Que ce soit les enseignant·es, les familles ou les personnels de direction, on entend souvent régulièrement l’hétérogénéité des classes accusée d’être responsable d’une baisse du niveau et des exigences (ce fameux « nivellement par le bas » que les discours catastrophistes sur l’école invoquent à grands cris).
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1/ L’hétérogénéité, qu’est-ce que c’est ?
– des profils d’élèves différents, dans leur manière d’apprendre, dans leurs attitudes ;
– des savoirs et des compétences hétérogènes ;
– une maîtrise de la langue française inégale ;
– ou encore un bagage culturel différent.
Les difficultés que cela pose :
Ces différences de besoins et de compétences entre les élèves, parfois très grandes, constituent évidemment une difficulté pour les enseignant·es, surtout lorsque les classes comptent 25 à 35 élèves : comment accompagner chacun·e sur un parcours de réussite lorsque nous n’avons que quelques heures par semaine (quelques minutes par élève !) à leur consacrer ? Comment répondre aux besoins de chacun·e, que ce soit l’élève à besoins éducatifs particuliers, l’élève qui a besoin d’une reformulation des consignes ou encore l’élève qui fait tout très vite et très bien, surtout quand on n’est pas formé·e à la différenciation ?
Et pour autant, doit-on renoncer aux classes hétérogènes ?
Si je peux comprendre l’intérêt, ponctuellement, de faire éclater les groupes classes et de travailler par groupes de besoins (méthode, lecture des consignes, compétences diverses), je reste convaincue que maintenir des classes hétérogènes est essentiel.
En effet, avec des classes homogènes(1), des élèves séparés en fonction de leur « niveau scolaire », on court vite le risque de mettre en place un enseignement à deux vitesses : aller vite, faire l’intégralité du programme, approfondir les notions, apporter de la culture aux élèves de bon niveau vs ne voir que les bases, les « fondamentaux », avec les élèves les plus faibles, de manière à pouvoir leur donner le bagage minimal pour les orienter en voie professionnelle, pour une grande partie (2).
Les classes hétérogènes, selon moi, restent une manière de lutter contre les inégalités qu’elles ne sont pas censées reproduire (les inégalités des quartiers, des catégories socioprofessionnelles, les inégalités culturelles…), même si j’ai conscience des différentes stratégies des établissements – et des familles – pour recréer des classes de niveau, par le biais des langues et des différentes options qui peuvent être proposées. L’hétérogénéité dans les classes permet également aux élèves de découvrir les différences de chacun·e et de s’enrichir sur le plan humain, culturel et cognitif.
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2/ Comment fonctionne un plan de travail ?
Ma pratique : après l’entrée dans un chapitre (qui pose les notions, le contexte littéraire et/ou historique, le cadre), je constitue un plan de travail (PDT).
Le PDT est d’une durée variable, entre 2 et 3 semaines, afin que chaque élève ait la possibilité d’entrer dans les différentes tâches proposées et d’avancer à son rythme. Selon la durée, le PDT peut comporter 3 à 6 activités.
Ces activités visent à travailler différentes compétences :
– lecture et compréhension de textes courts
– dans le cadre de la lecture d’œuvre intégrale, des activités sont proposées pour accompagner les élèves vers une lecture autonome (résumé, marque-page de lecture, travail sur les personnages, sur la représentation des lieux, sur la chronologie…)
– compréhension orale (avec utilisation de la salle informatique pour regarder une vidéo ou écouter une prise de sons)
– travail sur la langue : en remédiation suite à une évaluation ou un travail d’écriture / ou en révision / ou en application suite à une leçon au cours du chapitre.
– Analyse d’images (fixes ou mobiles, avec utilisation de la salle informatique)
– travail libre : particulièrement apprécié des élèves, il leur permet d’effectuer un travail de leur choix, à condition que cela reste du français. Parmi les travaux : écriture de textes, de poème – lecture avec compte-rendu – carte mentale pour schématiser une leçon ou une lecture – bande-dessinée – exercices de conjugaison…
– Atelier de lecture, par groupe de 4, avec l’enseignante, pour travailler la fluidité de la lecture ou l’oralisation de textes…
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Matériel :
chaque élève dispose de son PDT (qui peut être individualisé) ;
les supports de chaque activité sont placés à un endroit de la salle bien défini ;
les éventuelles autocorrections sont à un endroit différent ;
lorsque les activités l’exigent, les documents audio ou vidéo sont placés sur les sessions de travail des élèves (salle informatique).
Déroulement en classe :
Présentation du PDT aux élèves, ainsi que de la grille d’évaluation des compétences.
Les élèves choisissent leur première activité, prennent le support et commencent le travail. Les élèves ont la liberté de choisir l’ordre dans lequel elles ou ils souhaitent faire les activités.
Les élèves circulent librement et peuvent faire appel à l’enseignante ou à leurs camarades pour être aidé·es.
