Enseignante de nombreuses années en classe coopérative, j’ai pu vivre avec les élèves cette citoyenneté promue par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
2019 commémore l’adoption de la CIDE par la France, mais l’exercice de la citoyenneté dès le plus jeune âge n’est pas au cœur de tous les espaces éducatifs.
Tous les jeunes ne connaissent pas la Convention, tous les adultes non plus !
Les lois de la classe coopérative découlent d’une conception éducative. Celle qui se fonde sur l’apprentissage par tâtonnement expérimental de la liberté, de la responsabilité, des droits et des obligations au sein d’une communauté qui met en œuvre les principes d’entraide, de solidarité, d’autonomie, de coopération tant pour la réalisation des projets communs définis ensemble que pour la réalisation des projets personnels.
L’expérience de ces classes témoigne que les jeunes sont des acteurs responsables de leur vie scolaire lorsque le droit et les moyens leur sont donnés. L’école doit être le lieu d’apprentissage des droits de l’homme leur permettant d’y vivre leurs droits d’enfants et de jeunes.
Entre protection et émancipation, toute la part de l’adulte !
La société, par la voix des médias, des politiques voudrait que l’école résolve les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non respect de l’environnement par des leçons.
Doit-on restreindre l’apprentissage de la citoyenneté à des cours de morale ou de remédiation ?
**Une approche globale de la citoyenneté
Prendre en compte la citoyenneté, c’est mettre en cohérence la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) et les pratiques quotidiennes coopératives dans la classe.
Aujourd’hui, en application de la CIDE, l’établissement, la classe et les autres lieux éducatifs et de vie, doivent devenir des lieux de pratiques citoyennes qui permettent à chaque jeune de :
– participer aux décisions collectives en donnant son avis, en défendant son point de vue, en faisant des choix, qu’il s’agisse d’activités, d’organisation (temps ou espace) ou de règlements et règles de vie ;
– s’engager dans des projets collectifs réels, négociés et contractualisés, dans lesquels il doit assumer sa part coopérative ;
– prendre des responsabilités qui marquent son appartenance au groupe et dont il rend compte ;
– s’ouvrir aux autres et coopérer avec eux.
C’est par cette pratique sociale que les jeunes peuvent acquérir, progressivement, l’assurance, la confiance en soi et les compétences, nécessaires pour s’impliquer.
** La participation est un critère de la citoyenneté
Dans notre lunette d’éducateur, on voit apparaître l’image d’un citoyen actif et engagé qui, en coopération avec les autres, pèse sur les décisions qui ordonnent sa vie quotidienne
La participation des jeunes, comme celle des adultes, ne se décrète pas, elle se construit petit à petit. Elle implique un apprentissage par la pratique.
« On naît citoyen, on devient un citoyen éclairé » disait en 1985 Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale. Oui, on le devient et les finalités et objectifs de l’école deviennent plus clairs : il s’agit de préparer les jeunes à devenir des citoyens autonomes, responsables et solidaires.
La participation démocratique des jeunes aux affaires qui les concernent est une pratique qui devrait être au cœur de tous les temps et de tous les espaces d’éducation.
Le droit de participation est le point d’appui fondamental d’une véritable formation politique, démocratique et institutionnelle à une citoyenneté active et responsable.
Depuis 1989, le Conseil de l’Europe affirme que « le meilleur enseignement de la démocratie est dispensé dans un cadre où la participation est encouragée et les points de vue exprimés ouvertement, où règnent la liberté d’expression des élèves et des enseignants, ainsi que l’équité et la justice »
Cette véritable reconnaissance de la citoyenneté de l’enfant et du jeune s’appuie sur l’article 12 de la CIDE qui stipule que : « Les États parties garantissent à l’enfant[1] qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en compte eu égard à son âge et à son degré de maturité. »
Ce droit d’expression peut être décomposé ainsi :
– le droit de s’exprimer, de parler, de donner son avis ;
– le droit d’être écouté, d’être cru ;
– le droit de participer au processus de décision et même de prendre seul des décisions.
– le droit et le devoir de participer à la mise en œuvre des décisions prises.
** Des institutions pour exercer la participation
Mettre en place des institutions qui permettent l’exercice d’un droit de participation des enfants et des jeunes aux affaires qui les concerne est donc non seulement un acte légitime pour les éducateurs qui le tentent, mais un devoir éducatif et citoyen pour tous.
Développer la participation démocratique dans et hors de l’école est l’objectif premier des éducateurs en pédagogie coopérative.
La participation démocratique des jeunes étant un droit, ils devraient pouvoir demander son respect, il est donc nécessaire que les enfants et les jeunes connaissent la CIDE.
