Une nouvelle année recommence, nouveaux élèves, nouvelle maîtresse : Nora, qui a passé un concours administratif, a préféré changer de travail. Une jeune maîtresse la remplace, qui a déjà enseigné en classe ordinaire une année ou deux. Il va sans dire qu’elle n’a pas reçu de formation spécifique à la CLIS, et là encore, ses motivations tiennent au fait qu’elle souhaite rester dans le secteur où elle a commencé à exercer. Si elle est originaire d’une petite ville du Nord de la France, elle a néanmoins passé son concours dans le 93, où, du fait d’un déficit chronique d’enseignants, le concours a la réputation d’être plus accessible. Son arrivée en banlieue Nord parisienne ne s’est pas faite sans heurts; elle a du mal à s’adapter au milieu dans lequel elle se trouve désormais, ayant en tête les clichés habituellement véhiculés sur les “quartiers”. Ainsi, alors que je l’accompagne à l’épicerie du quartier faire ses courses pour son déjeuner, pénétrant pour la première fois entre les immeubles – l’école est pourtant au cœur de la cité – elle s’exclame : « Ca fait peur, ici ! Je ne serais pas venue toute seule !” C’est le lieu d’habitation et de vie quotidienne de tous ses élèves. La première année surtout est émaillée de ce type de remarques : des parents qui ne viennent pas à l’école elle suppose qu’ils ne s’intéressent pas à la scolarité de leur enfant ; des élèves habillés modestement qu’ils sont négligés par leur famille. Dépassée par cet environnement qui lui paraît hostile et dangereux, elle porte un regard méfiant, jaugeant chaque situation à l’aune de ce qu’elle connaît et juge correct ; elle ne semble pas percevoir la question du milieu auquel elle est confrontée désormais, pourtant fondamentale, tant la question du handicap se trouve ici mêlée à des questions de classes sociales.
Arman, par exemple, éprouve des difficultés à s’exprimer, à formuler correctement ses phrases. Il confond les sons, qu’il a du mal à transcrire à l’écrit et manque de vocabulaire, ce qui entrave sa compréhension. On sait aussi que ses parents ne sont pas francophones, et que lui et ses nombreux frères et sœurs vivent dans un logement insalubre : le père fait depuis plusieurs mois des démarches pour améliorer les conditions de vie familiale, mais en vain pour le moment. Bien sûr, tous les enfants vivant des situations de vie difficiles ne sont pas en CLIS, mais la proportion d’élèves de CLIS subissant des difficultés sociales est non négligeable ; c’est un aspect frappant de la classe. Dès lors, sans en tirer de hâtives conclusions, n’est-ce pas un phénomène dont il faut tenir compte ? Un jour que la référente handicap est passée dans la classe, j’évoque le sujet. ”Oui, peut être que c’est vrai. Mais ça n’est pas le sujet, on n’est pas à même d’en débattre.” La question sociale n’est–elle pas refoulée dans le discours de la prise en charge scolaire des enfants handicapés ?
La classe des handicapés
A chaque rentrée, c’est la même question : “Pourquoi je suis là ?” demandent les nouveaux venus. Entrer en CLIS, pour la plupart, est l’aboutissement d’un parcours scolaire jalonné d’échecs ; si certains élèves intègrent la classe à la fin du cycle de maternelle, les autres ont souvent derrière eux une à deux années de redoublement, parfois un temps passé avec une AVS individuelle, et tous ont en commun un passé scolaire difficile. Pourtant, l’arrivée dans cette nouvelle classe “adaptée” est souvent vécue comme une nouvelle violence, parce qu’arriver ici, c’est entrer dans une « classe d’handicapés ».
