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Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?

Nous publions en billet de Une ce texte de Françoise Lorcerie, Directrice de recherches au CNRS (IREMAM), Aix-en-Provence, paru précédemment dans l’Antidote n° 20 du site des Cahiers pédagogiques*.

L’enseignement de la langue arabe en France a fait l’objet d’une vive polémique au printemps 2016. Il n’y a pourtant rien de nouveau à cet enseignement, très ancien en France. Sur cette question, il semblerait bien que les peurs l’emportent sur les mensonges.

«  Vous introduisez officiellement l’étude de la langue arabe dans le programme national (…) Ne croyez vous pas que l’introduction des langues communautaires dans les programmes scolaires encouragera le communautarisme qui mine la cohésion nationale ?  » Annie Genevard, députée LR du Doubs, question à la ministre de l’Éducation nationale, 25 mai 2016.

L’arabe n’est pas une langue étrangère comme une autre. C’est la langue des Maghrébins de France (du moins une de leurs langues, il y a aussi les berbères). Et c’est la langue de l’islam. Les Maghrébins incarnent la survivance sur le territoire français de l’échec colonial. S’ils sont là, c’est parce que nous sommes allés au Maghreb en conquérants, et que les échanges matériels et humains se sont multipliés pendant des décennies entre l’Hexagone et son vis-à-vis sud méditerranéen : les routes migratoires suivent en l’occurrence des routes tracées bien avant pour tout autre chose.

Certes, pas besoin de passé colonial ni de proximité directe pour que les migrations affluent. Nous n’avons pas colonisé la Chine. Mais les Maghrébins incarnent la dimension proprement postcoloniale de la France du XXIe siècle : le temps où la Méditerranée traversait la France. C’est bien parce que quelque chose du statut d’«  indigène  » demeure sur eux que le sociologue Abdelmalek Sayad, ami de Bourdieu, pouvait déclarer que «  l’Algérien  » était «  le plus immigré des immigrés  », le parangon de l’immigré, celui auquel l’entrée dans la communauté des citoyens est refusée plus facilement qu’accordée, même si le droit proclame l’égalité des individus.

«  N’en déplaise aux députés à courte vue, la langue arabe ne fait pas son entrée à l’école de la République avec Najat Vallaud-Belkacem : l’agrégation a été créée en 1906 par un décret d’Aristide Briand. Et la première institution à proposer des cours d’arabe fut… en 1530 le Collège des lecteurs royaux, ancêtre du Collège de France.  » («  Deux cent ans d’arabe à l’école  », Juliette Rigondet, L’Histoire, octobre 2016).

Quant à l’islam, que dire ? On sait bien que le principe de laïcité garantit à tout un chacun une pleine liberté de conscience, impliquant la liberté de pratiquer et de manifester sa religion «  individuellement et collectivement, en privé et en public  », sans «  autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui  », selon les termes de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 – et celle-ci s’impose à nous non pas d’une façon théorique mais dans les faits, puisqu’elle est contrôlée par la Cour européenne des droits de l’homme devant laquelle les plaintes arrivent le cas échéant.

Dans les faits, l’islam et ses pratiquants suscitent la peur. Le contexte international y est pour quelque chose, mais aussi le rapprochement passionné que font les médias français entre les abominations du djihadisme violent et les mœurs des musulmans en France. Le djihadisme violent a fait des centaines de morts à Madrid bien avant Paris et Nice, les Espagnols ne s’en sont pas pris aux façons de vivre des musulmans. En France, il alimente un sursaut d’assimilationnisme. On demande aux musulmans de disparaître de la vue.

Dans ce contexte, impossible de faire des propositions sur l’enseignement de l’arabe à l’école sans avoir, explicitement ou non, une position normative sur des questions clivantes telles que l’intégration ou l’assimilation, la pluralité culturelle ou le communautarisme, la laïcité et l’islam, la délinquance dans les quartiers, etc. Avoir un enseignement d’arabe à l’école est une situation dont les dimensions politiques au sens le plus viscéral du terme risquent à tout moment d’apparaître au grand jour et d’entraîner le conflit, jusqu’au sein de la salle des professeurs.

