Déjà dans la situation initiale de ma convocation de jury, rien ne va.
Je n’enseigne pas en français tronc commun, mais en spécialité HLP (Humanités, Littérature et philosophie).
J’aurais donc dû être jury de Grand Oral, l’épreuve de ma spécialité, celle du programme que je fais préparer depuis deux ans. Mais non, me voilà correcteur de Bac Français, une épreuve avec des œuvres sur programme que je ne prépare pas. Mais pendant ce temps-là, rassurons-nous, des élèves ont passé leur Grand Oral auprès de collègues non spécialistes !
Épreuve-mascarade, emblème d’une perpétuelle opération de communication ministérielle, presque jamais déconstruite médiatiquement.
Mépris et dévaluation à tous les étages donc, tant pour la préparation des élèves que pour notre travail. Hélas, on en a autant l’habitude que Maigret tire sur sa pipe ! Pardon de faire la mouche du coche avec mes questions candides, mais pédagogiquement : quel est le sens ?
Quelle considération pour les élèves que de se voir corriger par un professeur qui n’a pas préparé les œuvres des dissertations ? Quelle considération pour les correcteurs & les correctrices tout court ? Autre élément étonnant : je ne suis pas convoqué pour les oraux, seulement pour les écrits. Je le signale au SIEC et à l’Inspection, bien en amont. Effet ? Le même que celui d’une crotte de pigeon lâchée dans l’Atlantique.
Passons. Je prends en charge cette correction. À contrecœur et rongé par mes propres Érinyes (Dans la mythologie, ce sont les divinités qui te rongent, persécutent & harcèlent quand t’as fait ton gros salaud !) car, en fait, je ne pense qu’à ça : « grève ! grève ! grève !» Sauf que financièrement là, je ne peux pas me permettre de me retrouver à nouveau ponctionné de 6 journées de grève le même mois comme ça m’est arrivé l’an dernier pour les E3C. Car, Tadâaaaa, devinez quoi : JMB a fait passer un décret en loucedé ! Il est prévoyant le diable. Eh oui, désormais on peut nous ponctionner plus de trois jours de salaire le même mois afin de casser notre droit de grève ! Merci de nous choyer autant Jean-Michel. Mais bon faut dire, la répression institutionnalisée des personnels de l’éducation depuis trois ans, tout le monde s’en cogne le smoothie !
Puis, ça a continué comme ça.
Depuis le début, ça sent l’Époisses, n’est-ce pas ? Eh bien, illico, au flair & à l’expérience des fragrances putrides qu’on nous distille dans l’EN : mon lot de copies me paraît « singulier ».
Dès le début, mon lot de copies me paraît singulier.
Pendant ce temps, je lis des témoignages différents sur Twitter : moi, dans mon lot, je cherche désespérément des points (85% de mon lot fait moins de ¾ pages, ce qui est maigre pour une copie de Bac, beaucoup font moins de 2 pages). Ce qui est maigre pour une copie de Bac ! Je culpabilise de ma sévérité. Certo, ma tasse de café, c’est plus les antiperles que les perles du Bac ! Contrairement aux préjugés tenaces et hargneux sur notre charge de travail, j’y passe un temps fou fou fou. J’essaie au mieux de prendre en considération la situation apocalyptique de cette année. Année sens dessus dessous que nous devons à l’individu qui nous sert de ministre alors qu’en juin 2020 nous avons tiré en continu la sonnette d’alarme sur ce qui allait advenir, inéluctablement !
Revenons à nos affres ! Avec la plus grande bienveillance du monde, trouver des points à des copies de quelques lignes (qui racontent des choses vraiment erronées), c’est à s’arracher la perruque ! (N’y voyez là aucun commentaire gratuit contre une personne atteinte de calvitie).
Évidemment, à aucun moment, par mail ou sur Santorin, je ne reçois un message de consignes ou d’accompagnement. Rien. Vu le sort qui a été fait à mon dernier mail au SIEC et à L’Inspection, je m’abstiens de tout nouveau mail Sisyphe.
Vendredi soir dernier, sept jours après la réception de mon lot de copies, je reçois un mail d’un Inspecteur, mail adressé à une quinzaine de collègues. Dans ce mail, il fait un « rappel » pour nous dire que notre lot doit être remis le 30 juin à 12h puisqu’il s’agit des copies « IEF », celles de Terminales intégrées donc et non de 1ères comme je le pensais depuis le début. Rien ne l’indiquait nulle part ni sur ma convocation ni sur Santorin.
Vous vous dites, et alors ?
Eh bien, cela change tout.
Primo, quant au délai – et donc à la qualité – de la correction : j’ignorais que je corrigeais des Terminales. Or concrètement, cela induit que j’ai 7 jours de moins pour corriger mais je ne l’apprends qu’à 4 jours de la remise des lots !
Deuxio, quant à la façon de corriger : je n’aurais jamais corrigé de la même manière ces copies : ces élèves de terminale n’ont pas eu de cours sur les œuvres de la dissertation, n’ont pas eu de cours de français de l’année, tout court. Point.
