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École, travail, efforts… le poids des représentations

« Mais bon sang, il faut bien qu’ils apprennent l’effort, la valeur du travail. La vie n’est pas faite que d’amusements et on n’y fait pas ce qu’on veut ! »

C’est la réflexion récurrente et véhémente que j’entends chaque fois que je parle de l’école du 3ème type. D’autres complètent : « C’est l’éducation à la paresse ! » ou « On ne peut pas vivre dans l’anarchie ! ». Ceci en toute bonne foi que je ne mets pas en doute.

Anticipant et déjà habitué, j’en avais fait un long chapitre dans L’école de la simplexité, une chronique dans le tome 2 des chroniques d’une école du 3ème type et déjà un billet sur mon blog.

On a beau expliquer, prouver que ces assertions ne sont pas fondées, rien n’y fait. C’est une opinion encore largement majoritaire. Le fait que dans les pédagogies alternatives les apprentissages s’y construisent bien mieux est très rarement contesté. On peut trouver curieux, alors que la préoccupation unanimement partagée est celle des apprentissages, que ce sont quand même des allégations d’ordre moral qui soient prioritairement évoquées. Souvent d’ailleurs par les mêmes qui s’élèvent contre notre société de consommation, contre l’exploitation des travailleurs, etc. Inutile de leur rétorquer que pourtant le travail des enfants est interdit par la charte du droit des enfants, évidemment « ce n’est pas pareil » mais il n’empêche qu’il faut bien les préparer à l’aliénation de leur futur travail (s’ils en ont), ce qui pend effectivement au nez de la plupart.

Lorsque bon nombre d’enseignants se réfugient derrière leur seule fonction d’instruction et refusent de se voir attribuer celle d’éducation, il n’empêche qu’ils ne font qu’imposer et faire intégrer fortement un ordre moral, souvent le même qu’ils vont dénoncer hors de l’école.

Lorsque je demande à mes interlocuteurs « c’est quoi pour vous l’effort ? », je les mets toujours dans l’embarras. Si je leur demande la différence qu’il y a entre un enfant qui « s’amuse » à faire une expérience avec le robinet de l’évier (au grand dam de ses parents) et le chercheur qui continue à prendre du plaisir (donc à s’amuser !) avec les éprouvettes de son laboratoire, la seule réponse raisonnable qu’ils pourraient trouver, c’est que ce dernier à bien de la chance d’être rémunéré ! Mais l’un s’amuse, l’autre travaille ! Peu importe si le premier fait aussi profiter les autres de ses découvertes. Malignement, je fais observer que ni l’un, ni l’autre, ne font des efforts pour ce faire (au sens sous-entendu de la contrainte quand on parle d’effort).

Mais ce n’est pas tellement les opinions que chacun peut avoir sur le rôle de l’école et ce que doivent y faire les enfants qui est frappant dans ces réactions. C’est l’incapacité de pouvoir imaginer que ce qui se passe dans ces écoles vraiment différentes n’est pas du tout ce que le filtre de leurs représentations leur fait voir. On a beau le leur expliquer, le leur décrire, ce n’est même pas qu’ils ne le croient pas, c’est qu’il leur est impossible de le transcrire en images, de se le représenter. Même des amis, en parfait accord avec mes idées, connaissant les pédagogies alternatives, voire les pratiquant, à qui j’avais expliqué comment cela se passait, tombaient des nues quand ils venaient ensuite dans mon école. Le journaliste Marcel Trillat avait même dit : « j’ai cru débarquer sur une autre planète ! »[1]

J’ai très souvent dit et écrit que le problème principal de l’école et de la société était celui du poids des représentations. Mais on ne peut accuser les uns et les autres de ne pouvoir s’en débarrasser facilement.

Lorsque Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron[2] décrivaient et dénonçaient la reproduction sociale par l’école, ils n’avaient certes pas tort. Avec d’autres, ils n’ont probablement pas tort non plus quand ils attribuent cette reproduction à une volonté politique des classes privilégiées au pouvoir. Mais on est bien obligé de constater que lorsqu’il y a des velléités politiques pour atténuer un peu cette reproduction (sans toutefois changer le cadre institutionnel dans lequel elle s’effectue), rien ne change.