7 500 élèves en France

Ouvrir un enseignement d’arabe est un combat pour les responsables scolaires à tous les niveaux, en fermer est bien plus facile. C’est ainsi qu’à Marseille, quelques dizaines d’élèves tout au plus suivent un enseignement d’arabe LV1, LV2 et LV3 dans le public, quand le vivier des apprenants ayant des liens avec un pays dont l’arabe est langue nationale se monte à des dizaines de milliers, sans compter les familles intéressées par la connaissance de l’arabe pour raisons religieuses seules. A l’échelle de la France, seuls quelque 7 500 élèves apprennent l’arabe dans le second degré.

Les élèves inscrits à un «  enseignement de langue et culture d’origine  » (ELCO) en arabe, en primaire pour l’essentiel, ne sont guère plus nombreux : 48 000 à la rentrée 2016 (chiffres un peu forcés semble-t-il, donnés par la ministre en annonçant la transformation progressive des ELCO en enseignements internationaux de langues étrangères, EILE). Devant le faible nombre des apprenants en collège et en lycée, le concours du CAPES a été suspendu plusieurs fois ces dernières années.

Pourtant les micro initiatives ne manquent pas. Sous le titre «  L’arabe au ban de l’école  », Florence Aubenas a consacré dans Le Monde un papier remarquable à la question de l’arabe à l’école après l’incident de la fête de l’école de Prunelli-di-Fiumorbo en Corse, au printemps 2015. Des institutrices avaient voulu faire chanter leurs élèves dans les cinq langues qu’ils connaissaient, dont l’arabe et le corse, en lissant les inégalités de statut de ces idiomes. Elles ont dû battre en retraite devant l’opposition virulente de quelques parents, mais leur action montre bien l’idéal qui était le leur : prendre en charge la diversité réelle des cultures familiales et scolaires et lui donner une expression symbolique festive.

Il se monte en divers lieux des projets de classes «  langues et cultures méditerranéennes  » (LCM), avec arabe et langues anciennes, arabe et italien, arabe et hébreu… Mais ces projets sont fragiles, ils ne disposent pas d’enseignant statutaire affecté, ils reposent souvent sur l’investissement très actif d’un tandem d’enseignants avec le soutien de leur chef d’établissement, et si l’un des acteurs vient à faire défaut, c’est le projet qui disparaît.

Cela ne fait pas pour autant l’affaire des associations, qui sont souvent présentées comme concurrentes de l’enseignement public : l’enseignement associatif est loin de prospérer. Il aurait environ 60 000 élèves. C’est bien peu relativement au vivier potentiel. Et comme les structures ne sont pas financées sur fonds publics, au nom du risque de communautarisme ou bien de la laïcité (si ce sont des dispositifs de mosquée), les parcours d’apprentissage sont des plus aléatoires.

La France a peur de la langue arabe. Florence Aubenas raconte l’anecdote suivante. Il y avait un colloque universitaire sur la littérature arabe. L’un des professeurs invités, un Libanais, a vu débarquer la police dans sa chambre à six heures du matin : il avait reçu de son fils un fax en arabe et l’hôtelier s’était alarmé…

Françoise Lorcerie

* http://www.cahiers-pedagogiques.com/Qu-est-ce-qui-ne-va-pas-avec-l-arabe-a-l-ecole

7 Comments

  1. François Spinner

    Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?
    Moins de 200 professeurs d’arabe certifiés ou agrégés pour enseigner dans le second degré dans l’EN… Tout est dit !

    Il faut enseigner l’arabe dans le service public
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/02/11/il-faut-enseigner-l-arabe-dans-le-service-public_4364171_3232.html?h=11

    L’enseignement de l’arabe en France
    https://hommesmigrations.revues.org/870

    Résultats des concours d’arabe – Session 2016 [8 admis]
    http://www.langue-arabe.fr/resultats-des-concours-d-arabe-session-2016

