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Parent au neutre et singulier : parentalité contre citoyenneté et sexualité , nouvelles normes sociales.

L’invention de la parentalité

Il fut un temps où le terme « parent » n’existait pas au singulier, ou alors si peu. A peine appelions-nous parent un petit cousin éloigné, et encore, un tel emploi de ce mot paraissait-il bien vieillot.

Nous n’employions ce singulier ni pour donner un titre aux autres, ni pour nous mêmes. Un adulte pouvait s’affirmer père ou mère, généralement d’ailleurs non sans référer ce titre à un enfant bien précis (« mère/père de … » ; mais parent, jamais.

Etre un parent au singulier était ainsi toujours comme dans l’expression « être le parent pauvre », synonyme de peu de distinction et de détermination.

Déclin du mariage et de la famille

C’est le divorce et les enfants du divorce qui ont enfanté le terme de parent sans pluriel et sans complément du nom. A partir de 1975, la loi affirme à la fois la possibilité de séparation des couples, et le principe de la continuité de la parentalité au delà de la conjugalité.

Les époux séparés s’ils ont des enfants, restent chacun « parent » au singulier.

Cette loi de 1975 va exprimer la fragilité sociale de l’institution du mariage, qui de fait ne va cesser de décliner, en nombre et en durée. Elle va amener dans l’espace public cette évidence déjà démontrée sociologiquement : le mariage n’est pas indissoluble. Il n’est même plus en quelque sorte la norme, encore moins une obligation.

Pour les adultes d’aujourd’hui le mariage s’offre à la fois comme une option à souscrire ou résilier, ou bien comme une possibilité répétitive (plusieurs mariages successifs) ou même comme une diversité de types de mariages (« mariage pour tous »).

Cette dispersion du mariage, qui constitue en quelque sorte sa libéralisation et la fin de son caractère sacré doit selon moi être abordée et comprise en lien avec un mouvement inverse et symétrique dans le domaine de la parentalité.

De la même manière et on pourrait dire au fur et à mesure que le mariage s’est désacralisé, la parentalité a connu un mouvement inverse de valorisation et de dramatisation.

A la fin du siècle dernier et plus particulièrement à partir des années 80, un véritable mouvement d’opinion s’est levé en France, qui a trouvé un écho considérable dans le traitement médiatique : il convenait de dénoncer et de lutter contre une tendance que l’on croyait repérer de toute part : la démission parentale.

« Les parents démissionnaires », véritables figures médiatiques modernes ont dès lors commencé à occuper le débat public et bientôt politique. En 1997 a d’ailleurs été organisée à l’initiative du gouvernement une Conférence Interministérielle sur la Famille (17 Mars 1997), destiné justement à faire avancer les connaissances et apporter des propositions pour solutionner un problème dès lors hissé au rang de problème national.

La parentalité : problème ou solution ?

Il peut paraître un peu paradoxal que c’est par l’affirmation de sa démission que la parentalité a été promue au rang de cause nationale et fera dès lors l’objet de nombreuses initiatives politiques et législatives.

Ce n’était évidemment pas une nouveauté que l’Etat s’intéresse ainsi à la famille ; mais ce soutien pendant deux siècles s’était particulièrement inscrit dans le cadre d’une politique de promotion de la natalité et de lutte contre la mortalité infantile.

Ce qu’il y a avait de nouveau avec le passage d’une politique familiale , à une politique parentale, telle que nous l’avons vu se mettre en œuvre, en France à partir des années 80, c’est que celle ci ne se justifiait plus au nom d’objectifs natalistes, mais de politique intérieure, plus au nom de la protection de l’enfance , mais de celle de la société .

C’est par l’annonce de son déclin que la parentalité devenait un thème politique majeur.

