Via The Conversation, par Claude Lelièvre
Le taux d’abstention élevé lors des deux tours de la présidentielle met au premier plan la question de changer le fonctionnement des institutions, voire d’aller vers une Sixième République. Cela devrait induire aussi la question corrélative du fonctionnement de l’école républicaine pour qu’elle forme effectivement des citoyens participant à la vie politique du pays.
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Avant même l’élection présidentielle qui vient d’avoir lieu, le « Comité d’évaluation des politiques publiques » a déposé un important rapport d’information, enregistré le 8 mars de cette année à la présidence de l’Assemblée nationale, sur « l’évaluation des politiques publiques en faveur de la citoyenneté ». C’était déjà un véritable cri d’alarme.
Le constat général : « La désaffection des jeunes envers la politique est importante. Elle touche les partis politiques comme les institutions et conduit à relativiser l’importance de la démocratie. Elle se traduit par des pratiques différentes : une abstention en moyenne supérieure de dix points par rapport au reste de la population. Un vote par intermittence »
Le rapport indique une ambition clairement présente dans les programmes du secondaire à partir de 2013 : « une ambition à la citoyenneté qui s’est considérablement développée dans ses thématiques comme dans ses modalités : deux axes essentiels avec l’enseignement moral et civique (EMC) et l’éducation aux médias et à l’information (EMI) ; et en parallèle le développement de la démocratie scolaire ». Mais le rapport signale avec force que le « bilan est en deçà des textes : apprentissage du débat évité, transversalité de l’enseignement inexistante, démocratie scolaire rarement effective […]. Déçus, collégiens et lycéens tendent à se détourner des instances de démocratie scolaire ».
Mode « simultané », mode « mutuel »
L’un des deux facteurs expliquant le bilan décevant de « l’éducation morale et civique » tient donc à « la marginalisation de la démocratie scolaire » selon le rapport. Les travaux de Mme Géraldine Bozec (citée nommément) dont les recherches portent sur l’éducation à la citoyenneté et ses effets mettent effectivement en avant que les élèves gardent le sentiment de ne pas être entendus dans l’espace scolaire car les instances participatives développées ces dernières années ne modifient pas les rapports de pouvoir entre adultes et élèves.
À cet égard, il faut bien voir que cet état de fait est l’héritage d’une longue et étrange histoire qui tend à perdurer… Durant toute la première moitié du XIXe siècle, les deux « modes » pédagogiques qui se disputaient alors le leadership de l’école (à savoir le « mode simultané » des Frères des Écoles chrétiennes, et le « mode mutuel » de la Société pour l’Instruction élémentaire d’obédience politiquement libérale) considéraient à l’évidence que leur mode d’organisation scolaire devait être homologue au type de société qu’ils souhaitaient et soutenaient.
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L’étude dont parle Claude Lelièvre documente un constat qui remonte à loin. Je me souviens qu’André Legrand (recteur et DLC sous Jospin) avait coutume de dire que le droit s’arrête à la porte de la classe. Au prétexte que les jeunes sont dans une période de leur vie où ils apprennent la vie en société et par conséquent ne disposent pas de toutes les clés de la sociabilité, le système éducatif repose presqu’entièrement sur le déséquilibre entre les différents partenaires de l’acte éducatif, parents compris. L’autorité n’est pas à elle seule éducative et elle s’use si l’on s’en sert trop… Apprendre la démocratie se fait mieux en la vivant qu’en étant pris dans une communication paradoxale : d’un côté obéit, de l’autre deviens un citoyen libre et responsable. J’attends une analyse du harcèlement scolaire comme l’un des résultats de cette communication qui rend fou (voir l’école de Palo Alto). L’organisation scolaire est obsolète du point de vue professionnel, du point de vue des besoins d’apprentissage des connaissances mais aussi – c’est le “pompon” – du point de vue de la construction de la citoyenneté (dont on nous rebat par ailleurs les oreilles en la faisant passer pour l’obéissance). La gauche ne porte aucun projet convaincant sur cette question pendant que le discours macronien vide de sens les mots nécessaires pour penser la démocratie.