Tertio, quant à la valeur & au sens de tout cela : à quel moment, on peut faire faire une épreuve à des élèves sur des savoirs & des compétences non travaillées pendant l’année ? Quel est le fichu sens & la fichue valeur d’une telle épreuve, d’une telle note, d’un tel Bac ?
Badaboooum : je vais devoir tout re-corriger ! Déontologiquement, je ne peux pas mettre les mêmes notes à des élèves qui auraient travaillé toute l’année l’épreuve qu’à ces élèves. Double peine donc, c’est reparti pour re-corriger toutes les copies déjà corrigées (#Sisyphe again !).
Je vous disais que rien n’allait, du début à la fin. Rien. Alors qu’en sus, il n’y avait que trois pauvres épreuves à organiser, c’est le chaos à tous les étages, le mépris systémique & systématisé, en tsunami !
Mais, au-delà, que montre ce premier Grand oral ?
Qu’il est inorganisable dans les faits. Déjà alors qu’il n’y a que trois épreuves, c’est le grand n’importe quoi, alors imaginez l’an prochain quand il y aura toutes les épreuves et les collègues mobilisé·es sur leurs épreuves !
Réfléchir aux pratiques de l’Oral, les repenser en profondeur, je suis pour. Ce simulacre-là, en revanche, merci mais non merci ! Sachant que, comme nous l’avons demandé (syndicats, collectifs, etc.), ces épreuves n’auraient jamais dû avoir lieu compte tenu de la situation.
Situation inique de passation de ces épreuves de Bac : des lycéen·nes ont été à 1OO% en présence toute l’année, d’autres non. Où est l’équité « républicaine » dans ces épreuves du « Bac national » ? On n’en peut plus de le répéter. Dans le vent. Comme mon mail crotte de pigeon !
Pourquoi tout cela donc ? Qu’avons-nous donc fait pour en arriver là ?
Je ne pratique pas la délation et ne dénoncerai pas la personne responsable de tout cela. Mais, toc toc toc Dr. Freud, ne pourrions-nous pas mettre cela sur le compte du Péché d’orgueil, un de plus ? Ces épreuves sont le dernier râle de sa réforme qui est un échec cacophonique de bout en bout ! Souvenons-nous, ça a commencé, par ces images de Mantes-La-Jolie. Dans une démocratie donc. Des lycéen·nes à genoux. Droits de… ?
La République ! Liberté d’expression ! On nous rebat les oreilles avec depuis l’assassinat de Samuel Paty. À nouveau, elles sont à géométrie variable. Celles qui les arrange, quand ça les arrange, pour celles et ceux que ça arrange.
Julien T.Marsay, professeur de Lettres en lycée.
Votre témoignage apporte sa pierre au monument dressé à l’incompétence, à l’autoritarisme, au mépris et à l’arrogance de ce ministre. Mais il faut aussi considérer la responsabilité des services rectoraux dans ce que vous décrivez. La désorganisation des services de l’Etat est à son comble mais les prémices de cette désorganisation ne datent pas d’hier. En tout cas, il me semble que l’on peut dire désormais que la baccalauréat est en coma dépassé. Espérons que ce qui le tue, ne tuera pas le Lycée.
Il faut que nous sortions de l’état de sidération dans lequel la politique éducative inepte de ce gouvernement nous a plongés pour enfin nous préoccuper de reconstruire. Et là çà risque d’être aussi très dur…
Je peux apporter ma pierre à la pièce montée .
Prof à temps partiel en lycée en 1ère techno (choisie) , j’ai été convoquée à l’écrit et à l’oral (une soixantaine de copies et une soixantaine de candidats ) en série générale . Selon les caprices (du rectorat ? ) , certains collègues ne vont qu^à l’écrit, d’autres qu’à l’oral , d’autres partout et d’autres nulle part …Oeuvres non préparées , et si mes propres élèves sont évalués dans leurs travaux par quelqu’un qui a enseigné en série générale ? et si je n’arrive pas à enchaîner la pile de copies -dématérialisées, scannées dans le désordre – et les oraux (5 jours avec 30 kms de voiture avant 14 candidats , 7 le matin , 7 l’après-midi, 8h-18h , de La Princesse de Clèves à Montaigne en passant par tout ce que je n’ai pas pratiqué cette année, comment je m’appelle en sortant le soir ?
Ajoutons la surveillance (8 heures de philo et de français ) , mettez une demande polie concernant mes doutes sur mes capacités à bien remplir cette tâche , sur le respect des candidats , des enseignants , du travil et du sens de tout cela . J’ai reçu zéro réponse et me suis fait taper sur les doigts et reprendre avec paternalisme sur ma grande expérience : oui, j’ai 59 ans, je suis passée par Normale Sup, j’ai voulu enseigner sur le terrain et dans la vraie vie contrairement à beaucoup d’autres. Voilà plus de 30 ans que je vois de mauvaises réponses à de vrais problèmes et que ma compétence en de nombreux domaines , que ce soit le théâtre, la lecture, l’écriture ne trouve pas sa place dans l’institution . Si on faisait confiance aux enseignants et si on considérait le plaisir d’apprendre des élèves , on pourrait faire des merveilles . La machine à sélectionner tourne à plein et n’importe comment.