Il faut bien faire le constat que ce sont les représentations qui se reproduisent ou plutôt perdurent à tous les niveaux et quelles que soient les intentions. Il suffit de lire tous les programmes concernant le système éducatif des partis les plus révolutionnaires pour s’apercevoir qu’ils reproduisent eux aussi à peu près les mêmes schémas. On a beau dire que des Steve Jobs ou Bill Gates sont allés, eux, dans des écoles alternatives, on n’entend personne dire « pourquoi pas mes enfants eux aussi ! ». Ce qui ne serait qu’un droit démocratique n’est même pas réclamé[3].

L’incapacité d’imaginer, mais aussi les représentations qui empêchent de voir, de vouloir voir, d’aller voir ce qui les mettrait à mal, c’est bien le stade où en est arrivé notre société, et l’école y a été pour quelque chose. Toutes les représentations dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser sont encore plus ancrées par la diffusion massive d’une information médiatique dont ceux qui ont ce pouvoir (les journalistes) sont eux-mêmes pris par leurs propres représentations. L’information qui devrait permettre la réflexion s’auto-enferme elle-même dans une pensée unique qu’elle propage sans même s’en rendre compte.

Pour arriver à fissurer cet état de fait, provoquer des transformations, changer l’ordre des choses, il n’y a pas d’autre solution que de faire voir, chercher à convaincre est inutile. Depuis que nous ne sommes plus en classe, nous les ex-instits de classe unique de 3ème type sommes dans l’impuissance puisque nous ne pouvons plus inviter à voir[4]. Aujourd’hui les expériences et écoles alternatives se multiplient. Elles produisent des vidéos, des films documentaires sont réalisés, des livres publiés… De nombreux groupes se constituent sans cesse. Mais tout cela sort difficilement des réseaux sociaux ou des cercles de déjà convaincus. Parfois, même dans leur proximité elles sont ignorées. La masse de la population parentale ignore totalement que d’autres pédagogies reconnues existent.

Notre problème comme le problème de toute notre société, c’est la visibilité de tous les possibles qui existent ou ont existé et ne sont plus conformes aux représentations courantes. Les transformations viendront toutes de la base, jamais du haut. De plus en plus nombreu(ses)x sont celles et ceux qui le mettent en acte sans bruit. Mais aussi plus ce qui a été créé par les représentations ancestrales les contraint, les dissimule ou les marginalise, empêche leur extension.

On peut espérer cependant que les réseaux qui se constituent de plus en plus, les multiples organisations qui militent pour une autre école, tous les projets qui naissent et se réalisent, toutes ces initiatives citoyennes se fédèrent pour se donner les moyens de faire voir, de donner à voir.

Le Printemps de l’Education est, à mon avis, l’espace qui devrait permettre la synergie de toutes ces forces. La prochaine rencontre qu’il organise aux Amanins et où beaucoup se retrouveront pourrait être une bonne occasion de se pencher aussi sur les moyens de se rendre visible à l’opinion publique.

[1] « envoyé spécial, Vive les instits » 1993

[2] La Reproduction Éléments d’une théorie du système d’enseignement -1970 – Editions de Minuit.

[3] L’appel pour le droit donné à tous de choisir une école différente a quand même été signé par plus de 15000 personnes ! http://appelecolesdifferentes.blogspot.fr/

[4] Nous avions pu enrayer l’éradication des classes uniques de 1993 à 1997 (moratoire décrété par François Bayrou, supprimé par Ségolène Royal), parce que nous pouvions faire voir ce que beaucoup découvraient comme autre chose qui n’avait rien d’archaïque et que les médias le relayaient à cette époque. Mais il faut reconnaître que le relai médiatique était surtout dû aux opérations spectaculaires que nous coordonnions (en particulier en utilisant… le minitel !). La toute première avait été celle des parents et de la municipalité de Saint Martial d’Albarède en Dordogne. Académie, Préfecture et Conseil général avaient supprimé leur classe unique pendant les vacances en pensant que tous allaient apprécier le « progrès ». Le refus avait été unanime et il avait été organisé ce qu’ils ont appelé « une classe sauvage ». Du pain béni pour les télés ! Cela avait permis, un temps seulement, de faire découvrir à l’opinion publique que des parents, des enseignants, des municipalités, des villages appréciaient, vivaient intensément cette différence pour leurs enfants.
http://education3.canalblog.com/archives/2014/10/09/30733155.html

8 Comments

  1. Bernard Collot

    École, travail, efforts… le poids des représentations
    j’ai utilisé le terme “fédérer”à propos des initiatives citoyennes mais il n’est vraiment pas approprié, tant les structures fédératives ont démontré leurs lourdeurs et leur inefficience. Il faut surtout qu’elles se trouvent et aillent dans des espaces communs. Tout est toujours à inventer !