Ainsi nous avions d’un côté un véritable déclin celui de l’institution du mariage, notamment perçu par des travaux de sociologue dès la fin des années 70, comme Irène Théry (« le démariage »), mais qui ne semblait pas beaucoup intéresser les politiques publiques, et de l’autre, un déclin bien plus problématique à définir, celui de la parentalité, promis quant à lui à une véritable postérité.
Pour le dire autrement : le mariage en déclin ne semblait plus intéresser les politiques publiques, alors que la parentalité se voyait quant à elle promue « grande cause nationale ».

Parentalité et insécurité sociale

On ne saurait comprendre les raisons d’un tel transfert sans les mettre en lien avec un contexte social et politique, lié à la fin de la période de l’Etat providence, et l’avènement d’une nouvelle période politique et économique marquée par l’insécurité sociale : passage du salariat au précariat, de la promotion sociale au perpétuel risque du déclassement, des identités sociales et sociologiques fortes, à une société d’individus.

C’est dans ce contexte là que la parentalité a trouvé à s’épanouir comme problématique ; la parentalité apparaissait à la fois comme la cause et comme le remède de tous les maux à venir : maux éducatifs, délinquance, insécurité en pagaille, ghettos, incivilités.

Alors que la famille est toujours finalement représentée comme une institution extérieure au fonctionnement de la société, la parentalité dès la période de sa définition est apparue comme liée avec toutes les problématiques et politiques qui agitaient la société, à commencer par celle de l’insécurité.

La parentalité est ainsi présente en creux au cœur de toutes les lois dites sécuritaires, se donnant comme objectifs de lutter contre l’insécurité intérieure. la liste de ces lois, édifiées tant sous des gouvernements de droite comme de gauche depuis les années 2000 est longue : Lois LSQ 1 et 2, lois Perben 1 et 2 , loppsi 1 et loppsi 2, loi Sarkozy de prévention de la délinquance … Toutes ces lois ont en commun de se donner comme objectif de réprimer la délinquance tout en évoquant au passage la répression de la parentalité tenue directement ou indirectement (hypothèse du défaut de surveillance parentale) pour « responsable » de cette même délinquance.

La parentalité est d’autant omniprésente dans le débat public qu’elle est présentée à la fois comme problème et comme solution ; la parentalité démissionnaire est problème, alors que la parentalité positive serait la solution selon un récent rapport du CAS (septembre 2012, :: « Aider les parents à être parents, rapport du Centre d’Analyse stratégique, remis au Premier Ministre).

On voit dans l’usage que l‘on fait du terme, que cette parentalité dont on parle n’est pas la famille. La parentalité c’est avant tout le parent, et non un groupe, ni une institution, encore moins une association.

C’est un parent, un individu, donc éducable ; et d’ailleurs de nombreux rapports se proposent « d’éduquer les parents », comme on éduque les enfants, ou bien encore de les « re-parentaliser », ou plus banalement encore de les « responsabiliser » .

On pourrait reprocher à la famille comme institution de ne plus transmettre ou protéger ses membres ; différemment ce que l’on reproche à la parentalité c’est surtout un défaut d’éducation.

Exodétermination de la parentalité

Si la famille nourrit, protège, nomme, et transmet dans la plupart des sociétés humaines la parentalité elle, n’a visiblement qu’un seul rôle : éduquer l’enfant et particulièrement l’éduquer pour préparer sa vie en société, son intégration et sa capacité de vivre au sein des institutions.

Dès lors , soutenir la parentalité, objectif public depuis la circulaire CNAF de 1998, c’est soutenir en particulier cette mission éducative, ce qui immanquablement passe toujours par trois missions complémentaires : soutenir, pénaliser et guider.

Or ces trois modes d’action sont rigoureusement identiques à ceux qui sont destinés aux enfants et nous voyons ainsi que le parent, en tant qu’individu est toujours perçu comme une sorte de mineur, un « responsable » toujours en danger de manquer de responsabilité, un soutien toujours défaillant, un agent double et trouble.

