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IUT de Béthune / manuel du parfait patron voyou (“jeu” d’entreprise)

Lu dans l’Humanité du 16 janvier

Laurent Mouloud (L’humanité)

Imaginez un monde merveilleux où les syndicats ont disparu, où le patron peut virer l’ouvrier sans préavis, où tous les salariés ont l’œil rivé sur le cours de Bourse de leur boîte… Non, vous n’êtes pas entré dans les doux rêves de Pierre Gattaz. Mais dans un «  jeu d’entreprise  » bien réel proposé chaque année à l’institut universitaire technique (IUT) de Béthune.

Depuis 2009, dans le cadre de leur DUT, les étudiants de la filière Qualité logistique industrielle et organisation (Qlio) doivent, en effet, participer à OGPlay, un exercice grandeur nature leur permettant de mettre en pratique leurs connaissances en matière de gestion des entreprises. Évidemment, quelques esprits malins y ont regardé de près. Et découvert, entre les lignes de cette «  pédagogie active  », un bel exemple de bourrage de crâne capitaliste.

Pour faire joujou, les étudiants se répartissent en équipes. Chacune représente une société évoluant dans le domaine de la charcuterie. Comme le stipule, en introduction, le Petit Manuel du parfait OGPlayer, toutes sont «  en concurrence  » et, comme de bien entendu, «  cotées en Bourse  ». Pendant une semaine, les apprentis dirigeants – bombardés «  actionnaires  » – vont devoir s’approvisionner en matières premières, investir ou encore communiquer sur leurs résultats. En prenant garde, avant tout, aux «  incidences sur le cours de leurs actions  ». ça, c’est de la politique industrielle.

Voilà pour le but général. Mais qu’on se rassure, les détails de la règle du jeu semblent également piochés dans un dossier de presse du Medef. Tout d’abord, les étudiants vont apprendre que dans l’univers d’OGPlay, la législation sociale est «  assez souple  ». Doux euphémisme. Nos actionnaires fictifs ont, en effet, la possibilité de licencier «  selon (leurs) besoins  » et sans aucun préavis  ! Et s’ils le font, cela ne coûtera que «  deux mois de salaire brut  » à l’entreprise. En revanche, les dirigeants, eux, sont bien protégés contre les aléas de la dure vie économique  : «  Vous ne pouvez évidemment pas recruter de nouveaux administrateurs, ni révoquer les administrateurs en fonction.  » C’est plus pratique.

Le salaire des ouvriers  ? Il peut évidemment être modifié à la guise des dirigeants. Même si le règlement préfère mettre en garde  : «  En rémunérant trop bien, vous risquez de perdre en compétitivité. En payant trop peu, vous vous exposez au risque de voir vos salariés vous quitter.  » Être «  compétitif  » avec de bons salaires  ? Apparemment, cela ne fait pas partie du logiciel idéologique des concepteurs. Tout comme les étudiants ne verront apparaître à aucun moment, dans ce jeu censé simuler le fonctionnement des entreprises, le mot «  syndicat  ». Pourtant, le sigle CGT apparaît bien. Mais pour désigner la «  Compagnie générale des transports  », une entreprise imaginaire qui a le monopole de la livraison des matières premières et du transport des voyageurs… Qu’est-ce qu’on se marre.

Quant aux impôts – est-ce la peine de le préciser  ? –, ils n’ont pas bonne presse. «  Toute activité lucrative est malheureusement soumise à l’obligation de s’acquitter de taxes, d’impôts et de cotisations sociales, disserte le règlement. Votre société n’échappera pas à la règle.  » Pour l’occasion, le Trésor public est rebaptisé «  Service des contributions  » et se voit symbolisé par… une tête de requin.

Pour Alain, le lecteur qui nous a fait parvenir ce document, ce type de contenu pédagogique, sous des abords ludiques, est plus que contestable. «  Il conditionne les étudiants à adhérer à la logique capitaliste, en vénérant la hiérarchie sociale, en travestissant la réalité juridique du salariat ou encore en effaçant les syndicats. On ne peut pas accepter ça de la part du service public de l’université.  »

Licenciements sans préavis, absence de syndicats, cotation en Bourse… À l’IUT de Béthune, les étudiants de certaines filières doivent effectuer, pendant une semaine, un «  jeu d’entreprise  » qui fleure bon le bourrage de crâne capitaliste.

Laurent Mouloud (L’humanité)

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