L’enseignante passe voir les élèves individuellement pour aider, conseiller, corriger.
Deux ou trois fois au cours du PDT, en fin d’heure, 15 minutes sont consacrées à un bilan métacognitif de la part des élèves : qu’est-ce que j’ai appris ? Qu’est-ce que j’ai bien réussi ? Quelles ont été mes difficultés ? Comment est-ce que je les ai surmontées ?
Ce bilan peut être communiqué à l’oral, en classe entière, ou en petit groupe, afin que les élèves partagent leurs pratiques et se conseillent mutuellement.
A la fin du PDT, plusieurs séances sont consacrées à la reprise en classe entière où chaque élève est partie prenante. Des élèves volontaires peuvent présenter leurs travaux, expliquer leurs démarches, les écueils auxquels elles/ils ont été confronté·es…
L’enseignante apporte des compléments plus techniques (histoire littéraire, parallèles avec d’autres formes d’art ou avec le contexte historique, procédés littéraires non vus auparavant, précisions linguistiques, méthodologie…).
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3/ En quoi le PDT constitue-t-il une réponse possible à l’hétérogénéité ?
Une réponse à la diversité des niveaux : une même activité peut comporter des niveaux de complexité différents. Les élèves peuvent choisir de ne traiter qu’un niveau, deux niveaux ou trois niveaux. Dans tous les cas, les trois niveaux seront vus lors de la reprise du plan de travail en classe entière.
Une réponse à la diversité des besoins : pour les élèves qui avancent plus rapidement, on peut imaginer une liste de thèmes et de travaux supplémentaires, mais qu’elles ou ils devront présenter devant la classe, afin de faire profiter de leurs avancées à l’ensemble des élèves. Je pars du principe que, pour les élèves qui vont plus vite, il ne s’agit pas de donner davantage d’exercices identiques (« plus de la même chose », ce qui pourrait être ennuyeux, non stimulant, ou vécu comme injuste), mais des tâches différentes, peut-être plus complexes, en rapport avec le chapitre, et qui viendront enrichir le cours au bénéfice de tou·tes les élèves. (Par exemple, dans le PDT mis en pièce jointe, on peut proposer un exposé sur d’autres Robinsonnades, une lecture intégrale de la BD ou du manga dont un extrait figure dans le plan de travail avec rédaction d’un avis de lecteur/lectrice, ou encore la constitution d’un lexique maritime, à faire photocopier pour la classe)
Une réponse à la passivité des élèves : avec le fonctionnement en PDT, difficile d’échapper au travail, de se cacher devant les élèves qui participent et sont sur le devant de la scène. Ici, on assiste à une mise au travail de tou·tes les élèves. Le temps d’exposition aux savoirs et à la tâche me paraît plus long qu’en classe entière. Attention, cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais de résistance de la part des élèves, mais elle se gère tout aussi progressivement, par le dialogue, par l’exemple et les encouragements des autres élèves.
Une réponse à la diversité des rythmes : les élèves avancent à leur rythme et peuvent choisir l’ordre des différentes activités (par goût, par niveau de difficulté…).
Une réponse aux tensions qui peuvent exister entre les élèves, par le développement de l’entraide et les échanges sur les productions et réflexions entre les élèves.
Si le plan de travail n’est bien sûr pas la seule manière de tirer profit de l’hétérogénéité des classes, il constitue, pour moi, une voie très satisfaisante.
[/Jacqueline Triguel/]
Quelques supports à télécharger
pdtvernesupportsconsignestextes.odt
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(1) On peut s’interroger sur les principes qui présideraient la constitution de ces classes homogènes. Quels critères retenir ? Le niveau en français ? En maths ? Dans les matières dites « fondamentales » ? Considérer que les élèves sont eux-mêmes et elles-mêmes homogènes dans toutes les disciplines ? Ou, moins politiquement correct mais non moins réel : un critère social serait à l’œuvre dans le choix des élèves ? Des critères contestables, pour qui les regarde de près !
Faire des classes homogènes, c’est également faire le choix de mettre en difficulté les équipes qui n’ont pas demandé à travailler avec ce public spécifique, et donc mettre en concurrence les équipes (Qui prend les bonnes classes ? Qui prend les autres ?)
Faire des classes homogènes, c’est enfin assumer, institutionnellement, de stigmatiser, de mettre à part les élèves les plus démuni·es.
(2) Pensons aux classes d’aide et soutien, technologiques ou de découverte professionnelle qui ont pu traverser l’histoire du collège et qui constituaient le plus souvent une pré-orientation, même si ces idées partaient peut-être d’une bonne intention – aider les élèves en difficulté).
Plus récemment, pensons à la réforme des lycées professionnels qui amoindrit encore la part des enseignements généraux, considérant ainsi que ces jeunes n’ont pas à avoir accès à une formation sérieuse à la culture, la littérature, l’histoire, les langues…
Documents joints