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Le service national contre l’ennemi de l’intérieur

Dans un rapport en date du 12 février 2018, l’IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale) voit dans le SNU (service national universel) un outil d’éducation totale des jeunes mais aussi de contrôle de toute la société. « Une transformation silencieuse » qui passe par des préconisations qui font froid dans le dos.

Le service national, dernier avatar en date de la « défense globale »

Au-delà des traditionnels éléments de communication censés justifier le projet (« universalité, égalité, fraternité etc… »), l’objectif central est celui de la « défense globale », un concept dont le flou permet de justifier toutes les extensions. Dans le cas présent, l’IHEDN ratisse large, très large : le SNU « doit favoriser l’attractivité [des armées], générer un meilleur recrutement et leur permettre, le cas échéant, de s’appuyer – en cas d’intervention sur le territoire national * – sur des réserves de la Nation/de la République (sic), identifiées, mieux formées, immédiatement rappelables, plus solidaires. » Qu’un des objectifs prioritaires du SNU soit de répondre aux besoins de recrutement des armées n’est pas une surprise – il apparaît en filigrane à travers tous les dispositifs de rapprochement jeunes/armées, notamment dans l’éducation à la défense – mais avec l’accent désormais mis sur une intervention se déroulant à l’intérieur des frontières et des classes d’âge « immédiatement rappelables » (une formulation qui renvoie à la guerre d’Algérie..), le projet de SNU prend une tout autre signification, dont le rapport ne prend même pas la peine de dissimuler la portée : « une contribution limitée et précisément définie doit permettre de valoriser les atouts pédagogiques des militaires et de souligner leur contribution à la prévention de crises sur le territoire national, en même temps que leur contribution à la formation des jeunes et à une certaine remédiation sociale. »

Interventions sur le territoire national, prévention de crises sur le territoire national, formation des jeunes, remédiation sociale : en quelques mots, tout est dit. En usant d’une dialectique qui n’est pas sans évoquer « le rôle social de l’officier », le SNU permet d’étendre à l’infini le champ d’intervention de l’armée : l’éducation (et l’école) comme étape obligée d’une militarisation plus large de toute la société. Dans cette optique, l’IHEDN imagine un service national qui soumettrait tous les jeunes à partir de 18 ans à une « obligation de défense en cas de crise nationale, de nature sécuritaire ou non. Tous peuvent être rappelés en fonction des circonstances. » Au regard du caractère extensif et arbitraire de la notion de crise, de la facilité avec laquelle les dirigeants y ont recours pour instaurer un état d’exception devenu la norme (et de la facilité avec laquelle la société l’accepte – tant qu’elle n’en est pas elle-même la cible), on comprend que le service national recouvre un champ d’application des plus étendus mais qui a davantage à voir avec la surveillance de la population qu’avec le service qu’on est censé lui rendre. La figure du danger est ici, clairement, celle de l’ennemi intérieur.

Les trois étapes mirifiques du citoyen nouveau

Les principes étant ainsi fixés, le rapport détaille alors les 3 « modules » supposés conduire à l’avènement du citoyen nouveau.

Dans le cadre du module 1, qui concerne les classes de 6e à 4e des collèges, il s’agit principalement de « systématiser les apprentissages » déjà prévus par le protocole armée-école du 20/05/2016 et dont les recommandations « doivent être systématiquement appliquées, contrôlées et consolidées », notamment les visites d’établissements militaires qui doivent devenir obligatoires.

Le module 2 touche plus spécialement les élèves de 3e : organisé autour de 2 semaines en internat, dans un « hébergement type camping » (sic), ce moment « très fort de vie en commun » sera notamment l’occasion d’« exercices en groupe sur le thème du patriotisme et de la défense globale. » Pour donner un contenu à ce module (et par contrecoup faire rire le lecteur de la présente note), les auditeurs de l’IHEDN font preuve d’une imagination sans limites. Ainsi, à la fin de ce module, les jeunes auront appris (en vrac) à : « se comporter en cas d’incendie, d’attaque terroriste ; apprendre le patriotisme (…) ; réfléchir sur les conflits militaires de la France pour contribuer à la paix (…) ; savoir utiliser un masque à gaz (sic) et manipuler un masque médical en cas de virus violent (…) ; cours d’arts martiaux et d’autodéfense (45 minutes/semaine) (…) ; incitation au don du sang [indispensable pour abreuver les sillons] (…) »

