KroniKs de Robinson 571
Une des tendances actuelles des administrations, institutions, établissements est de transformer les problèmes rencontrés avec les individus, comme avec les familles, les groupes, voire les communautés, en problèmes de relations.
Relations contre positions
Cette tendance à qualifier et justifier toute rupture de service, tout refus de prise en compte, toute exclusion, au nom de problèmes relationnels rend de nombreux services et résout de nombreuses contradiction.
En effet, procéder ainsi permet:
1- de donner une image décontextualisée des situations conflictuelles; il n’y a plus d’historique, plus de temporalité. Il n’y a plus qu’un temps étal : celui où on ne s’entend pas. Celui-ci n’a ni début, ni fin, ni causalité, ni contexte. Cette rupture dans le fil historique concourt à rendre la problématique absurde, incompréhensible[rouge] et conforte la mise en cause personnelle, tout y privant l’acteur social de toute prise possible.[/rouge]
2- Cette manière d’agir participe d’un mouvement bien plus large qui vise à l’individualisation de tout traitement, de toute relation. C’est un peu comme s’il n’y avait plus de droit commun, ou de droit général. [rouge]Tout serait dorénavant soumis à bonne relation[/rouge]. Individualiser des problèmes qui se massifient , cela permet d’éviter toute prise de conscience de nature sociale ou politique. On ne peut plus comprendre les grands contextes et les mouvements. Tout apparaît comme une somme d’histoires personnelles déliées les unes des autres. Chacun devient ainsi responsable de sa propre problématique et donc aussi de tous les avatars qui en découlent. [rouge]La relation sert alors à valider et acter une série de jugements, d’aprioris et de limites qui étaient déjà inscrits à l’origine de celle-ci.[/rouge]
3- « de psychologiser » ce qui est sociologique. Les rapports institutionnels ne sont plus vus que comme des sommes de relations personnelles. Tout serait expliqué par les caractéristiques de la personne elle même sans que bien entendu on se pose la question de leur génèse , de leur répétition, ou de leur prise en compte. [rouge]Dès lors face à des dysfonctionnements institutionnels flagrants, il ne reste plus qu’à faire appel à des raccourcis psychologisants[/rouge] ( Psychanalyse de Prisunic), ou de considérations pseudo philosophiques sur les égos, ou la supposée nature humaine… [rouge]On n’est plus à un stéréotype près.[/rouge]
4- De s’éloigner de toute notion de Droit et de dériver lentement vers le règne inquiétant du dogme du mérite . Ceux qui devraient être comptables et responsables des droits publics, des libertés, de l’équité en matière de traitement de la part des institutions, se laissent petit-à-petit gagner par l’acceptation de l’idée qu’au fond, tout ne serait qu’une question de mérite. Les défauts de droits vis-à-vis de groupes, familles, individus jugés non méritants ne seraient qu’à moitié graves, qu’à moitié condamnables, qu’à moitié répréhensibles. [rouge] C’est la morale paresseuse et impuissante du 50/ 50 (de responsabilité)[/rouge] . On ne fait plus de différence entre celui qui devrait (être garant, juste, équitable) et celui qui pourrait (être plus efficace , plus compétent mais qui est un ayant droit). Cela signifie bien entendu qu’on ne sait plus faire de différence entre les positions des uns et des autres . Et on pourrait même postuler qu’il s’agirait là d’une règle que l’on pourrait énoncer ainsi
[bleu]« Les problèmes de position, révélés par les manquements et dysfonctionnements des institutions et collectivités, sont occultés par l’invocation de problèmes de relations. »[/bleu]
5- Égarement au niveau de l’action
La focalisation sur la relation égare également l’acteur sur le plan stratégique. Ainsi nous sommes constamment portés à analyser les difficultés internes et externes de nos équipes en termes de communication. Nous croyons toujours qu’il faudrait communiquer davantage, mieux. Nous n’imaginons des solutions qu’en termes de médiations ou d’intermédiations. Mais ceci ne résout pas les problèmes; le plus souvent d’ailleurs, ça les empire. Car les problèmes rencontrés ne sont pas des problèmes de relations ou de communications, mais de position et d’organisation.
[rouge]Le remède c’est l’organisation, pas la médiation qui n’est qu’un pis aller[/rouge] qui aboutit à lisser, dépolitiser, circonstancier et à rendre illisbles la vraie nature des difficultés.
Positions contre transitions nécessaires
Face à la nécessité de changer les pratiques les plus élémentaires ou à l’impuissance à soutenir une action innovante (ce qui supposerait de prendre des risques et de s’engager , et reviendrait à prendre conscience de positions insupportables de soumission et d’iniquité, en particulier) , il est évidemment plus facile de tout transformer en affaires de « relations » ou de « personnes ». Il y aurait ainsi les structures et les partenaires reconnus (ceux qui ne remettent rien en cause), et ceux qui ne le seraient pas.
[rouge]Aux uns les moyens, les soutiens, aux autres les reproches … de ne pas avoir assez de moyens et de ne pas être assez soutenus.
[/rouge]
L’incapacité pour les structures, les équipes, les professionnels, à aller au delà des considérations de relations, révèle en réalité l’impuissance de ces acteurs à être eux mêmes soutenants, c’est à dire à faire oeuvre d’engagement et d’endurance.
Il existe des relations difficiles, parfois épuisantes; mais il existe sans doute tout autant des positions impossibles, car remplies de doubles contraintes : [rouge]entre vouloir faire mais sans que rien ne change; inciter à l’initiative tout en soutenant les mêmes; invoquer la participation et l’empowerment et tout règlementer, exiger l’autonomie mais la définir comme étant la soumission à un contrat ….[/rouge]
Faire face à ce faisceau de doubles entraves, ne peut passer que par la mise en cause des positions admises, et d’abord par la prise de conscience des acteurs sur ce qui se joue et ce qui agit au delà des anecdotes et circonstances.
Il faut comprendre, qu’en tant qu’acteur social, tant qu’on se contentera des pratiques d’accompagnement , voire de l’accueil ou de l’écoute, on ne changera rien à tout ce qui est de l’ordre du dur, de la structure , ni « des positions ».
Vouloir transformer les choses et à commencer par les rapports (avec les institutions, les collectivités notamment) par définition s’oppose aux cadres dans lesquels nous nous enfermons souvent (ou bien où nous sommes enfermés)
Et pourtant il ne peut y avoir ni changement, ni évolution, sans penser hors du cadre et apprendre à bouger les positions.
Relations, positions, transitions
[rouge]Ainsi , nous en arrivons au véritable problème: celui de la transition[/rouge]. Cette transition entre les pratiques et postures issues des années 70 et celles à créer, aujourd’hui.
C’est toute une culture de la transition qu’il faut développer, qui met en cause les positions rigides et qui nous pousse à adopter un autre regard sur les relations qui en découlent.