Notre camarade Grégory Chambat, membre du collectif Questions de classe(s) sort un livre intitulé Quand l’extrême droite rêve de faire école, une bataille culturelle et sociale, Éditions du Croquant, 10 €.
Le livre est disponible dans toutes les librairies.
Il est déjà possible de le commander sur notre librairie en ligne.
Nous vous en proposons ici quelques bonnes feuilles.
Quand l’extrême droite rêve de faire école
L’extrême droite nourrit une obsession souvent méconnue pour la question scolaire. C’est là, selon Éric Zemmour, que « la bataille culturelle et politique se joue avant tout ».
Retour à l’ordre, roman national, élitisme, haine de l’égalité, rééducation de la jeunesse, mise au pas des personnels… au fil des polémiques sur le « grand endoctrinement » et des campagnes de délation des enseignant·es « déviant·es », la droite de la droite impose sa rhétorique et déroule son programme pour l’école : Autorité, Inégalité, Identité.
En remontant le fil de l’histoire, en allant voir du côté de l’étranger (Brésil, États-Unis, Hongrie, Turquie) ou en étudiant les villes laboratoires de l’extrême droite française, se lisent les dynamiques et les enjeux de cette contre-révolution scolaire conservatrice qui accompagne et inspire également l’agenda éducatif d’un néolibéralisme de plus en plus autoritaire.
Au-delà de la simple posture dénonciatrice, l’ambition de cet ouvrage est de doter d’outils historiques, pédagogiques et politiques celles et ceux qui n’entendent pas abandonner la critique du système éducatif aux seuls discours réactionnaires ni surtout laisser l’extrême droite faire école.
Introduction
« La méthode, c’est deux claques et au lit ! », Hugues Moutouh, préfet de l’Hérault, juillet 2023.
Aux antifascistes d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs,
« La bataille culturelle et politique se joue avant tout à l’école » martèle Éric Zemmour, annonçant que l’heure est venue de « révolutionner en profondeur » le système éducatif et de résoudre ses « graves problèmes ». Quant à Marine Le Pen, en qualifiant la politique scolaire de Jean-Michel Blanquer non seulement de « victoire idéologique » du Rassemblement national mais « même maintenant [de] victoire politique », elle savoure l’hégémonie d’un discours réactionnaire sur l’école qui a émergé dans les années quatre-vingt. Comme elle l’avait déjà fait par le passé, l’extrême droite est aujourd’hui parvenue à focaliser le débat sur l’éducation autour de son vocabulaire, de son agenda et de ses valeurs.
l’extrême droite est aujourd’hui parvenue à focaliser le débat sur l’éducation autour de son vocabulaire, de son agenda et de ses valeurs.
Dans les médias, dans les municipalités qu’elle dirige, mais aussi dans les têtes et dans les discours, elle est en passe de remporter sa bataille scolaire. Sur les réseaux sociaux, les « Parents vigilants », dans le sillage de Zemmour, déversent leur haine à travers d’ignominieuses campagnes de délation à l’encontre d’enseignant·es accusé·es de pervertir et d’endoctriner la jeunesse. De leur côté, les intégristes catholiques de Civitas dénoncent une « propagande grossière des théories subversives et déconstructrices de la famille naturelle et traditionnelle » et une « folle idéologie contre nature du genre ».
Les idéaux affichés jusque-là par l’école publique sont balayés : la sélection sociale est pleinement assumée avec, au programme du Rassemblement national, la possibilité d’être orienté·e dès la classe de cinquième (12 ans) ou encore la fin de l’éducation prioritaire et du collège unique. Toute velléité de lutter contre les inégalités sociales est écartée, l’idée étant de limiter l’accès aux bourses aux seul·es « méritant·es » et de renoncer à la démocratisation scolaire. L’idéal républicain et laïque est dévoyé et instrumentalisé au profit d’une logique de stigmatisation et d’exclusion.
Pédagogiquement, l’appel à la restauration de l’autorité du maître préfigure un modèle scolaire totalitaire. Le repli sur les seuls fondamentaux (lire, écrire, compter) tourne le dos à l’ambition d’un accès égalitaire à des savoirs critiques et libérateurs, ouverts sur l’autre et sur le monde.
Pédagogiquement, l’appel à la restauration de l’autorité du maître préfigure un modèle scolaire totalitaire. Le repli sur les seuls fondamentaux (lire, écrire, compter) tourne le dos à l’ambition d’un accès égalitaire à des savoirs critiques et libérateurs, ouverts sur l’autre et sur le monde. L’encadrement et la militarisation de la jeunesse, avec le Service national universel (SNU) est à l’ordre du jour, avant que ne soient bientôt exigés l’uniforme scolaire et le salut quotidien au drapeau… Cette obsession nationaliste aurait à s’imposer jusque dans la définition même des programmes de manière à mettre en place un roman national afin de « faire naître, développer et affermir les sentiments patriotiques et la conscience de l’unité nationale » (proposition de loi Le Pen, février 2021).
Et cette croisade identitaire ne se cantonne pas à la France. Elle sévit aux quatre coins de la planète, depuis le Brésil de Bolsonaro jusqu’à l’Inde de Mobi, en passant par la Hongrie d’Orban ou l’Amérique de Trump.
Là-bas comme ici, ce sont les mêmes cibles, les mêmes recettes, la même volonté de « rééduquer » la jeunesse et de mettre au pas les personnels.
Ici comme là-bas, l’extrême droite ne rôde pas seulement à la porte des établissements scolaires, elle y fait déjà son nid. D’autant que sa croisade réactionnaire accompagne et inspire l’agenda éducatif d’un néolibéralisme de plus en plus autoritaire. En matière d’éducation aussi, les politiques publiques actent une dérive illibérale dont témoignent les déclarations et les réformes de ces dernières années.
L’école identitaire n’est plus seulement une menace, elle est déjà un projet qui se met progressivement en place et gangrène l’institution, malgré les résistances de personnels décidés à lui opposer un autre modèle social et pédagogique et un autre imaginaire éducatif.
L’école identitaire n’est plus seulement une menace, elle est déjà un projet qui se met progressivement en place et gangrène l’institution, malgré les résistances de personnels décidés à lui opposer un autre modèle social et pédagogique et un autre imaginaire éducatif. Si, dans ce domaine comme dans d’autres, l’extrême droite a gagné la bataille des idées, nous faisons le pari que nous n’avons pas encore tout à fait perdu la partie. Pour mener à bien ce combat, une connaissance fine de la contre-révolution scolaire à l’œuvre, de ses racines, de sa rhétorique et de ses réseaux, est nécessaire. C’est l’objet des pages qui suivent : doter d’outils historiques, pédagogiques et politiques celles et ceux qui n’entendent pas laisser l’extrême droite faire école ni lui abandonner le monopole de la critique du système éducatif tel qu’il fonctionne.