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L’école de l’espoir

Un entretien publié dans Le Nouvel éducateur (revue de l’Icem-Pédagogie Freinet) n°225, décembre 2015.

Un entretien avec Grégory Chambat, enseignant dans une Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A).

Lorsqu’on parle de « migrants » dans les médias, on évoque l’Europe et ses frontières, le flot des réfugiés et les mesures nationales à prendre pour s’en protéger.
Pour les enfants de ceux qui sont « reconnus » réfugiés et hébergés dans des centres, foyers ou autres, la scolarisation peut se faire. Le ministère s’y est engagé. Au collège de La Vaucouleurs, à Mantes-la-Ville[[Qui se trouve être également la première commune d’Ile-de-France administrée par le FN depuis les dernières municipales.]], un dispositif spécial accueille des enfants venus du monde entier. Une passerelle pour s’approprier la langue française tout en suivant les cours en classe dite « ordinaire ».
Pour son édition nationale, France 3 a réalisé un petit reportage « L’École de l’espoir » qui nous plonge dans ce quotidien très humain. Pour aller plus loin que ce qu’on perçoit dans ces quelques minutes, Grégory Chambat[[Par ailleurs membre du collectif Questions de classe(s) et auteur de Pédagogie et Révolution, collection « N’Autre école », Libertalia, 2015.]] a accepté de répondre à nos questions.

Enseigner dans une classe d’accueil est un choix, pourquoi cette décision ?

Comme bien des « choix », cet engagement tient à la fois du hasard – l’arrivée il y a 15 ans d’élèves non-francophones et la création du dispositif d’accueil dans l’établissement où j’enseignais – et de la « nécessité », celle de travailler « autrement » avec un attirance pour les « marges » du système où l’on peut bâtir plus facilement des espaces de liberté…

Première surprise, la classe ne ressemble pas aux classes habituelles des collèges qui souvent sont impersonnelles pour ne pas dire froides. J’ai l’impression d’être en primaire. Peux-tu nous expliquer ?

Dès le début j’ai tenu à faire des murs de la salle – et aujourd’hui de ceux du couloir – un vecteur d’apprentissage. On y voit donc des outils pour la classe (une carte du monde pour se présenter quand on arrive, les règles adoptées lors du conseil hebdomadaire, etc.) mais surtout les productions des élèves, à commencer par une affiche avec leur nom, leur classe et leur prénom. C’est une façon de s’approprier le lieu, d’en faire un espace collectif. On y conserve par ailleurs les « blasons » des anciens élèves pour en faire aussi un lieu de mémoire. Depuis deux ans, nous sommes même partis « à la conquête » du collège en affichant sur les murs autour de la classe nos productions, nos langues, nos pays, nos parcours, etc. C’est très important : ça donne une visibilité au travail des élèves et cela attise la curiosité des autres collégiens qui aiment, en attendant leur professeur, lire ces panneaux…

Nous assistons à un moment de parole utilisé au premier degré le « Quoi de neuf ?», pourquoi ce choix ?

Quant on sait qu’un élève de collège, entre la 6e et la 3e, ne parle en cours de français que 7 minutes, on imagine bien que l’enseignement traditionnel est totalement inadapté à l’apprentissage d’une langue. Pour apprendre, il faut écouter les autres et leur parler, ce « Quoi de neuf ? » est donc une « évidence ». Il permet d’aborder son quotidien, son vécu scolaire dans la classe de rattachement, mais aussi son parcours (les rendez-vous à la Préfecture!), sa culture (les fêtes, les repas, l’école dans son pays d’origine), etc. Il débouche ensuite sur une production écrite, un texte libre qui peut être diffusé dans le journal de l’Atelier francophone [[Le terme officiel est UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants), au collège, le choix a été fait de le rebaptisé « Atelier francophone ».]]. Petit à petit, nombre de techniques de la pédagogie Freinet se sont imposées à la classe et je crois que ce n’est pas du tout un hasard. On sait que Freinet a accueilli beaucoup de « migrants » : des enfants de réfugiés républicains espagnols, après 1936, mais même avant, les enfants des travailleurs saisonniers.

Malgré les expériences dramatiques qu’ils ont vécues, les enfants sourient, se regardent, s’écoutent, comment fais-tu pour créer cette ambiance ?

Entre un quotidien parfois très précaire et une inclusion en classe ordinaire forcément source de stress, l’Atelier francophone est un endroit où on peut souffler, questionner son quotidien d’élève et regagner en confiance. Les interactions sont nombreuses, on se connaît, le « Quoi de neuf ? » Nous a permis de partager des joies et des peines… Maintenant, il y a aussi parfois des moments de tension, tout n’est pas idyllique. Je pense surtout que c’est un moment où les émotions peuvent être exacerbées parce qu’on se libère de beaucoup de choses : tout en travaillant on rit, on se dispute, on pleure aussi parfois… parce qu’on se trouve en confiance, entre pairs, et que le travail coopératif et collectif contribuent à ce climat.