C’est d’ailleurs la question qui émerge dès la rentrée, elle aussi : “Est-ce que je suis handicapé ? ” Ce qui signifie différent des autres, avec quelque chose en moins du côté de ce qui est attendu de l’ordre de la faculté à apprendre. Cette année, c’est Yannick qui exprime le plus clairement ces interrogations. D’emblée, il annonce regretter son ancienne école – il a dû changer d’établissement – et détester cette nouvelle classe. ” Dans mon ancienne école, c’était différent, c’était mieux. Quand est-ce que je vais pouvoir y retourner ?” Pourtant, son dossier scolaire indique que les années précédentes ont été difficiles : problème de violence, comportement “inadapté”, et d’un point de vue scolaire, Yannick n’est pas au niveau de sa classe d’âge : à presque 9 ans, il écrit avec difficulté et ne lit pas. Il est toutefois conscient de ce qui se joue : il vient d’être évincé de l’école “normale”.
L’orientation en CLIS est souvent mal vécue par les élèves, mais aussi et surtout par leurs parents : cette décision est perçue comme un échec. Echec de l’école, qui n’a pas su faire progresser leur enfant – l’accepter malgré les difficultés ; échec de l’enfant, aussi, qui lui n’a pas pu suivre. Paradoxalement, la CLIS est pourtant rassurante : certes, il faut digérer le fait que l’enfant y soit orienté, ce qui rend son handicap d’autant plus “visible” aux yeux même de la famille et de l’école, mais au moins, c’est encore l’école. Car la perspective d’une orientation en Institut Médico-Educatif par exemple, apparaît souvent comme une véritable catastrophe. Alors que cette possibilité est évoquée pour sa fille lors d’une réunion, une femme s’écrie : “Mais elle sera avec des enfants pires qu’elle, là bas! Ils sont vraiment handicapés! ”
La question du handicap est centrale. “Je suis handicapé, moi ?” est une question récurrente. Tout aussi récurrente est la difficulté d’y répondre pour les adultes présents en classe. La maîtresse répond que non, il n’y a personne qui soit handicapé dans sa classe. Que la CLIS accueille les élèves qui ont besoin d’un peu plus de temps que les autres pour apprendre, mais qu’il n’y a pas de différence avec les autres élèves. Ce que dément la prochaine récréation : il n’est pas rare qu’au moindre problème entre enfants soit évoqué la question de l’handicap. Le terme, vécu comme une insulte, est aussi employé au sein de la classe, notamment à l’égard des enfants dont le comportement déstabilise les autres. Mat est ainsi souvent la cible d’insultes et de rejet. Il a des comportements qu’on pourrait considérer comme obsessionnels et compulsifs (accentués par l’angoisse ou l’ennui), fuit le regard, ne répond pas toujours quand on lui parle, rit sans que les autres comprennent pourquoi. “Il est dans son monde, laissez-le tranquille”, explique la maîtresse. “Il est pas normal, il rit pour rien “, rétorque Thomas. “C’est un handicapé”, ajoute Aliou, et ce constat semble justifier la violence dont Mat est parfois victime.
La CLIS agit comme un miroir : à la difficulté d’être catalogué “élève de CLIS” s’ajoute celle d’être assimilé à des élèves dont l’attitude est incompréhensible. Dans la gestion de la classe, l’exercice des sanctions vient signifier l’interdit du côté des enfants d’user de ce terme dans leurs interactions et dans leurs conflits. « On n’a pas le droit de parler comme ça ». Il me semble que le fait de pouvoir en parler, en débattre au sein de la classe, avec les élèves, est essentiel. Malheureusement, ce n’est que trop rarement le cas, et ces questions cruciales sont taboues. Tout se passe comme si il fallait taire le malaise de ces enfants face à leur condition au sein du système scolaire, faire en sorte que la question ne se pose pas. Si la question du handicap est évacuée du côté des enfants, elle est par contre centrale du côté des adultes sans être pour autant interrogée.
« Je ne veux pas être avec eux.
– Fais un effort.»
