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Le grand basculement

L’affaire du “burkini” qui déchaîne tant les passions serait risible si elle ne nous renseignait pas sur la nature de l’ordre sécuritaire en train de se transformer en grande peur de l’ « Autre ». De l’identité nationale menacée de l’intérieur à l’état d’urgence, le piège identitaire se referme maintenant sur nous. L’ordre sécuritaire est totalitaire par essence car il subordonne toutes les autres valeurs à ses propres fins. Il n’est pas jusqu’au principe de laïcité qui doive maintenant répondre aux exigences de l’état d’urgence (1). Nous sommes face à un basculement politique effrayant.

Le spectre de la guerre civile

On connaît les thèses du politiste ultraréactionnaire Samuel Huntington : la lutte des classes comme moteur de l’histoire ne tient plus en ce troisième millénaire, c’est dorénavant autour des différences de civilisation que les sociétés vont s’affronter. Et, en effet, l’ordre sécuritaire est en train de donner de la réalité à ce genre de représentations politiques. Mais ce que les idéologues de la guerre des cultures ne disent pas, c’est qu’à l’ère de la mondialisation les sociétés ne forment pas des blocs homogènes ; les cultures s’entremêlent et se mélangent au contraire en leur sein. Si bien que le prétendu conflit entre les civilisations ne peut prendre aujourd’hui que l’allure d’une guerre civile. Plus on s’enfonce dans l’ordre sécuritaire et plus la politique apparaît comme une guerre que l’État mène à la société, surtout après l’affrontement autour de la loi travail. C’est même à se demander si le recours à l’identité nationale n’a pas pour objectif d’occulter la question sociale ou de désamorcer tout débat sur un mode de gouvernement dont la légitimité ne cesse de se poser.

Quand les ancêtres redoublent de férocité

L’ordre sécuritaire creuse un peu plus chaque jour une ligne de démarcation entre « eux » et nous, entre ceux et celles qui auraient les bons ancêtres et les autres, sommés de faire allégeance en permanence parce que suspects en raison de leur seule appartenance culturelle supposée. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’un collectif d’enseignants d’extrême-droite ait choisi de s’appeler le collectif Racine, comme s’il s’agissait de renouer avec la vraie France, celle d’avant les dernières vagues migratoires qui l’auraient dénaturée. Il règne une ambiance très « fin de siècle », un peu comme si nous revivions les années 1890, époque d’hystérie xénophobe d’où allait sortir le mouvement nationaliste moderne qui devait faire de l’étranger cet autre à soumettre ou à éliminer parce qu’il menacerait l’existence même de la nation. On croirait assister à la revanche d’un Barrès ou d’un Drumont, l’écrivain antisémite obsessionnel.

Sans doute une culture ne peut-elle persister dans ce qu’elle est profondément sans l’acte de transmission et de conservation. Mais si elle s’en tient à la simple reproduction ou la répétition du même, elle ne peut rester vivante et perd sa signification. Elle finit par pourrir et se décomposer.

Pour une éducation créative et créatrice

Ce que les conservateurs de tout bord ne veulent pas voir, c’est justement que la reproduction de l’exception républicaine, la répétition au fondement du principe d’identité, a dégénéré en idéologie du repli sur l’entre-soi. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de construire un imaginaire social renouvelé, ouvert sur l’altérité et inclusif.

S’il faut vraiment parler de querelle à propos de l’éducation, elle passe entre ceux et celles qui sont pour une éducation démocratique et les partisans de l’autoritarisme. Les premiers estiment que ce sont les individus dans leur diversité et avec leur singularité qui donnent forme à une culture quand les autres pensent qu’une culture est un être immuable et égal à lui-même auquel il faut se plier. Une culture démocratique n’est pas simplement donnée ou transmise, elle est partagée, interrogée et élaborée en commun. En ce sens, elle est une reprise continuelle. C’est parce que la France résonne aujourd’hui de tous les échos du monde qu’une telle culture ne peut être que plurielle.

Et qu’est-ce qui nous empêche d’aller vers une éducation créative et créatrice sans plus attendre ? L’État, l’inspection, les chefs d’établissement, la réforme du collège, les institutions ? Même pas ! C’est avant tout notre désorientation politique qui conduit au découragement. S’il faut commencer par le commencement, demandons-nous ce que nous voulons et pourquoi nous le voulons puisque tout mouvement de contestation radical en passe par là. Retour ligne automatique
Ce qui nous manque – c’est un horizon utopique. Il n’appartient qu’à nous de l’inventer. Et nous aurons des armes.

(1) Voir Roseline Letteron, Le burkini bafoue le droit des femmes, Le Monde du 20 août 2016, p. 19.

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