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Mais que fait la presse ?

Depuis plus de quatre ans maintenant, M Blanquer est ministre de l’Éducation Nationale. On peut lui reprocher beaucoup de choses – et on ne s’en prive pas – mais certainement pas d’avancer masqué : sa biographie d’ancien recteur explosif de l’académie de Créteil, d’ancien DGESCO et directeur de cabinet au ministère, les actions qu’il y a soutenues et/ou menées (internats d’excellence, évaluation des enfants dès 3ans, accès des élèves « méritants » de ZEP à Sciences Po), son poste de professeur à Sciences Po, de directeur de l’Institut des Etudes Hispaniques à Paris III, de directeur de l’ESSEC, sa participation active aux travaux de l’Institut Montaigne, son engagement – fût-il non encarté – très à droite, ses amitiés et complicités avec des mouvements relevant de la sphère intégriste (Agir pour l’Ecole, Espérances Banlieues), enfin ses trois livres programmatiques, tout cela annonçait très clairement la couleur.

D’emblée, M Blanquer inquiétait : pour le savoir, il suffirait de rechercher l’image de la réaction de la très modérée Najat Vallaud-Belkacem quand, en 2017, elle apprend le nom de son successeur. Toute sa pratique actuelle : autoritarisme, management agressif et oppressant, top-down jusqu’à la caricature était déjà connue, expérimentée, documentée. Depuis qu’il est ministre, régulièrement, des documents, des informations diverses sortent, les unes après les autres, jusqu’à un courrier d’un collectif issu de la très mesurée Inspection Générale. Notre site, peut-être trop « idéologique » aux yeux de certain·es, des sites syndicaux, des associations et collectifs professionnels, mais aussi la Café Pédagogique, devenu avec le temps le quotidien de référence en matière d’éducation, ont proposé des analyses, des informations, des données, des prises de positions et des témoignages, tout en défendant dans le même temps d’autres visions de l’école.

Deux livres sont venus proposer une analyse plus en profondeur de la singularité du ministère Blanquer. On veut bien admettre, à la rigueur, que Le Fiasco Blanquer, de Saïd Benmouffok, incite à une lecture bienveillante certes, mais aussi critique, du fait de la position de son auteur dans le champ du débat. Ceci dit, dans ces conditions, la cohérence voudrait qu’on regardât le ministre avec le même filtre de prudence, et le livre de Saïd Benmouffok est documenté et ne contient aucune contre vérité (vulgairement « fake news »). Quant au livre de Pascal Bouchard Jean-Michel Blanquer, l’Attila des écoles, paru aux Éditions du Croquant en octobre 2020, il fait, stricto sensu, autorité. M Bouchard, ancien enseignant, a longtemps tenu l’émission hebdomadaire de France Culture sur l’Éducation, il anime depuis une agence de presse, Tout Educ, qui diffuse quotidiennement des informations précises, sourcées depuis le cœur du système et portant à la fois sur l’actualité brûlante et sur l’état de la réflexion en matière de sciences de l’éducation. Son livre est documenté de façon très précise et rigoureuse et décrit dans des termes on ne peut plus clair la spécificité de la politique actuelle en matière d’éducation. Il propose en particulier des analyses extrêmement rigoureuses des différentes mesures concrètes du ministre, analyses à la fois techniques et politiques, appuyées sur une connaissance intime des questions d’éducation, suggérant au passage ce que nous pensons depuis toujours : que les deux domaines sont inextricablement liés l’un à l’autre. Les deux livres sont faciles à lire, courts et clairs.

Toute aussi connue, expérimentée, documentée était sa pratique de la « com », ce que certain·es – nous n’en sommes pas – appelleront sa « maîtrise de la communication et des médias ». Ce ministre aurait élevé « l’écran de fumée » au rang des beaux-arts, entend-on régulièrement dans les conversations de militants et de spécialistes. Pour mémoire, nous avons proposé une analyse des interventions médiatiques du ministre pendant le premier confinement, comparée aux interventions administratives (parutions au BO) qui avait abouti à un constat simple1 : entre le 26 février et le 24 avril on compte pas moins de 34 interventions médiatiques du ministre, pendant le même temps, aucun (au-cun, zéro, 0, niente, none) texte légal ne vient encadrer l’organisation de la « continuité pédagogique ».

