d’une école pour tous se heurte à une logique de gestion de la pénurie et de mise à distance des enfants les plus vulnérables. Un tri silencieux s’opère, chaque jour, sous leurs yeux.
5. Constats d’enseignantEs en IME : entre engagement professionnel et désillusion institutionnelle.
Ce qui fonctionne : une richesse professionnelle souvent méconnue.
Dans les IME, la pluridisciplinarité permet une analyse fine des parcours des jeunes, rarement atteinte dans les écoles ordinaires. Malgré des conditions de travail difficiles, les professionnelLes s’engagent pleinement dans leur rôle. La liberté pédagogique y est également plus palpable, permettant la mise en place de pédagogies collaboratives, de projets transdisciplinaires et d’apprentissages ludiques, souvent difficilement réalisables ailleurs.
Les limites de la prise en charge en institution spécialisée
Cependant, l’IME ne répond plus pleinement à l’idéal d’une prise en charge « totale ». Les absences régulières du personnel éducatif et la vacance de plusieurs postes (orthophoniste, psychologue, etc.) dégradent la qualité de l’accompagnement. Les familles, souvent mal informées, ignorent que leur enfant ne bénéficie pas de l’accompagnement nécessaire à cause de ces absences, et que certains postes sont vacants. Les temps de scolarisation restent faibles (entre 3h et 6h par semaine en moyenne) et, dans certaines structures, des enfants en âge de scolarisation obligatoire n’ont même pas accès à une classe.
Des créneaux communs comme des miettes d’inclusion
L’ouverture vers l’école ordinaire est, bien souvent, une illusion. Les projets d’inclusion dans les écoles sont rarement le fruit d’une concertation réelle avec les équipes enseignantes. Les créneaux d’activités communes sont limités, et les élèves de l’IME restent marginalisés dans l’organisation scolaire. Aucun temps de concertation n’est prévu pour travailler ensemble, ce qui empêche une véritable inclusion.
L’IME, une structure d’enfermement ?
L’IME, en concentrant au même endroit de jeunes handicapéEs, tend à les isoler dans une « bulle fermée ». Ces jeunes, invisibles dans la société, sont laissés dans une institution qui, parfois, les garde pendant des décennies, sans possibilité de sortie. Le « retour à l’école » est rare, et les familles, convaincues que l’IME est la seule solution, ne voient que très peu d’alternatives. Les transitions vers d’autres structures restent très limitées et souvent précipitées sans que ne soit jamais pris en compte les propos de l’ONU et de son sous-comité de prévention de la torture: les IME sont des lieux de privation de liberté!
Le tri social des institutions
Une majorité des jeunes accueilliEs en IME provient de milieux populaires, parfois très précariséEs, et souvent issuEs de familles monoparentales ou en situation difficile. Les enfants suiviEs par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) représentent près de 11,4 % des enfants en IME, contre 4,4 % dans l’ensemble de l’enseignement scolaire. Les familles disposant de ressources peuvent maintenir leur enfant dans le système scolaire ordinaire tout en organisant des soins et accompagnements en libéral, tandis que les autres n’ont souvent d’autre choix que l’IME.
Le silence assourdissant des enfants et des jeunes
La parole des enfants en IME est trop souvent ignorée. Lors de la mise en place de projets ou d’activités, les jeunes ne sont pas consultéEs, et leurs souhaits sont souvent négligés. Le pire se produit lorsqu’ils ou elles évoquent des violences subies. Dans de nombreuses situations, leur parole est mise en doute ou minimisée, et les signalements nécessaires sont souvent retardés, voire ignorés. En plus de cette silenciation, des moyens de communication alternative (tableau de communication, synthèse vocale, etc) manquent souvent dans les IME, ce qui empêche des enfants qui pourraient s’exprimer de le faire. Autant pour évoquer des violences subies que pour exprimer des choix et des envies. Il est crucial que la parole des enfants en situation de handicap soit prise en compte, en particulier face aux violences qu’ils ou elles peuvent subir, dans leurs familles, dans l’institution ou ailleurs.
Conclusion
Le respect du droit à la scolarisation pour tous les élèves, en particulier ceux en situation de handicap, n’est pas une option : c’est un droit fondamental, inscrit dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), ratifiée par la France en 2010. Cette convention affirme clairement que les États doivent garantir une éducation inclusive de qualité, dans des environnements d’apprentissage ouverts et accessibles à tous, dans les établissements scolaires ordinaires.
Le CUSE rappelle que la scolarisation en milieu ordinaire n’est pas un « luxe » ou une faveur, mais une obligation légale, un droit inaliénable des enfants en situation de handicap. La loi française, notamment la loi de 2005, a bien introduit l’idée d’inclusion, mais les dérives du système actuel montrent que cet engagement n’est pas pleinement respecté. Trop d’élèves sont encore reléguéEs dans des structures spécialisées qui les coupent du reste de la société, ou sont laisséEs sans solution d’accompagnement dans les écoles ordinaires, fragilisant ainsi leur droit à une scolarisation équitable et de qualité.
Les textes internationaux sont clairs : l’inclusion n’est pas une exception, elle est la norme. Les élèves en situation de handicap ont droit à la même scolarité que les autres, avec les adaptations nécessaires pour que ce droit soit effectif. Ce principe, trop souvent ignoré ou contourné en France, doit être fermement appliqué dans chaque école, chaque classe, chaque établissement.
Le CUSE appelle à un respect total et inconditionnel de ce droit à la scolarisation en milieu ordinaire, dans des conditions respectueuses de la diversité et adaptées à chaque enfant. Cela passe par une refonte des politiques éducatives, un renforcement des moyens humains et matériels, ainsi qu’une formation spécifique et continue des équipes pédagogiques. L’école de la République doit être un espace d’égalité pour toutes et tous, sans exception.
Le CUSE appelle les organisations syndicales et politiques se revendiquant des luttes sociales et d’émancipation à s’emparer des questions politiques de handicap et à cesser de porter des revendications oppressives envers les enfants handicapéEs en demandant la création de places en institutions ségrégatives et de classes spécialisées. C’est dans les classes ordinaires que doivent pouvoir aller tous les enfants, pour y penser et y prendre en compte les besoins de chacunE. Faire cela à l’école mais aussi chez soi, au travail, dans les loisirs, les transports et dans toute la société.
La lutte pour une véritable inclusion scolaire est loin d’être terminée. Le CUSE exige que la France prenne ses engagements internationaux au sérieux et fasse de l’inclusion une réalité concrète et systématique pour chaque enfant en situation de handicap.
Nous continuerons de défendre ce droit, de porter cette voix et de rappeler que l’école pour toutes et tous, dans le respect de la dignité et des droits de chaque élève, est une exigence incontournable pour la société de demain.