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Pédagogie ou usurpation ? A propos du Petit Lavisse confisqué par Dimitri Casali

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Laurence de Cock revient, pour le site Aggiornamento sur la publication par Armand Collin de la réédition du Petit Lavisse et du choix de confier cette entreprise à Dimitri Casali…

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L’article est accessible ici ->http://aggiornamento.hypotheses.org/1581]
Rédactrice : Laurence De Cock

Je ne reviendrai ici pas sur le projet Armand Colin de rééditer le Petit Lavisse (et pourquoi pas ?) et d’en confier l’augmentation à Dimitri Casali, auteur médiatique réputé pour ses prises de position très violentes contre les programmes de collège accusés de sacrifier l’histoire nationale sur l’autel de la repentance. Le collectif Aggiornamento a suffisamment décrypté et dénoncé ces sulfureux discours et Eric Fournier a fourni une exhaustive analyse de cette curieuse et regrettable décision éditoriale. J’aimerais juste me concentrer sur un aspect saillant de la justification de l’auteur face aux critiques qui lui sont régulièrement faites lorsque l’occasion est donnée à quelques historiens ou représentants de l’éducation nationale de lui apporter la contradiction. La réponse de Dimitri Casali, invariable, consiste, en une posture typiquement anti-intellectualiste, à prétendre ne s’adresser qu’aux enfants, « en pédagogue », qui n’entendent rien à ces débats de spécialistes. La pédagogie,prétend-il, se réduit à simplifier et enchanter à l’extrême le passé par des procédés-chocs d’inculcation spectaculaire de grandes figures et dates-repères au service de la gloire nationale. Féru recycleur de formules préfabriquées resservies sur chacun des plateaux de télévision[1], Dimitri Casali a finalisé sa réflexion pédagogique dans un procédé novateur qualifié d’«historock » aujourd’hui d’ailleurs pédagogiquement validé par le site d’extrême-droite Boulevard Voltaire créé par Robert Ménard qui présente Dimitri Casali ainsi: « Il est aussi le créateur d’un concept pédagogique novateur, Historock, pour sensibiliser les plus jeunes à l’Histoire par la musique rock (Napoléon l’Opéra Rock) ».

Personnellement, je soutiens cette volonté de faire appel à des méthodes alternatives plébiscitées par l’Education nouvelle et permettant de varier les situations de classe, les ressources, et les activités des élèves. Toute méthode, à partir du moment où elle sollicite la participation et l’esprit critique est sans nul doute à défendre. Je reste néanmoins sceptique (allez, je confesse ma ringardise) sur les vertus éducatives ou intellectuelles d’une participation consistant à s’égosiller en clamant « Mais qui a gagné éééé à Waterloooo (…) contre l’Europe des rois oi oi coalisé ééé-e », ne comprenant pas réellement quel autre but est recherché que la communion autour des faits et gestes de l’Empereur. Dans ce cas, on conviendra qu’il ne s’agit pas stricto sensu de pédagogie de l’histoire, mais d’un véritable catéchisme du national. Mais que ne faisons nous encore du mauvais esprit ; le projet de poursuivre le Petit Lavisse ne révèle-t-il pas un sincère dévouement à l’enseignement de l’histoire ? On peut en effet admettre qu’Ernest Lavisse était vraiment attaché à une pédagogie de l’histoire, dans le contexte qui était le sien, à savoir l’accompagnement d’une conscience républicaine et nationale dans une France en construction.

Ce souci didactique se lit à travers le style délibérément empathique, et surtout systématiquement dialogique : « Vous voyez que Saint-Louis est bien fatigué » écrit-il par exemple en commentant l’une des nombreuses illustrations du Petit manuel. L’ensemble du livre, peu soucieux des frontières entre l’histoire et la fiction, raconte une épopée héroïque et assume une forme de pédagogie des affects aujourd’hui certes caricaturale et surannée mais pensée à l’époque comme une nécessaire adaptation au public visé. D’où l’usage immodéré d’adjectifs qualificatifs : « plus juste des rois », « les méchants seigneurs », « un roi très brave » etc. D’où également la fameuse phrase lavissienne confisquée à son tour par le répertoire casalien : « L’histoire ne s’apprend pas par cœur, elle s’apprend par le cœur ». Le petit Lavisse se présente donc comme une alternance de vignettes et de récits. Les images sont à la fois illustrations et prétextes à poursuivre le récit par une interpellation assumée de l’enfant. Elles ne sont pas des sources comme dans les manuels d’aujourd’hui puisqu’elles sont produites pour le livre d’histoire, mais elles ne sont pas non plus de simples décorations ; elles jalonnent ce qui ressemblerait peu ou prou à un souci de démonstration et surtout d’interactivité. Les pages se terminent également par un bilan où les mots-clés sont en italique et petit questionnaire récapitulatif qui évalue la compréhension de lecture et de description des images ainsi que la capacité de restitution des connaissances.