Sans cette connaissance, ils sont persuadés que le droit de donner leur avis, d’être entendus et associés aux décisions qui les concernent, individuellement et collectivement en tant que groupe social, ils le doivent seulement à la bonne volonté des adultes qui ont la possibilité de le reconnaître ou de l’ignorer, ou encore de le retirer en cas de non-respect des règles de la vie collective.
Mais il est également nécessaire que les adultes connaissent la CIDE ainsi que les processus, les démarches et les outils pour instaurer une réelle participation des enfants dans tous les temps et espaces éducatifs.
Or, on peut constater que souvent le droit de participation au processus décisionnel démocratique est ignoré, y compris par des éducateurs et enseignants de mouvements pédagogiques et d’éducation populaire.
Même si les expériences démocratiques dans les communautés d’enfants datent de plus d’un siècle, elles demeurent encore aujourd’hui de l’ordre de l’innovation pour les équipes pédagogiques qui osent s’y engager. C’est pourquoi il est important que ces expériences soient encouragées, soutenues, valorisées, diffusées, car les enjeux dépassent largement l’école. Il s’agit de construire, ensemble, adultes et enfants, une autre société, une autre démocratie, un autre monde, où, chacun aura droit, à égalité, de jouer son rôle dans la recherche de réponses novatrices, alternatives et durables aux questions de société, aux aspirations et aux besoins humains.
La participation concerne tous les citoyens partout où ils se trouvent, habitants dans la ville, travailleurs dans les entreprises… enfants et jeunes dans la famille, l’école, les institutions éducatives, les centres de loisirs…
Le problème qui est alors posé est : comment faire pour que les adultes et les jeunes puissent être des citoyens à part entière dans les lieux où ils vivent et travaillent ?
**Et des citoyens coopératifs, solidaires fraternels !
La coopération est une conception humaniste et démocratique partagée par l’éducation nouvelle qui se fonde sur l’expression libre et l’autonomie collective des écoliers dans les communautés d’enfant.
La classe coopérative actuelle est née de tous ces travaux, expériences et volontés diverses.
Vouloir faire de la coopération un principe de base de la vie sociale et pédagogique de sa classe, c’est adhérer à une conception de l’homme et de la société, des valeurs, à un rapport entre les personnes et à un mouvement d’idées qui dépassent le cadre de l’école.
Les activités scolaires d’une classe coopérative structurent en permanence l’idée de coopération en tant que démarche fondamentale et logique de la vie de classe.
On peut parler d’éthique coopérative :
– la solidarité : la coopération institue une solidarité consciente qui met en jeu la responsabilité de chacun et la volonté de concourir au bien commun « un pour tous, tous pour un et tous pour tous » (devise accrochée dans ma classe). Apprendre à vivre ensemble, c’est coopérer et participer à la réalisation d’objectifs et de projets communs. On peut dire « Co-fabriquer » avec les autres dans la solidarité enseignant et élèves.
– la fraternité : c’est bien devant la difficulté, lorsqu’il est nécessaire de s’entraider que se créée une fraternité humaine. Reconnaître l’autre comme un autre moi, l’empathie, cela dépasse la simple admission de son existence, c’est apprécier l’existence et la présence des autres à ses côtés, voir ses différences et similitudes, les accepter pour s’enrichir ou se différencier. La coopération, c’est pouvoir un jour se réjouir et profiter positivement des différences entre les êtres, en jouissant de la complémentarité qu’elles offrent.
Accepter l’autre tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit, ne plus en avoir peur pour s’accepter soi-même.
C’est une éducation sociale et morale naturelle à la solidarité. L’adulte n’est plus l’unique référent (pas besoin de leçons de morale !). Les échanges coopératifs permettent la prise de conscience des connaissances propres à chacun, mais aussi la capacité d’apport aux autres.
C’est le fruit d’un rêve social pour tenter de construire une société juste et pacifiste. S’associer librement avec les autres.
Une autre relation s’installe entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, moins (encore..), un changement de place de l’acteur principal qu’est le jeune, c’est une perspective qui engage l’élève à être sujet, auteur de cette pratique, dans un positionnement réciproque de demandeur ou d’aideur, et surtout qu’il en est à l’initiative
– la responsabilité : le projet coopératif, est l’objet d’un choix collectif réfléchi et lucide. Citons Freinet
« Nous préparons, non plus de dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s’organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d’efficience et de paix. »
Former un citoyen engagé, apte à s’exprimer, à agir avec les autres et à prendre des responsabilités, au sein des collectivités où il vit, où il travaille.
– un climat de confiance qui assure la sécurité, développe l’estime de soi une attitude de l’enseignant qui encourage et respecte les droits, la dignité, la différence, les capacités de chacun.
**Les pratiques de coopération en classe
La classe coopérative est un ensemble complexe, formé par des activités diversifiées, une organisation originale du temps, de l’espace, des apprentissages et des institutions multiples. Tous ces éléments sont liés et rétroagissent les uns sur les autres. Leur cohérence est une nécessité fondamentale.