  2. Anonyme

    École, travail, efforts… le poids des représentations
    A propos du petit cartoon en médaillon de l’article :

    “Mon fils fera ce qu’il voudra
    Je ne l’empêcherai surtout pas
    On est moderne, ou on l’est pas
    D’ailleurs avec les relations
    Que j’ai dans l’administration
    Ça pos’ra pas beaucoup de questions
    Mon fils fera ce qu’il voudra”

    (JM Vivier)

  3. Jean Agnès

    École, travail, efforts… le poids des représentations
    Quelques notes sur cet article roboratif (1)

    Il s’agit d’abord de tenter d’analyser les tenants et aboutissants, et mieux voir ce que sont les possibles.

    Tout pédagogue réel, tout chercheur en éducation scolaire consciencieux, tout parent soucieux de vérité pratique, ne peut qu’adhérer à la plupart de ces assertions.

    Nous sommes reconnaissants à ceux qui, comme Bernard Collot, donnent ses lettres de noblesse à la pédagogie, qui, à l’instar de la poésie “doit avoir pour but la vérité pratique” (Lautréamont). Au tryptique d’or “poésie/philosophie/pédagogie”, on a cru pouvoir substituer la triade désastreuse “idéologisme/technicisme/scolastisme”. Comme on sait, cela ne mène à rien.

    Et il faut en tirer les conséquences :

    La fin de la pédagogie

    – En revenant sur le processus de désarmement de la pédagogie: il y eut, il y a déjà plusieurs décennies, à la suite de l’évident intérêt des “combats” menés par les pédagogues, une récupération académique, arrimée aux enjeux universitaires des “sciences de l’éducation”, de collègues avisés qui ont préféré la carrière à la chair concrète de la pédagogie, devenue alors un slogan de positionnement scolastiste : il s’en est suivi une période douloureuse et absurde :

    d’un côté, le “pédagogisme” devenait une des deux faces d’un faux-débat manichéen, mais qui permettait aux uns et aux autres de se positionner dans le champ idéologique et médiatique (mais pour qui, pour quoi ?)
    et de l’autre la “pédagogie”, devenue la proie des clercs, se déréalisait dans un discours illimité fondé sur la confusion des plans. : toute chose scolaire devenue “pédagogique” ; était “pédagogue” le mandarin s’occupant d’idéologie scolaire (mais c’est l’acception initiale, pédagogie étant comprise à la fois comme pratique et science – mais ici, il n’y avait bientôt plus ni pratique ni science, seule restant l’expansion illimitée d’un discours convenu), devenait “pédagogique” toute question liée à l’école (le Café et les Cahiers “pédagogiques” : où l’on traitait de tout et n’importe quoi, bien loin, en effet, de la pédagogie comprise dans son sens humble, simple, noble.

    – Nous assistons aujourd’hui à un raidissement de cette évolution. D’une part, on voit que les idéocrates vieillissants du genre s’accrochent, ne laissant aucune chance à un renouvellement de la pensée dans ce domaine ; d’autre part, la pédagogie comme recette fait toujours recette, et se multiplient sur les sites spécialisés les exemples d’actions, le plus souvent “renouvelées des Assyriens”, qui se perdent dans une formidable dissémination, rendue possible par les techniques d’information, tandis que se développe là où nous avions posé les bases d’une pédagogie critique des nouvelles donnes une grotesque “pédagogie-gadget” qui autrefois avait toute sa place socio-culturelle, en “éducation seconde”, dans les foyers ou les activités annexes, en passe d’être absorbées dans l’illusion d’un programme scolaire à la dérive.

    Le journal scolaire à toutes les sauces

    “Car il ne servirait à rien de multiplier comme par clonage des actions désormais légitimées. Encore faut-il retrouver le sens”.