Illustration 1 : l’image comme source d’interpellation des élèves au sein de la narration

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Illustration 2 : Un exemple de questionnaire-bilan (restitution de connaissances, élaboration d’hypothèses, description des images)

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Dans le cadre d’une histoire de l’enseignement de l’histoire, le petit Lavisse ne peut donc pas être réduit, comme le font ses contempteurs, en vecteur caricatural d’une vaste entreprise de propagande patriotique et républicaine. Produit de son temps, il témoigne également d’une réflexion en cours sur une didactique de l’histoire.

Il fallait donc un certain panache pour prétendre poursuivre cette œuvre datant de plus d’un siècle. La gageure imposait de se mouler dans l’historicité propre de cette genèse de l’enseignement républicain de l’histoire ; d’en adopter/adapter le registre de langue et le procédé pédagogique. Or, disons le, le résultat est grossier. Peu scrupuleux des réflexions sur l’enseignement de l’histoire, le texte repris par Dimitri casali (40 pages à partir de la Seconde Guerre mondiale) ne s’encombre d’aucun souci de fidélité ni au style, ni à l’entreprise lavissiens ici caricaturalement instrumentalisé comme tremplin du fidéisme nationaliste du nouvel auteur. Ainsi voit-on disparaître la perspective interactive dans le récit[2]. A aucun moment Dimitri Casali ne s’adresse aux enfants prétendus-lecteurs. Outre quelques emphases attendues à la gloire de héros nationaux, le registre de langue n’a rien de comparable avec Lavisse. L’écriture est desséchée, descriptive, sans aucun usage didactique, au sein du récit, de l’iconographie réduite à la plus élémentaire illustration.

Le questionnaire final s’avère parfois très problématique, notamment lorsque, p191, est demandé « Le maréchal Pétain s’engage-t-il dans une politique de collaboration ? », rendant implicitement recevable une réponse négative.

Problématique également lors du passage sur la guerre d’Algérie où s’enchainent à la fin trois questions à partir de l’illustration suivante : (P215) :

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(illustration : Marc-Olivier Nadel)

– Observer (sic) l’image page 214 Pourquoi cette femme quitte-t-elle l’Algérie avec cette lourde valise ?

– Comment le général de Gaulle a-t-il mis fin à la guerre d’Algérie ?

– Quel fut le bilan humain de la guerre d’Algérie ?

Il va de soi que l’élève étant préalablement appelé à s’inspirer de l’iconographie, la dernière réponse sera uniquement conditionnée par la lecture de l’image, appelant une réponse uniquement focalisée sur la souffrance des Français(e)s d’Algérie.

Le questionnaire peut aussi confiner volontiers à l’absurde : « A ton avis, la reconstruction de la ville de Caen sera-t-elle courte ou longue ? » (p203) et à l’incompréhensible : « Comment la IVème république se distingue-t-elle ? » (p203).

Le sommet de la malhonnêteté réside enfin dans la conclusion où Dimitri Casali vend la mèche de toute l’entreprise : « Il existe non seulement une fracture sociale, mais aussi une profonde fracture nationale au sein même de la population française. Nos hommes politiques désemparés devant les enjeux du présent et les perspectives de l’avenir sont incapables de réconcilier les Français entre eux. Dans ce nouveau monde globalisé, plus notre identité se dissout, plus notre mémoire devient courte et plus la profondeur historique apparaît comme une nécessité ».

On admettra que le discours ne s’adresse guère aux enfants de 7-8 ans comme le prétend Dimitri Casali en introduction. Le petit Lavisse devient ici simple réceptacle de la vulgate médiatique des « historiens de garde ». Dès lors, comme souvent, il vaut mieux préférer l’original à la copie, car la question mérite d’être soulevée quant à la véritable nature de cette entreprise éditoriale : pédagogie ou usurpation ?

[1] « La vérité n’est ni toute noire ni toute blanche, elle est toujours grise » ou encore « La France est malade de son histoire »

[2] Dimitri Casali n’interpelle les enfants que dans le questionnement de fin de chapitre

1 Comment

  1. royer jean-charles

    Pédagogie ou usurpation ? A propos du Petit Lavisse confisqué par Dimitri Casali
    Laurence, te lire est un toujours un plaisir; je me joins à tes coups de massue contre une entreprise parfaitement méprisante de la vive intelligence des enfants.

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