    • Fabienne Thomas

      Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?
      J’aimerais commenter un peu cette phrase:
      Le djihadisme violent a fait des centaines de morts à Madrid bien avant Paris et Nice, les Espagnols ne s’en sont pas pris aux façons de vivre des musulmans. En France, il alimente un sursaut d’assimilationnisme. On demande aux musulmans de disparaître de la vue.
      Les espagnols se sont habitué à l’Islam qui a été la religion de la classe dominante pendant des siècles. Ce qui n’empêche pas certains espagnols (surtout les andalous) de rejeter -parfois violemment- les populations immigrées du Maghreb.
      En France, tout communautarisme visible est vécu comme un échec de la République. Cela tient sans doute à la construction particulière de notre identité nationale. Les particularismes régionaux, religieux et autres ont été effacés de l’espace public. Quand j’étais gosse, les gamins qui arboraient une médaille de saint étaient montrés du doigt et les professeurs les priaient régulièrement de la cacher sous leurs vêtements. Ca n’avait rien à voir avec l’Islam ou le Jihadisme.
      Maintenant le problème de l’apprentissage de l’arabe à l’école ? Je ne suis pas sûre que le problème soit tellement différent de celui de l’apprentissage de l’italien ou du russe ou autre également marginal: un problème de gros sous tout simplement non ? C’est plus facile et moins coûteux d’organiser un apprentissage massif de l’anglais, de l’espagnol et de l’allemand et des réserver l’arabe, le russe, le chinois, japonais et autres à une poignée de privilégiés.

  2. anne querrien

    la règle budgétaire qui veut que quand on crée un enseignement au collège on en supprime un autre
    Quand j’étais à la FCPE dans un collège parisien et que nous avons demandé la création d’un enseignement d’arabe LV2 ou même LV1, la principale et les enseignants nous ont répondu: Vous voulez qu’on licencie la professeure d’allemand pour installer l’enseignement de l’arabe à la place? Budgétairement on ne peut pas faire autrement.
    Avec notre horreur de gauche du licenciement nous avons battu en retraite.
    Avec des règles budgétaires comme celle-là on condamne le système à l’inertie.

  3. Rob

    Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?
    Il faudrait déja que nos enfants aprennent l’Anglais correctement voir l’Espagnol. 2 langues très répendues dans les pays avec lesquels nous échangeons le plus économiquement. Une fois acquises ces langues, nous pourrons peut etre nous pencher sur le Japonais, l’Arabe, le Russe, ou toute autre langue supplémentaire. Pour l’instant les Français passent pour des guignols dans beaucoup de pays parlant très bien l’Anglais, y compris les pays du Magreb …

  4. Alain ALSEMO

    Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?
    S’il est tout à fait important d’enseigner la langue arabe en France, ce n’est certainement pas pour les raisons évoquées ici, à savoir parce que la France a un passé colonisateur et… parce que c’est la langue de l’islam !
    Désolé, c’est un discours d’idiots utiles.

    PS : Je ne partage pas les opinions du Front National, mais je ne suis pas d’accord avec cette analyse.

  5. Hanachi Baya

    Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?
    Il n’y a pas longtemps, les meilleurs étudiants arabes, venaient parachever leurs étudies en langue et civilisations arabes en France où des professeurs et savants éminents arabisants, dispensaient leurs cours à la Sorbonne et au Collège de France, pour ne citer que deux d’entre eux, je nommerai : Jacques Berque et André Miquel qui ont formé des générations de docteurs es Lettres et Sciences humaines.
    Ces docteurs retournaient chez eux répandre non seulement l’enseignement de leurs disciplines mais aussi les valeurs de la France des Lumières.
    Entre guerre et paix, des siècles ont tissé des relations et des liens profonds entre les Arabes et l’Occident. Grâce aux traductions des œuvres arabes et aux échanges de tout ordre (commerciaux, culturels, scientifiques, sanguins, etc.) une civilisation occidentale est née et est devenue florissante.
    L’apprentissage de l’arabe ne doit pas être laissé aux charlatans auxquels recourent, faute de mieux, des familles qui désirent que leurs progéniture apprenne leur langue d’origine et de leur religion. Il doit être pris en charge de façon systématique par l’école de la République et cela dans l’intérêt de tous. C’est, contrairement à ce qu’avancent à grands cris, les tenants d’une haine tenace, un élément moteur de l’intégration des enfants d’origine maghrébine “de n génération”.
    Merci à l’auteur de l’article qui a suscité ma réaction. C’est d’hommes et de femmes comme lui que la France a besoin aujourd’hui pour former des citoyens qui s’inter-respectent, conscients de leurs droits et de leurs devoirs. Que se réactivent et vivent dans les écoles, dans les institutions et dans toute la société, les réelles valeurs d’Egalité, de Fraternité et de Liberté. Que l’école sauve ce pays riche entre autres de langues, de cultures, de jeunesse et d’idéaux.