    Cet extrait d’un entretien à Politis m’avait coûté à l’époque très cher. Le pouvoir ne supporte pas en effet que soit relié l’action pédagogique réelle avec ce qui la motive profondément, surtout s’il s’agit d’une ligne critique et populaire, comme on le voit avec Freinet.
    Un exemple parmi tant d’autres des débats que j’avais proposés à ce mouvement, portait d’ailleurs sur la conception chez Freinet et ses compagnons, à commencer par René Daniel, de l’articulation du journal scolaire à la correspondance, et du sens de ces “techniques” dans une philosophie éducative émancipatrice : pourvu que le sens en soit actualisé.

    En contrepoint, et pour y voir plus clair dans l’avancée de la réduction des têtes :
    un bel exemple était donné récemment sur Educavox par la promotion d’une entreprise d’appui à la réalisation de journaux scolaires.
    http://www.educavox.fr/mot/journal-scolaire
    une telle nullité qui à mes yeux méritait au moins une mise au point!

    http://www.educavox.fr/agenda/article/numerique-et-pedagogie-de-projet

    Peut-on en effet laisser passer sans broncher de telles folies :

    [brun clair]”Numérique et pédagogie de projet : osons innover !
    Renforcement de la collaboration internationale et du dialogue interculturel, inversement de la pédagogie, responsabilisation des élèves, réinvention de la relation élèves/professeurs, lutte contre le décrochage scolaire, éducation aux médias… Le numérique révolutionne la pédagogie de projet !
    Le 12 novembre prochain, Madmagz rassemblera enseignants, experts TICE, sociologues, universitaires, représentants de collectivités locales et journalistes pour faire avancer le débat en France sur les apports du numérique dans la pédagogie de projet.
    (…) Nous aurons l’honneur (vous avez bien lu) de compter parmi nos intervenants Serge Tisseron, etc.[/brun clair]

    (Ça tombe bien : c’est une de mes bêtes noires! Il est aisé de comprendre pourquoi ces clercs font autant de mal à la cause qu’ils prétendre servir : servir, non pas se servir)

    Concentré de tant de bêtise… Laissons faire ?

    Si cela n’est pas une question importante, significative des évolutions, et de la récupération du travail que nous avons fourni (mais il est vrai que dans la conception de Jacques Gonnet, il s’agissait de détourner et de contenir “l’expression des jeunes”, désormais institutionnellement stérilisée, et en faisant du journal scolaire un objet scolaire qui précisément avait tout son sens dans la pédagogie du “travail” (peu importent les termes, aux aussi datés – ce qui compte, ce sont les “savoirs de la genèse”) de Freinet etc., mais aucun dans la visée libérale) devant faire objet de débat, et de mises au point, en essayant de résister à l’avancée inexorable de la connerie (“post”, “néo”, peu importe!), il faut plier bagage.

    Le pouvoir ne supporte que dans la mesure où il peut le contrôler. On rejoint ici cet étrange essai d’accommoder les messages de l'”éducation nouvelle” à la sauce postlibérale. Ce qui rappellera à l’historien de la pédagogie de bien mauvais souvenirs.

  4. Jean Agnès

    École, travail, efforts… le poids des représentations
    Quelques notes sur cet article roboratif (2)

    Je reviens sur ce billet multidimensionnel :

    Echeveau

    Pédagogie de la réussite : ça ne passera pas

    – C’est en effet le reproche que l’on a pu faire jadis à telle équipe de jeunes enseignants de collège : non seulement ils “faisaient de la pédagogie”, mais ils réussissaient, ce qui fut insupportable aux autorités académiques. Les choses ont-elles changé ?

    [turquoise]en toute bonne foi[/turquoise] : je ne le crois pas. C’est une question de doxa et d’idéologie

    [turquoise]On a beau expliquer, prouver que ces assertions ne sont pas fondées, rien n’y fait. C’est une opinion : cela tient en effet de l’opinion.[/turquoise]
    Celle-ci ne tombe pas du ciel. Nous sommes dans un système de surhiérarchie, de pouvoir où il n’est pas question de laisser faire ce qui mettrait en cause l’ordre établi.
    [turquoise]Le fait que dans les pédagogies alternatives les apprentissages s’y construisent bien mieux est très rarement contesté.[/turquoise]
    J’en doute. Et par qui ? Sinon, elles seraient bien entendu promues.