Récemment toutefois, le quotidien Libération a publié une double page, riche en témoignage, sur les pratiques quotidiennes de M Blanquer, ce qu’il se passe derrière le rideau. L’article n’a pas été repris, nulle part, TV, radio, presse écrite ou en ligne. Le ministre a été reçu par Caroline Roux sur France 2 lundi 14/06, par Jean-Baptiste Marteau sur France Info, pour une émission spéciale s’il vous plait, avec panel de lycéens, sur le terrain et tout et tout, le 9juin, par Laurence Ferrari sur Cnews le 8 juin. Rien, absolument rien sur l’article, sur les deux livres mentionnés, sur l’inquiétude croissante (doux euphémisme) autour de l’état de santé psychique des élèves en temps de confinement, etc (on n’énumérera pas les sujets d’interrogation, on les connaît). Comme à chaque fois, le ministre a pu dérouler sans vergogne son discours, laissant aux auditeurs cet étrange sentiment d’écouter de la propagande pure.

Pendant ce temps, ou à peu près, les signaux d’alerte sur les dysfonctionnements de l’Éducation Nationale continuent de pleuvoir : un syndicat de chefs d’établissement (l’UNSA SNPDEN) signale l’état de colère et de déprime des personnels de direction, des enseignants de maternelle sont en grève à Marseille pour alerter sur le manque de moyens, de postes ; en plein discours sur la revalorisation des enseignants, qualifiée d’ « effort exceptionnel » une étude démontre que non seulement les enseignants français sont parmi les moins bien payés de l’OCDE, mais qu’en plus ils reçoivent un traitement de 25 % inférieur à celui des autres fonctionnaires de même catégorie ; il suffit de jeter un œil sur les communications syndicales ou même simplement sur la communication professionnelle sur les réseaux sociaux pour comprendre que l’organisation du bac cette année est on ne peut plus chaotique, etc. etc.

Au vu de ces nombreuses sources si aisément accessibles, voici notre question à la presse : quand donc, enfin, parlerez-vous d’éducation ? Pas de politique d’éducation, d’éducation ? De pédagogie ? De métier ? D’étayage de nos élèves ? De politique curriculaire ? De docimologie ? De répartition horaire ? Quand donc entendrons-nous enfin parler de ce qu’il se passe à l’école tous les jours ? Pourquoi les services éducation des grands médias centraux ont-ils été à ce point écrémés, quand ils n’ont pas été tout bonnement supprimés ?

Ne laissez plus ce ministre proposer une propagande aussi éhontée, aussi falsificatrice sans réagir, faites votre métier : enquêtez, comprenez, expliquez. Il y a des débats au sein de l’éducation, des positions concrètes, construites, réfléchies de longue date et encore débattues. C’est un univers passionnant, intéressez-vous et rendez compte au lieu de reprendre les mantras orwelliens de l’école de la confiance, de la bienveillance, de la joie auprès de son arbre. Ou alors ne venez pas pleurer si un jour on vous accuse de complicité avec l’entreprise de destruction massive de l’école du commun que nous propose M Blanquer.

1 Comment

  1. THIERRY FLAMMANT

    Que fait la presse ? Elle fait son travail de “chien de garde” tout simplement. Elle n’a pas à parler de ce qui nous concerne : la pédagogie, la classe, l’enseignement. D’une part, parce qu’elle n’y connaît rien (à part les stéréotypes médiatico-politiques), d’autre part parce que sa mission (c’est-à-dire celle de ses propriétaires) est autre : préparer le terrain électoral du pouvoir, pratiquer le “bourrage des crânes”, endormir, dissimuler. Il faut être bien naïf pour s’étonner de ses silences. Radio Paris (France Inter pour les non initiés) invite toujours les mêmes “experts” : pas de débat, pas de risque, pas d’opposition. Le 4e pouvoir est un mythe. Les médias indépendants ne sont pas (encore) un pouvoir : ce sont les seuls à pouvoir s’honorer du titre de presse (comme on s’honorait du titre de citoyen pendant la Révolution française). Et eux font leur travail.

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