Organiser et réussir ensemble des actions importantes est un moyen efficace pour créer un groupe coopératif.
Coopérer pour produire, créer (un texte, une œuvre, un exposé, une création…)
Coopérer pour acquérir des savoir-faire
– des apprentissages personnalisés motivés par des projets (individuels ou collectifs) ;
– la création d’une communauté d’apprentissage : interaction, échanges de savoirs, entraide… la réussite de chacun est l’affaire de tous.
Coopérer pour apprendre ensemble
– organisation du travail s’appuyant sur des situations réelles donnant aux élèves le besoin de travailler ensemble dans un but commun ;
– élaborer et appliquer les règles de vie, partager les responsabilités, résoudre les conflits. Toutes les décisions sont prises ensemble, les droits, les devoirs, les obligations des jeunes et des adultes sont clairement précisés et constituent un contrat de vie commune ;
– proposer et réaliser un projet, proposer et définir des objets d’apprentissage, leur répartition…
– ouvrir la classe sur le monde proche et plus lointain, organiser des partenariats avec les parents, des intervenants extérieurs, favoriser les rencontres.
Coopérer pour communiquer (l’entretien, le journal, la correspondance, les expositions, les conférences et exposés, les blogs).
Coopérer pour s’organiser : les plannings, l’emploi du temps, la gestion des espaces, des ateliers, et des outils, permettre à chacun de disposer de temps et d’espaces personnels pour la réalisation de projets (un texte, une création artistique, une lecture…). Permettre l’articulation du collectif avec le désir individuel.
Coopérer pour construire une culture : accueillir les différentes cultures des membres du groupe classe, les relier à la culture universelle (historique, scientifique et géographique de l’humanité).
Coopérer pour évaluer, s’évaluer : préparer, proposer, s‘entraider, construire, partager…
La pédagogie coopérative met en place des techniques, des outils, des pratiques permettant à la coopération d’agir au quotidien dans les classes : entraide, travail coopératif, réseaux d’aide, échanges de savoirs, arbres de connaissances…
Il est donc nécessaire d’élaborer un milieu dans lequel chacun peut prendre sa place et agir qui prend en compte :
L’hétérogénéité (niveau, âge, maturité, sociale, culturelle), point d’appui d’une pédagogie interactive et coopérative
Le rôle de l’enseignant : cette « part du maître » qui met en place les situations pédagogiques, autorisent le groupe et l’individu à s’exprimer, créer, tâtonner, proposer, apprendre…
L’organisation de l’espace : favoriser les déplacements et les échanges pour coopérer. Investir et aménager l’espace.
La gestion du temps : délimiter et rythmer le travail personnel et le travail en commun (gestion coopérative)
Le rôle du Conseil (projets, régulation, partage des responsabilités, suivi et respect des décisions, rituels, régularité, place de l’enseignant, l’animation avec le président… )
La classe coopérative est une institution avec ses structures, ses règles, son fonctionnement démocratique. Elle n’est pas figée, elle évolue en fonction des faits observés, des analyses menées par le groupe et les propositions de changement. Le processus créateur est permanent.
Par ses finalités et ses principes, la coopération affirme sa détermination d’impliquer profondément les enfants et les jeunes dans une nouvelle conception de la vie sociale, du rapport au travail et de l’exercice des droits.
Par son organisation démocratique et ses pratiques, la coopération permet aux enfants et aux jeunes de s’exprimer librement sur toutes les affaires les concernant, d’exercer un réel pouvoir collectif sur leur vie, de prendre de véritables responsabilités, d’être les acteurs de leurs apprentissages.
La coopération s’inscrit donc parfaitement dans le projet de développement d’une citoyenneté, politique et sociale, fondée sur la participation et la solidarité.
La citoyenneté, un essentiel de l’éducation
J’ai beaucoup apprécié votre article.
J’ai une question cependant: Si ensuite vous remplissez des LSUN, vous n’êtes plus respectueuse des droits de l’Enfant…selon la CIDE ! (2 rapports successifs dénonçant les fichages scolaires de la France dont le dernier en 2016)
Peut-on bafouer les droits de l’enfant et ceux des familles sur le traitement déloyal de leurs données personnelles, et prétendre ensuite à leur confiance, nécessaire pour appliquer votre pédagogie?
Comment faites vous?
Peut-être comme les autres, en les tenant autant que possible dans l’ignorance de leurs droits, en vous persuadant que de toutes façons si ils étaient au courant ils ne seraient pas contre, ou en leur laissant croire que s’ils souhaitaient faire opposition ils le pourraient … je peux vous dire par expérience que c’est faux.
J’aimerais savoir ce qu’en pense votre courant pédagogique…
merci!