    On s’intéressera d’ailleurs à nouveau au sens : on voit par exemple sur Educavox et tout site para-officiel comment de nombreux exemples d’autres possibilités d’enseignement sont montés en épingle, mais à condition expresse qu’ils soient déconnectés du sens philosophique et humaniste et en restent à la seule dimension techniciste ou aillent dans le sens de la construction du postlibéralisme.

    [turquoise]Souvent d’ailleurs par les mêmes qui s’élèvent contre notre société de consommation, contre l’exploitation des travailleurs, etc.[/turquoise]
    Ils ne parlent pas en leur nom de personne réfléchissante, en situation de libre examen, mais au nom d’une idéologie dominante qu’ils relaient, ce qui est la fonction de tout agent.

    [turquoise]Inutile de leur rétorquer que pourtant le travail des enfants est interdit par la charte du droit des enfants,[/turquoise]
    C’est important. C’est encore un autre problème. Il faut y revenir, mais tout est lié en effet.

    [turquoise]Lorsque bon nombre d’enseignants se réfugient derrière leur seule fonction d’instruction et refusent de se voir attribuer celle d’éducation,[/turquoise]
    Encore un autre plan. Ce n’est pas “simple”, pour de nombreuses raisons théoriques. Il faut y revenir, mais pas aux termes du blabla que nous trop souvent infligé les tenants des néo-“sciences” de l’éducation. Qui pourrait être en contact avec l’enfant et prétendre ne pas être “éducateur” ?

    [turquoise]il n’empêche qu’ils ne font qu’imposer et faire intégrer fortement un ordre moral[/turquoise]
    – En effet, et la résurgence hypocrite de la moraline dans le discours des clercs est caractéristiques de ce point! L’ordre moral, en tous cas, a “changé de visage”, mais il est bel et bien là.

    [turquoise]Lorsque je demande à mes interlocuteurs « c’est quoi pour vous l’effort ? », je les mets toujours dans l’embarras. Si je leur demande la différence qu’il y a entre un enfant qui « s’amuse »[/turquoise]
    C’était donc le thème des débats vifs, car concrets et impliquants, de nos jeunes profs cités plus haut. C’est un point central de toute réflexion pédagogique. Il faut enfoncer le clou, car, alors que sur le fond, cela est simple à comprendre, on voit trop publier en cela de simplismes. Au 21è siècle… Et tandis que nos lointains successeurs développent l’idée de la Gadget-Pédagogie. Pouah!

    [turquoise]C’est l’incapacité de pouvoir imaginer que ce qui se passe dans ces écoles vraiment différentes n’est pas du tout ce que le filtre de leurs représentations leur fait voir.[/turquoise]
    Voici un nouveau point décisif. Et qui en effet va à l’encontre de ce que le bavardage d’opinionite et le verbalisme produisent.

    [turquoise]J’ai très souvent dit et écrit que le problème principal de l’école et de la société était celui du poids des représentations.[/turquoise]
    Je ne crois pas que cette considération soit propre à un auteur, fût-il excellent! C’est un bon exemple de ce qui pourrait s’approfondir en “auteur collectif”. J’ajoute un exemple : j’avais co-relayé alors que j’étais “en position”, une recherche sur les représentations avec un laboratoire spécialisé du CNRS. Cette recherche, comme tout le plan monté a été sabrée, comme d’autres. Pas d’équivalent aujourd’hui. Il faut toujours en décliner les raisons, sinon, on ne comprend rien aux évolutions.

    [turquoise]Mais on est bien obligé de constater que lorsqu’il y a des velléités politiques pour atténuer un peu cette reproduction (sans toutefois changer le cadre institutionnel dans lequel elle s’effectue), rien ne change.[/turquoise]
    C’est trop simple. C’est le terme de velléité qui compte : il s’agit de faux-semblant. Sinon, on aurait mis en œuvre le rapport Bourdieu Gros et le rapport Pouzart!! D’autant qu’il y a des moyens d’action non-frontaux : avant de devenir ce que l’on sait, le Clemi a été une officine redoutablement efficace pour faire passer des idées nouvelles pédagogiquement intelligents et les mettre en pratique. Comme pour les Expérimentaux. On connaît la suite. Mais cela a prouvé que cela était possible, sous réserve d’injonction politique supérieure.