  6. Emile Combes

    Qu’est-ce qui ne va pas avec l’arabe à l’école ?
    Ce qui ne va pas avec l’arabe… littéraire et coranique?

    Une ré-islamisation mondiale des musulmans via le(s) salafisme(s) (wahhabisme, frères musulmans, etc) dont la seule “patrie/nation” est l’oumma. Sa langue, l’arabe littéraire/coranique, liée à un message religieux incréé est donc “intouchable”. C’est la raison pour laquelle n’importe quel musulman qu’il soit Indonésien ou Français psalmodie le coran appris par coeur en…arabe. On notera ainsi une arabité (asabiyya (Ibn khaldoun)) qui n’est pas raciale. La rente pétrolière et gazière des pays du Golfe a permis cette ré-islamisation. Le djihadisme de la tribu des Saoud qui n’a rien à envier à celui de l’Etat islamique a permis la conquête de toute l’Arabie dans les années 30!
    Prenons un exemple de ré-islamisation de masse. La seule université des sciences islamiques de Médine forme 15 000 étudiants par an dont 80% ne sont pas saoudiens. Ben Laden et Abdullah Azzam n’étaient pas des délinquants de banlieue. Ils ont étudié à l’université des sciences (sic!) islamiques de Jeddah où ils ont eu comme professeur le frère de Sayed Qobt l’un des théoriciens des frères musulmans égyptiens pendu par Nasser en 1966 . Il ne suffit donc pas de s’appuyer sur une histoire passée qui enjolive les relations inter-communautaires mais sur celle d’aujourd’hui (i.e depuis les années 60 sinon depuis le début du XXème s.) qui voit la ré-islamisation s’accompagner de violences – djihadisme dit mineur (sic!) – y compris au sein de l’islam (fitna) L’islam a toujours su intégrer la “modernité” – un thème de discussion (disputatio) récurrent chez ses “penseurs” (nahda au XIXème s. (cf. le débat entre Ernest Renan et Jamal al Din al-Afghani à Paris)) Les K7 audio pour l’Ayattolah Khomeiny (chiite) ou le Cheikh Kisch (Egyptien sunnite), entre-autres, puis les paraboles, les CD et enfin Internet (et y compris les poupées Barbie voilées qui récitent le coran!) ont démultiplié la diffusion et le prosélytisme islamique. Dans le sunnisme (80% des musulmans) en particulier, il n’y a aucune hiérarchie car tout musulman est un “lieutenant (calife) de dieu” sur terre (coran II, 30)
    La sécularisation profonde des Français d’origine païenne puis chrétienne (le christianisme s’incarne (le Christ sur une croix)) ne permet plus d’entendre une religion qui est foncièrement un projet politique (dixit la traduction française du coran admise par l’université de Médine) totalitaire fondé sur un corpus de lois (shariah) immuables Son prophète, lui, n’est ni représenté ni adoré! En revanche, parole d’athée, essayez de faire comprendre la transsubstantiation à un musulman! Il faudrait d’abord en finir avec l’histoire du “fait religieux” – notion contestée par le philosophe Rémi Brague – qui met sur le même plan les trois monothéismes. Allah est “unique” et n’a jamais été précédé de deux dieux différents puisque dans le coran les juifs et les chrétiens sont des “égarés” et n’ont pas été “bien dirigés” – sourate Al-Fatiha – que les musulmans psalmodient…17 fois par jour! Si on ne peut séparer la langue arabe des textes sacrés (coran, hadiths) qui la consacrent quelle option avons-nous? Dans les systèmes scolaires arabo-musulmans on n’enseigne pas la langue parlée vernaculaire (dialecte) qui est différente d’un pays à l’autre (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, etc)

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