La classe vit donc au rythme de ces questionnements et de ces tensions qui, maladroitement étouffés, ressurgissent régulièrement avec force. Il est très difficile de mettre en place une cohésion de groupe : les élèves n’ont quasiment pas d’activités en commun, à l’exception du théâtre. Cette agréable parenthèse a lieu une fois par semaine, avec une intervenante extérieure. La classe se déplace jusqu’au studio de répétition, et, durant une heure, en groupe, travaille sa voix, sa gestuelle, la tenue du corps, et crée une petite pièce de théâtre. Cette année, le thème choisi est celui de la banlieue : les enfants évoquent l’appartenance à une ville, les transports, et construisent ensemble quelques saynètes destinées à être présentées à une autre classe à la fin du projet. Certaines séances se déroulent laborieusement parfois, mais l’ensemble du groupe progresse, prend plaisir à l’activité et, pour les dernières répétitions mobilise toute sa concentration.
Seul Aliou marque une certaine retenue, ne pouvant s’empêcher de perturber un peu la séance, évoquant plusieurs fois le fait qu’il n’apprécie pas de se trouver lié à l’un ou l’autre de ses camarades, même par la mise en scène d’un dialogue. “J’ suis pas comme lui moi, il sait même pas parler.” Le jour de la représentation toutefois, chacun fait de son mieux, Aliou compris : ni fous rires ni oublis, ni remarques. Mais, alors que la pièce s’achève par une file indienne d’élèves quittant la scène, représentant le train qui démarre, Aliou, qui s’est plié à toutes les exigences de la mise en scène jusqu’à ce moment-là, refuse ostensiblement de se ranger avec les autres, maintenant un écart de quelques pas. “J’ veux pas être avec eux”, avait-il expliqué une fois précédente. “Fais un effort”, avait répondu la maîtresse.
« C’est du travail de quoi ça ? »
La CLIS n’est pas soumise aux exigences d’un programme, comme le reste des classes de l’école. Il est censé s’agir d’un programme adapté selon des objectifs propres à chacun. Ceci n’empêche pas que chaque année, des manuels d’enseignement classiques servent de base à l’enseignement, l’adaptation provenant plutôt du fait que le niveau des manuels utilisés n’est pas en adéquation avec l’âge et donc la classe supposée de l’enfant. Certains élèves travaillent donc avec des manuels de CP, ou de CE1, bien qu’ayant 10 ou 11 ans. Sur les photocopies qu’elle distribue, la maîtresse masque la mention du niveau, mais il est plus ardu de le faire sur un livre; si certains semblent ne pas y prêter attention, d’autres relancent régulièrement le sujet : “C’est du travail de quoi, ça? ” La question entre bien sûr en résonnance avec celles autour du handicap. “Moi, normalement, je suis en CM1, je peux faire du travail de CM1?” En réalité, la pédagogie employée ne diffère que peu de celle d’une classe dite normale : elle est seulement “ralentie”.
Par ailleurs, l’accent est mis quasiment exclusivement sur les apprentissages dits fondamentaux : lire, écrire, compter. Au détriment donc des sciences, histoire, géographie, découverte du monde. Ainsi, Cécile, 11 ans et 4 ans de CLIS derrière elle peut s’enorgueillir d’avoir travaillé sur 4 méthodes d’apprentissage de la lecture de niveau CP. Alors certes, c’est vrai, maintenant, elle sait lire. Maintenant, le problème, c’est de comprendre. Diouldé, 10 ans, travaille sur des ouvrages de niveau CE1/CE2 et a des inclusions dans ces mêmes classes. Mais là encore, c’est la compréhension qui pêche, et si elle a mis au point des stratégies qui lui permettent de répondre apparemment correctement aux questionnaires de lecture, il apparaît rapidement qu’elle est en difficulté quand il s’agit de mobiliser ses connaissances dans un contexte différent.
Et quand on n’entre pas dans les grilles !