    [turquoise]suffit de lire tous les programmes concernant le système éducatif des partis les plus révolutionnaires :[/turquoise]
    ici encore, c’est une question d’idéologie. Voyez comment l’école fait parti des “tabous de la pensée critique”, le peu de place de ceux qui prônent quelque générosité critique accordé à l’école (voyez le Diplo, Mermet…).

    La curiosité du monde

    [turquoise]”voir, de vouloir voir, d’aller voir” :[/turquoise]
    encore un point central.
    L’incapacité d’imaginer, mais aussi les représentations : c’est donc un angle d’attaque de la question.

    Il y a celui de la transmission.

    Pourquoi irais-je voir ? Pourquoi me renseignerais-je ? Dans le système éducatif, on a fini ses études à tel âge souvent très jeune, et on vit sur un diplôme supposé qualifiant et acquis il y a tellement longtemps…
    J’ai vu beaucoup de collègues passer leur vie à se diplômer, à écrire pour se surdiplômer, et qui, carrière oblige, en effet n’avaient guère de temps pour la réflexion personnelle (surtout ceux qui – nous aussi – pompaient!) pour la pédagogie!
    L’enfant en jeune âge fait preuve d’un formidable talent en développement de ses capacités : (langage, technique, communication, valeurs) : c’est pourquoi il faut tenir à l’antique questionnement, qui nous faisait déplorer le rôle massacrant de l’école. Cela nous ramène au scolarisme, et à la question de savoir pourquoi on tient tant à un surcontrôle (en France massif et national) qui passe par une scolarisation précoce.
    [turquoise]sont encore plus ancrées par la diffusion massive d’une information médiatique dont ceux qui ont ce pouvoir (les journalistes) sont eux-mêmes pris par leurs propres représentations.[/turquoise]

    (Éducation seconde)[turquoise] L’information qui devrait permettre la réflexion s’auto-enferme elle-même dans une pensée unique[/turquoise] : ça j’en suis certain. Et les journalistes que je connais refuseront catégoriquement de remettre cette certitude en question : ils répondent par la fâcherie.

    [turquoise]qu’elle propage sans même s’en rendre compte[/turquoise]
    ça, je n’en suis pas certain! Je les connais un peu, ces journalistes, je crois! (sic)
    [turquoise]”Pour arriver à fissurer cet état de fait, provoquer des transformations, changer l’ordre des choses, il n’y a pas d’autre solution que de faire voir”[/turquoise]
    La chair expérientielle : c’est là un point capital. Il peut être compléter par la “vérité pratique” de la pédagogie et de la formation. Rien que du concret et de l’effectif.
    Car nous sortions ainsi de la double dérive de l’idéo-logique et de la techno-idéologie, malgré tous les efforts de nos chefs pour contenir, – mais le pouvoir finit toujours, faute de lutte, par imposer là ses vues – pour entrer dans le domaine de la méthodologie (en référence, mais non en décalque, de de Peretti).
    Nous savons en effet que dès que dès que des élèves, des profs, des formateurs, des journalistes, des responsables mêmes sont concrètement engagés dans un processus pédagogique, ils peuvent laisser leurs préjugés pour s’intéresser à l’action, et la faire se développer.
    Ce qui bien sûr n’est pas (ne fut pas) du goût du Prince…

    Les résultats de la recherche-action d’une époque révolue consignés dans le sigle PMR (imité plus tard par exemple dans quelque “théorie du cyberespace”) ne sont pas à mes yeux dépassés. Et à l’hyperslogan du “numérique”, je préfère les distinctions des ordres, fussent-elles praxéologiques : ce qui relève du “Programme”, du “Médias”, et des “Réseaux”…

    [turquoise]”chercher à convaincre est inutile”. [/turquoise]

    Oui, dans la mesure surtout où il n’y a pas “d’éthique de la discussion”, de reconnaissance de la pensée de l’autre, d’effort réciproque.

    Ceci n’est pas propre à l’art pédagogique : les clercs refusent par exemple catégoriquement de considérer le bouleversement épistémologique que suppose le développement de la “théorie de la médiation” (Anthropologique clinique, école de Rennes, fondée par Jean Gagnepain) : sur quelles bases ? Aucune, la plupart n’y ont pas été voir.