Ainsi, l’invention de la parentalité, révèle l’usage politique de ce concept tout en dépolitisant en quelque sorte l’idée de la famille. Car une famille, comme la politique qui lui est liée, c’est une institution qui est inscrite dans une réalité politique, économique et sociale.

De toute évidence, au cours des âges, la préoccupation principale des familles n’a été qu’accessoirement d’éduquer les enfants (et encore faudrait il s’entendre ce que ce terme pouvait bien signifier pour une famille de l’Ancien Régime, ou même du XIXème siècle, par exemple). La première (pré)occupation des familles était en effet économique et consistait à favoriser l’activité de ses membres et d’assurer ses ressources.

Nous avons connu en France des modèles économiques « familiaux » : familles paysannes bien entendu pour lesquelles le travail de production se confondait avec la vie familiale ; mais aussi familles ouvrières mettant en commun les revenus du foyer, ou commerçantes, par exemple.

La fin du XXème siècle a coïncidé avec le déclin et la disparition de la plupart de ces « modèles économiques familiaux » ; il n’est pas étonnant que la dimension économique et politique des familles disparaisse alors de la pensée collective et sociale de notre temps.

Ainsi les parents sont décrits aujourd’hui depuis les institutions comme des individus, plus qu’un collectif, et en particulier comme des individus dépolitisés et non inscrits dans la division et le rapport au travail. Ils sont en quelque sorte « hors sol » de tout terrain de la réalité sociale.

Il n’est donc pas étonnant que l’image des parents telle qu’elle est représentée, décriée ou valorisée depuis les institutions soit un image si peu humaine.

Les parents, vus par les institutions ne peuvent en effet avoir qu’un seul intérêt, celui de la réussite de leur enfant, ce qui passe en général par l’adhésion à la représentation, et au fonctionnement des institutions elles mêmes.

Dans une telle mono-fonctionnalité de l’identité parentale, toute divergence vis à vis de ce soutien et de cet « intérêt » positif et désintéressé ne peut être qu’irrationnel, défaillant ou coupable.

Parentalité contre sexualité

Le parent, vu des institutions n’est que parent ; il n’est jamais homme ou femme, citoyen, travailleur, au chômage.

Il peut bien entendu être qualifié d’étranger, de précaire, d’isolé, issu d’une autre culture ou parlant une autre langue, et c’est même souvent le cas.

Mais de telles qualités (ou défauts) ne sont vues qu’en tant qu’attributs et généralement handicaps de cette parentalité même, et non pas comme des éléments intrinsèques d’une identité personnelle et collective.

De la même façon, le parent ainsi qualifié est-il largement désexualisé.
Il est désexualisé en premier lieu car le terme est neutre et générique ; c’est même pour cela qu’il a été choisi. Un parent égale un parent, ce qui exprime un peu de cet idéal décrit plus haut d’universalité , d’indissolubilité et au passage de neutralité des sexes.

Mais si la parentalité est ainsi désexualisée c’est également pour exprimer que sa fonction première serait elle aussi complètement indépendante de toute sexualité.

Etre parent aujourd’hui est présenté comme un sacerdoce, un sacrifice. Il faut tout faire, tout vérifier, rechercher à s’améliorer et à développer des compétences. Il n’est pas étonnant que ce sacerdoce s’épanouisse sur le renoncement ou en tout cas au passage au second plan, de toute vie amoureuse et sexuelle.

C’est sans doute aussi parce qu’elle est désexualisée, que la parentalité d’aujourd’hui s’ouvre vers l’homoparentalité. Homo ou hétéro parentalité, qu’importe en effet si cette parentalité est au fond solitaire et déconnectée de toute sexualité ?

La dépolitisation, la désexualisation de la famille, par la construction d’une identité parentale réglée par les institutions, semblent ainsi constituer les deux faces d’une même exclusion.