Le module 3 (pour les 18-21 ans) – d’une durée d’un mois pour tous en internat à 10 mois pour les volontaires – se fixe pour objets de travail : « droits et devoirs du citoyen – décliner intelligemment [qui en doute ?] l’obligation de défense ». En sus d’un « parcours éducatif de type militaire (courir avec des obstacles) [comme à Verdun], enseignement du tir avec des armes non létales [le taser comme outil de remédiation sociale ?] », ce module ne néglige pas une autre mission, certes moins noble que les précédentes mais destinée à rappeler que l’Education nationale reste maître d’œuvre du projet : « traitement du stock des décrocheurs ». On les aurait presque oubliés…

Enfin, chacun de ces modules se verra sanctionné d’une cérémonie solennelle avec remise de médaille de bronze, d’argent et d’or. Cela ne s’invente pas.

Le coût de ce dispositif psychédélique (2,6 milliards d’euros par an, « en rythme de croisière », coûts d’investissement estimé à 2,4 milliards d’euros…) ne semble pas poser de problème à ses promoteurs. Partant du principe qu’« en aucun cas (…) le développement du projet ne doit fragiliser le modèle d’armée , ni porter atteinte aux capacités opérationnelles des armées dans lesquelles les ressources humaines et le budget tiennent une place non négociable », le rapport a trouvé ses financeurs : les départements, heureux d’apprendre qu’ils auraient l’obligation de « mettre à disposition de ce grand projet national, deux structures d’accueil – type collège avec internat – de 300 personnes chacune, soit deux ensembles immobiliers de 6000 m2. Le coût par département est de l’ordre de 25 millions d’euros, pour un coût cumulé maximal de 3 milliards d’euros. »

Le jeu dangereux de l’Education nationale

Si, pour le moment, le projet – non encore finalisé – du SNU s’écarte en partie des préconisations de l’IHEDN, il n’en reste pas moins que la publication de ce rapport à la tonalité très injonctive vient conforter la philosophie générale du système prévu :

– en dépit des précautions oratoires maintes fois avancées par les défenseurs du SNU, les considérations militaires restent prédominantes : il s’agit, non seulement de satisfaire les besoins de recrutement des armées, mais surtout, par un endoctrinement permanent précoce (l’éducation à la défense), de sortir du débat public non seulement tout ce qui touche à la politique militaire (interventions extérieures, commerce des armes, bombe atomique, diplomatie etc) mais également – puisque la défense se définit comme « globale » – des questions relatives à la sécurité intérieure, au maintien de l’ordre, à la contestation sociale etc. Autrement dit, exclure du débat démocratique tout ce qui peut remettre en cause la toute puissance de l’état.

– en soumettant toute une classe d’âge à une sujétion personnelle obligatoire, le SNU réactive et renforce l’obsession étatique de surveillance de la société, un principe à l’origine de la conscription. Dans sa brutalité décomplexée, le rapport de l’IHEDN fait du service national un outil assez effrayant de contrôle total de la société civile.
Cette conception du service national privilégiant une militarisation de l’enseignement est d’ailleurs très proche dans son esprit de celle formulée par l’Assemblée nationale et reprise dans une récente proposition de loi. Il n’est pas non plus anodin de noter que l’IHEDN, établissement public placé sous la tutelle du Premier ministre, est, depuis 1982, par sa participation aux « trinômes académiques », un des inspirateurs directs de l’éducation à la défense, dont l’influence se renforce au fil des ans, sans aucune concertation … mais sans rencontrer, il est vrai, beaucoup d’opposition sur le terrain.

On en vient alors à se dire que le stage « de gestion de crise » organisé dernièrement par le rectorat de Versailles pour ses chefs d’établissement, réduits au rang de petits soldats bien obéissants, n’est pas qu’une simple pantalonnade : si, comme la chose se dessine au fil des mois, le SNU devait devenir réalité et se concrétiser comme une obligation de nature militaire imposée aux lycéens, ce serait aussi la confirmation d’une lourde dérive de l’Education nationale.

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