    Ce qui serait la moindre des choses, s’agissant d’un travail de laboratoire d’un demi-siècle. Il est vrai que lesdits combattent vaillamment aujourd’hui tout ce qui pourrait passer pour de la pensée critique, y compris ce qui relève des pensées de l’imaginaire ou de la mésologie, et sont englués dans la mode.

    Espoirs

    [turquoise]”De nombreux groupes se constituent sans cesse. Mais tout cela sort difficilement des réseaux sociaux ou des cercles de déjà convaincus”.
    Ceci demande à être précisé en une cartographie lisible[/turquoise] : j’ai connu au ministère la rhétorique de communication propagandiste consistant à affirmer une ampleur invérifiable.

    [turquoise]”La masse de la population parentale ignore totalement que d’autres pédagogies reconnues existent” :[/turquoise]
    C’est le propre de la doxa et de l’idéologie dominante, portées par les institutions et les médias.
    Et cela nous rappelle la belle idée d'”école des parents”.

    [turquoise]Notre problème comme le problème de toute notre société, c’est la visibilité de tous les possibles qui existent ou ont existé et ne sont plus conformes aux représentations courantes.[/turquoise]

    – J’avais proposé, lorsque j’étais payé quelques années à ne rien faire (avec la complicité de tout un chacun) à l’iufm, une stratégie de diversification de la promotion de cette dimension, et il me semblait par exemple qu’une exposition itinérante (ou tout autre moyen de ce type, réalisable), portant sur “le sens de l’éducation” pouvait être ainsi porteuse :

    mais ce ne fut pas du tout du goût des doctes, plus attachés à confiner les “pédagogies nouvelles” et surtout les plus sociales, dans une sphère d’innocuité, à leurs causeries et au pouvoir sur les âmes, qu’au “faire savoir” – inutile de rester entre soi, comme le font ces rhéteurs au “public captif”.

    [turquoise]Les transformations viendront toutes de la base,[/turquoise]
    En effet, mais il est vrai que nous avons pu profiter à telle époque de telle fenêtre institutionnelle ouverte par les libéraux éclairés (pédagogie des médias, établissements expérimentaux) La fenêtre s’est refermée. Aujourd’hui, l’institution et ses satellites s’emploient à verrouiller.
    [turquoise]De plus en plus nombreu(ses)x sont celles et ceux qui le mettent en acte sans bruit.
    “les contraint, les dissimule ou les marginalise, empêche leur extension” :[/turquoise]
    c’est en effet une stratégie du pouvoir, qui passe aussi par la censure et le blocage. “Je crois que ça pas être possible”, “vous ne passerez pas”…
    C’est pourquoi il nous fait inventer des “liens externes”.

    [turquoise]On peut espérer cependant que les réseaux qui se constituent de plus en plus, les [turquoise]multiples[/turquoise] organisations qui militent pour une autre école, tous les projets qui naissent et se réalisent, toutes ces initiatives citoyennes se fédèrent pour se donner les moyens de faire voir, de donner à voir.[/turquoise]

    Cela demande à être explicité. Je ne vois pas bien concrètement. Dans rien. Mais s’il y a, il faudrait bien “faire savoir”!

    Les demandes institutionnelles mêmes de modélisation et de répercussion des expériences réussies que je connais sont hypocrites : dès qu’elle étaient non-conformes à l’idéologie qui se met en place, elles n’avaient plus lieu. Les “expériences réussies” ont donc et été stoppées, pire encore aujourd’hui, purement et simplement occultées. Ce qui est contraire à toute déontologie scientifique et historique, à défaut d’éthique de la reconnaissance.

    Ce qui à un quart de siècle de distance fait qu’on aboutit à l’absurdité suivante : “on refait le monde”. Quelle perte de temps, à supposer qu’on le refasse d’ailleurs dans le même esprit! (C’est la théorie de la spirale : à chaque époque, on monte d’un cran mais telle époque ressemble à une époque antérieure, en deçà de laquelle elle peut retomber, si l’on n’y prend garde).

    J’ai donc aussi rencontré divers (mais pas si nombreux que cela) pédagogues de talent, mais que ni l’institution, ni les associations spécialisées, n’ont jamais reconnus. Ces collègues n’avaient cure des grands sermons des idéocrates. Ils bossaient, avec sérieux, conviction, générosité (encore un de ces mots qu’il ne fallait pas prononcer en vrai).
    Là aussi, il y a une anomalie grave, et c’est tout un pan de la culture pédagogique qui s’efface de la mémoire. Or, la théorie de la transmission fait que l’on ne peut jamais occulter ni enfouir totalement, et que cela ressort tôt ou tard, comme en sous-main, d’une manière ou d’une autre, le plus souvent sous forme pathologique.

