Nouvelle chronique de B. Girard Blog : Histoire, Ecole et Cie
Un encadrement militaire pour les enfants de 12 ans ? Avec cette dernière initiative avancée par plusieurs parlementaires, l’année Charlie n’en finit pas de dériver, de délirer.
Un encadrement militaire pour les enfants de 12 ans ? Avec cette dernière initiative avancée par plusieurs parlementaires, l’année Charlie n’en finit pas de dériver, de délirer.
« Acculturer » les jeunes à la chose militaire
Dans un rapport déposé en décembre devant l’Assemblée nationale, deux députés, Marianne Dubois (LR) et Joaquim Pueyo (PS), proposent de supprimer la journée défense et citoyenneté (JDC) corvée obligatoire pour tous les jeunes de 18 ans, par « un programme de cadets de la défense pour les 12-18 ans ». Il s’agirait d’élargir une structure, créée en 2008, et qui regroupe aujourd’hui 300 jeunes de 14 à 18 ans – activités diverses le mercredi après-midi, camps d’été, participation aux cérémonies patriotiques, le tout sous encadrement militaire – pour en toucher si possible 100 000, avec un âge d’entrée abaissé à 12 ans. Si, du moins pour l’instant, les deux parlementaires n’envisagent pas la généralisation du système à l’ensemble de la classe d’âge, ce n’est pas qu’ils soient retenus par un scrupule pacifiste mais, plus prosaïquement, par des considérations budgétaires liées au coût du projet, qui serait alors financé par la suppression de la JDC jugée coûteuse et de peu d’intérêt.
Bien sûr, on nous assure la main sur le cœur que « le but du programme ne serait pas de former de futurs militaires », une affirmation pourtant aussitôt démentie par les mêmes rapporteurs qui mettent en avant sa dimension avant tout militaire et patriotique : « le caractère militaire, avec ce qu’il implique en matière de discipline et de don de soi, ne devra naturellement pas être édulcoré mais au contraire clairement affiché », avant d’ajouter : « concrètement, les jeunes y apprennent le vivre-ensemble, les valeurs civiques, la discipline, le dépassement de soi, le goût de l’effort, bref tout ce qui constitue l’ADN de nos armées. » Pour les plus âgés (16-18 ans), les précautions oratoires ne sont d’ailleurs plus de rigueur puisqu’il est carrément envisagé de les fusionner avec l’actuelle préparation militaire. En un mot, et ce mot résume bien les préoccupations des parlementaires : il s’agit ici d’ « acculturer [les jeunes] au monde de la défense » … une acculturation que connaissement bien, sous d’autres cieux, les enfants-soldats.
… avant qu’ils ne soient trop grands
L’abaissement à 12 ans de l’âge de ce service militaire qui ne dit pas son nom est, de fait, très révélateur de la volonté d’endoctrinement qui anime ses instigateurs, civils comme militaires. En 1996, le général Douin ne déclarait-il pas aux parlementaires : « Pour créer un lien entre le jeune français et la nation, il faut agir entre 12 et 15 ans. Tout se passe à ce moment. Quand on reçoit un soldat âgé de 18 à 20 ans, il est déjà trop tard… » Un point de vue manifestement partagé par les deux auteurs du rapport qui soulignent de leur côté que « c’est en effet dans cette tranche d’âge que les jeunes ont le plus besoin de repères structurants… » (sic). Des repères structurants qui leur feront signer quelques années plus tard un engagement en bonne et due en forme, avec la perspective de se retrouver un jour dans la position d’avoir à tuer ou à se faire tuer sur ordre sur un de ces multiples théâtres d’opération que la France entretient un peu partout avec la meilleure bonne conscience du monde. Ces dernières années, une centaine de jeunes français ont été tués, comme ça, bêtement, en Afghanistan, leurs directeurs de conscience ayant juste omis de leur dire que la fonction de l’armée, sa raison d’être, étaient principalement de faire la guerre.
Plus fondamentalement, il faut aussi comprendre que cette nouvelle initiative parlementaire ne vient pas de rien. Elle s’inscrit dans le dessein affiché, réaffirmé, des pouvoirs publics de s’assurer la complicité du système éducatif pour mettre en œuvre une militarisation des structures mentales, à commencer par celles des jeunes, des enfants, tellement plus malléables. Dans leur mouture actuelle, les cadets de la défense s’appuient sur une convention tripartite signée avec les chefs d’établissements scolaires et l’autorité académique. Des enseignants y sont également fortement impliqués. Les auteurs du rapport en appellent en outre au renforcement de l’éducation à la défense qui, selon eux, devrait faire l’objet d’une épreuve obligatoire à chaque examen (c’est déjà le cas pour le DNB). On apprend au passage qu’un nouveau protocole Armée-Ecole est en cours de rédaction, à la suite de ceux, qui, depuis trente ans, gangrènent toute l’éducation civique. En parfait accord avec la ministre de l’Education nationale, ils insistent également sur la participation des élèves aux cérémonies militaires (qu’ils appellent « patriotiques ») : « chaque jeune français devrait, avant d’avoir quitté le système scolaire, avoir participé à au moins une commémoration locale ou au ravivage de la flamme de la nation aux pieds de l’Arc de triomphe. » Une pratique commémorative déjà en réalité largement partagée, notamment avec le centenaire de la Première guerre mondiale dont la célébration en milieu scolaire tourne à l’instrumentalisation du passé quand ce n’est pas à la bouffonnerie.
Banaliser la guerre pour mieux la faire accepter
« Chaque jeune doit arriver à l’armée préparé, et préparé par l’école » : en 1982, Charles Hernu, ministre socialiste (bien sûr) de la Défense, fixait un cap dont aucun de ses successeurs ne déviera, avec cette conséquence que, dans le cursus des élèves, l’armée et la guerre sont des objets d’étude obligatoires mais des sujets tabous, une tare de naissance qui n’a fait que se renforcer tout au long de l’année 2015, tout spécialement sous l’influence d’un président de la république dont le goût prononcé pour la chose militaire et la guerre n’en finit pas de faire des dégâts sur le terrain, dans les finances publiques et surtout dans les mentalités – notamment des plus jeunes – aujourd’hui pénétrées d’une culture de guerre, qui interdit de considérer cette dernière pour ce qu’elle est vraiment : une corruption de l’action politique, un dérèglement de l’esprit humain. Pour élaborer leur projet d’encasernement d’enfants de 12 ans, les parlementaires se sont rendus au Canada, visiter des établissements largement ouverts aux sergents recruteurs. Différence notable avec la France : outre-Atlantique, la militarisation larvée des écoles fait débat et suscite une vive opposition, notamment dans les organisations enseignantes. En France, qui s’émeut du problème ?