Le parent, étranger aux logiques économiques et politiques, étranger aussi à sa propre sexualité est ainsi borné des deux côtés. Son droit à l’intimité est aussi réduit que son droit à la politique et son domaine semble dorénavant dévolu à « la vie privée » c’est à dire l’espace dont il est comptable et responsable, auquel il est renvoyé sans cesse.

La vie privée devient ainsi le lieu du parent et de son enfant vers lequel les institutions renvoient toutes les situations qui les embarrassent.

Il est en effet de la nature même de l’espace privé depuis sa définition publique liée à la révolution française d’être un espace secondaire , tout proche de l’espace public, qui lui est inféodé , mais où la responsabilité des institutions ne s’exerce pas.

Sortir l’éducation de la parentalité

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que la notion de sexualité associée à la parentalité représente un danger un péril, une inquiétude constante.

La peur de l’abus de l’inceste, se sont insinués à tous les étages de la société et dans l’esprit de tous les acteurs institutionnels et scolaires.

La sexualité est elle même aujourd’hui comme une source de danger en provenance même de l’enfant. Toute curiosité sexuelle, jeu érotique, de sa part, est immédiatement perçu comme un signal préoccupant, un symptôme d’abus.

Il semble que Freud ne fasse plus d’émules, et qu’il soit encore aujourd’hui plus difficile qu’hier d’envisager ou d’admettre une sexualité autonome des enfants. Bien au contraire quand celle ci se manifeste on y voit l’effet d’une délinquance ou d’une défaillance grave des adultes en charge, à commencer par les parents.

Qui faut-il soutenir ?

Soutenir les parents aujourd’hui dans le sens par exemple des mesures sociales inspirées par le dispositif comme les REAAP , revient ainsi à sans doute accentuer le phénomène décrit, et quelque part renforcer cette place énorme de l’identité parentale dans la vie des adultes d’aujourd’hui.

A l’inverse, soutenir l’éducation, soutenir les enfants et les adultes, renforcer les milieux éducatifs dans lesquels les enfants d’aujourd’hui pourraient s’épanouir, passe sans doute par une prise de distance avec le dogme dominant.

De quoi en effet auraient besoin les enfants d’aujourd’hui ? Ont ils comme on le décrit sans cesse vraiment besoin de parents compétents, experts, éducateurs ? Ou au contraire auraient-ils besoin de modèles d’adultes qui auraient une véritable place dans la société ou tout en ayant une véritable vie personnelle, affective et sexuelle ?

Poser la question c’est prendre un peu la mesure de la force de l’idéologie ambiante.

Certaines initiatives éducatives et sociales comme celle portée par l’association Intermèdes Robinson à Longjumeau proposent comme projet éducatif et social global de permettre aux parents d’être autre chose que des parents.

A travers un programme de jardinage et d’ateliers communautaires, cette association propose aux adultes (comme aux adolescents et aux enfants) de venir pour eux mêmes et de développer à travers les activités proposées de retrouver le pouvoir de produire, décider, de s’exprimer publiquement comme d’un point de vue personnel.

Dans un tel dispositif, le parent est toujours vu comme un adulte et l’enfant comme un être complet, un sujet à prendre en compte.

De telles actions ont l’avantage de répondre bien plus aux causes de la précarité familiale qu’à leurs effets mesurés depuis les institutions. C’est à la précarité familiale, en effet qu’il convient de répondre d’un point de vue social, et non aux défaillances parentales.

Pourtant, de telles actions, de par leur globalité même, sont peu soutenues. Les institutions et les collectivités sont en effet en recherche d’actions qui sont en miroir de leurs propres représentations.

Dans un tel contexte, elles peinent à percevoir que soutenir la fonction éducative ne revient pas à éduquer ou rééduquer les parents, mais bien au contraire à sortir de l’enfermement de l’adulte dans le parent, sortir du face à face parent/ enfant et donner du contenu à la vie sociale.

Laurent Ott, Philosophe social, chercheur en Travail Social,
président de l’association Intermèdes – Robinson

(http://blog.recherche-action.fr/intermedes/ )

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