    ***

    En tous cas, s’il nous est possible de retrouver le sens, ici celui de ce qu’est l’art pédagogique profond, y compris par nos écrits et propos, et au lieu de compliquer par goût intellectuel malsain, ce qui ne l’est pas, faisons-le. Ces questions devraient quoi qu’il en soit faire l’objet d’un travail collectif à frais nouveaux.

  5. Fabienne THOMAS

    École, travail, efforts… le poids des représentations
    Bonjour,
    Je suis enseignante en collège et lycée et en effet, outre le fait que l’éducation de dizaine de gamins – dont beaucoup lâchés par leurs parents eux-mêmes – qui se succèdent à chaque heure par groupe de 30 minimum, me semble une entreprise titanesque, j’ai en fait fort peu de goût à cette tâche quasi militaire (appel, contrôles, sanctions, rapports d’incidents, retenues, conseils de discipline, … j’en passe !!).
    Quelle instruction (je l’avoue c’est ça qui m’intéresse dans ce travail, en termes d’éducation celle de mon propre enfant me suffit) est possible dans ce contexte quasi carcéral ?
    On plaque là-dessus un discours “politicopsychomédicomysticosocial”, parcours de réussite, pédagogie différenciée, et bla et bla et bla.
    Alors qu’il serait si simple de poser un cadre et de laisser les enseignants faire leur travail sans ce fatras qui soit dit en passant n’existait pas quand j’étais moi-même à l’école et ça ne manquait pas.
    Ca me rend dingue et je hais ce travail. Curieusement, c’est dans les écoles dites alternatives, que l’on peut (enfin !!) instruire des enfants sans les éduquer – je devrais dire les dresser, et moi j’ai peu d’aptitudes pour le dressage, et finalement sans souci de leurs origines sociales.
    Que les enfants soit fils de prolos ou d’aristos, ils ont le même cerveau me semble t-il … si je pouvais enseigner de vraies humanités à mes élèves, elles seraient reconnues comme telles, quel que soit leurs origines.
    D’après mon expérience, l’école est le lieu où on apprend à respecter les forts (le pouvoir) et mépriser les faibles (les besogneux).
    Le meilleur prof (celui qui est considéré comme tel), c’est souvent celui qui n’en fiche pas une mais est très populaire. Pareil pour les élèves. On fait un peu semblant de valoriser le travail, et voilà tout.
    Excusez-moi mais où voyez vous que des efforts réels sont demandés aux enfants ? Le seul effort qu’on leur réclame sans concession, c’est celui du conformisme.

  6. Deflacia

    Où trouve-t-on des vidéos?
    Bonjour,

    L’article mentionne des vidéos sur l’école du 3ème type, mais je n’en trouve nulle part…

    Très peu d’infos encore, je ne vois pas comment nous pourrions nous ouvrir à ce concept?

    Que faut-il côté matériel? Comment est organisé l’espace? ETC., ETC. Trop de questions sans réponse.

    • Bernard Collot

      Où trouve-t-on des vidéos?
      Il y a plus de 30 ans (de 1976 à 1996), faire des vidéos n’était pas courant et il n’y en a pas sur les trois ou quatre classes uniques que l’on pouvait vraiment qualifier de 3ème type. Quelques extraits dans cette émission de Marcel Trillat citée (http://marelle.org/videos/collot/). Trillat avait d’ailleurs fait un premier montage où l’école de Moussac occupait 3/4 d’heure dans une émission que la chaîne lui avait commandée “vive les instits”. Il s’est fait remonter les bretelles par Bernard Benyamin le producteur qui l’a obligé à réduire la séquence de moitié.
      A l’époque les moyens étaient plus lourds et passaient par les télés, et Trillat m’avait expliqué que pour faire un document vraiment significatif sur cette école, il aurait fallu trois mois de tournage et six mois de montage ce qui n’intéressait aucune chaine et probablement peu de public.
      Pour le concept, sur mon blog http://education3.canalblog.com

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