« Personne n’est laissé de côté », nous dit ce reportage, les vécus scolaires sont très différents, chacun est là avec ses bagages culturels, comment organises-tu les apprentissages ?

Pour moi, c’est d’abord une évidence pourtant à rebours du fonctionnement actuel de l’institution… Face à des élèves non-francophones, parfois non-scripteurs et non-lecteurs, difficile d’accuser le manque d’efforts, de travail ou de volonté on encore de faire semblant de boucler le programme. Avec « l’inclusion », c’est à l’école de s’adapter à ces élèves et non l’inverse. Du coup, les apprentissages – souvent autour de projets – doivent permettre à chacun de s’y retrouver, quel que soit son niveau ou son âge. Il est possible de produire un travail plus abouti pour les plus avancés ou bien d’aider ses camarades qui coincent… Cette hétérogénéité n’est pas un problème, c’est une solution ! L’heure de « travail en ateliers », avec un plan de travail, permet à chaque élève d’étudier selon ses besoins en choisissant, avec moi, ses activités.

Le reportage nous montre ce qui est beau et réussi, je suppose qu’il y a des moments difficiles, peux-tu nous parler des difficultés aussi.

Le travail en UPE2A repose sur un équilibre, une tension même, entre deux finalités qui peuvent entrer en conflit. L’apprentissage de la langue – où une très grande liberté pédagogique prévaut – et l’acquisition des « normes » de l’institution pour réussir sa scolarité et rentrer « dans le moule » de l’école… Les pratiques que j’ai mises en place sont ainsi souvent bien éloigné du fonctionnement d’une classe ordinaire. Parfois elles surprennent l’élève, elles peuvent le déstabiliser, lui et sa famille, quand ils s’attendaient à des successions d’exercices de conjugaison ou de grammaire. Le plan de travail peut répondre à ses inquiétudes, mais ce sont surtout les productions écrites et les progrès dans la maîtrise de la langue qui peuvent surmonter ces incompréhensions. Reste que le système tend à « coloniser » aussi ces espaces de « liberté », par exemple avec l’instauration depuis quelques années d’un examen, le Delf (Diplôme d’étude de la langue française) qui, comme tous les examens, constitue un formatage inquiétant et peu efficace au bout du compte…

On entraperçoit un foyer avec ce qu’il faut pour vivre dignement, tous tes élèves vivent-ils ainsi ? As-tu des élèves qui vivent dans des situations précaires ?

Nous accueillons principalement trois catégories de migrants. Les enfants qui viennent suite à un regroupement familial, mais les obstacles administratifs étant nombreux, l’âge d’arrivée est de plus en plus tardif, cela complique l’inclusion scolaire (arriver en 3e est vraiment difficile puisque c’est là que se posent les questions de l’orientation) et provoque parfois un « déracinement » pour certains qui vivent mal cette arrivée. Le second profil, c’est celui des familles issues de l’UE qui viennent chercher du travail, en provenance du Portugal, de l’Espagne ou de l’Italie. La plupart du temps ce sont d’ailleurs des populations issues des anciennes colonies (Maroc, Guinée Bissau, etc.) à la recherche d’un travail. Parfois, leur présence est très précaire : si les parents ne trouvent pas de travail, ils peuvent repartir, tenter leur chance dans une autre ville au bout de quelques semaines… Enfin, nous avons les enfants des familles demandeuses d’asile. Elles sont logées normalement dans des foyers mais, faute de place, de plus en plus souvent en hôtel de type « Formule 1 »… Ce sont des conditions particulièrement difficiles, dans l’attente d’une place, pas forcément à proximité du collège. Et puis surtout, l’attente de la réponse à la demande d’asile qui est une source d’angoisse qui pèse sur les enfants… En cas de rejet, c’est l’obligation de quitter le territoire et surtout la rue… Jusqu’à présent, nos mobilisation ont permis de l’éviter.

Une dernière remarque, si toutes les classes du collège ressemblaient à la tienne où les murs reflètent et parlent de ses « locataires », où chacun peut poser ses valises et apprendre en confiance, ce ne serait pas une réforme du collège, mais une révolution !

Propos recueillis par Catherine Chabrun

Le reportage est accessible sur le site de France 3, 19/20 national du 23 septembre 2015 : http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/immersion-dans-une-classe-qui-accueille-les-enfants-de-toutes-nationalites_1096889.html

[
Feuilleter le numéro en ligne->http://www.icem-freinet.fr/nouvel-educateur/NE225/#/0]

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0 Comments

  1. Anonyme

    L’école de l’espoir
    Un grand bravo et un IMMENSE Merci à cet enseignant pour cet article vivifiant et cette phrase qui, pour moi, me semble essentielle dans ce contexte de primo-arrivants (mais pas que!) : “c’est à l’école de s’adapter à ces élèves et non l’inverse”!

    Bonne continuation!

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