La maîtresse s’efforce de remplir des livrets de compétences, ainsi que cela est pratiqué dans le reste de l’école. Les évaluations mises en place pour mesurer les compétences sont les mêmes que dans les autres classes. Cela permet donc de dire que tel élève a un niveau de CE1 en maths, et fin de CP en lecture, par exemple. Seulement, certains élèves ne peuvent entrer dans ce système d’évaluation, n’ayant pas les compétences permettant d’acquérir ces fameuses compétences. Lan Ying, en début d’année, ne parle presque pas. Il lui arrive de pincer, de cracher, et elle passe une bonne partie de la journée à essayer de mettre des objets divers dans mes poches. Lorsqu’elle dessine, elle gribouille sa feuille, qu’elle réduit ensuite en morceaux avec ses ciseaux. La maîtresse est décontenancée et ne sait quoi lui donner en fait d’activités. Celles-ci d’ailleurs se limiteront l’année durant à du collage de gommettes, du collage de lettres pour écrire le jour, ou au décompte de quelques objets jusque 4. De fait, impossible de remplir le livret d’évaluation, dont les items ne correspondent en rien à ce que fait Lan Ying. N’a-t-elle donc pas progressé du tout ? Nul document n’est en tout cas à même de le mettre en valeur. Et pourtant ! A plusieurs reprises, elle démontre qu’elle se repère dans le temps mieux qu’on le supposait. Lorsque je lis un livre avec elle, elle me fait remarquer la présence de TROIS cowboys alors qu’elle peine à coller le nombre de gommettes requises sur son cahier d’exercice. Ses dessins enfin prennent forme : elle dessine un cœur, ou une maison, dont elle découpe désormais les contours, réclamant ensuite que ce soit affiché. Et, au fil des mois, elle commence à formuler des phrases, à exprimer ses désirs, en même temps que les difficultés liées à son attitude s’apaisent peu à peu.
Quels progrès doit-on mesurer, si tant est que cette mesure soit nécessaire? Quel est le but de la CLIS, est-il uniquement centré sur la question du travail scolaire ? N’est-il pas aussi question, ainsi que dans n’importe quelle classe, d’apprendre à vivre ensemble, évoluer dans un groupe, apprendre à s’exprimer, trouver sa place ? La normalisation à tout prix exclut de fait, une fois encore, tout ceux qui ne peuvent s’y plier, même dans un tempo ralenti.
Les réunions de suivi de scolarisation ; Violence de l’expertise !
Parvenir à rentrer dans le système scolaire, répondre au minimum à ses attentes est la condition pour rejoindre le cycle classique. En 6 ans, je n’ai assisté qu’une seule fois à cette situation. L’immense majorité des élèves, lorsqu’elle entre en CLIS, y reste jusqu’à l’âge maximal : 12 ans.
Et après ? Si l’arrivée en CLIS de leur enfant est vécue comme un moindre mal par certains parents, elle ne fait parfois que retarder l’orientation redoutée : l’IME, par exemple. Le passage en CLIS fait donc office de sas, permettant à certaines familles d’admettre l’idée d’une institution spécialisée. Quand ce type d’orientation est accepté par la famille, la CLIS sert alors à attendre qu’une place se libère, et en ce cas, il se peut que l’enfant quitte la classe en cours d’année, et avant ses 12 ans. Il est régulièrement question de l’orientation au cours des réunions de suivi de scolarisation, surtout si l’élève est dans sa dernière année : ULIS, collège, SEGPA, IME ? Tous les intervenants, institutrice, enseignant référent, psychologue scolaire, éducateur, SESSAD, CMP, selon les situations, débattent de l’opportunité de telle ou telle orientation; celle-ci est finalement notifiée par la MDPH. Les parents sont présents aussi lors des réunions et ils sont sommés de donner leur accord; s’ils valident, tout va bien ; s’ils s’opposent aux conseils donnés par l’équipe, les rapports se tendent considérablement.
L’enfant, lui, n’est pas présent, et sera informé plus tard de l’option retenue pour lui.
La maman de Soraya parle un français trébuchant, et ne le lit pas. La réunion concernant l’orientation de sa fille commence : tous les intervenants sont présents, tous évoquent à leur tour difficultés ou progrès, et de là le choix de l’orientation. Peu à peu, la discussion ne se fait plus qu’entre “professionnels” : le jargon employé en témoigne. La maman est là, mais elle n’est plus que spectatrice, d’ailleurs plus personne ne sollicite son approbation, ni même son regard dans l’élaboration du projet concernant sa fille. N’ose-t-elle pas interrompre la discussion ? Y a-t-il des termes qui lui échappent, des explications qui lui manquent ? Nul ne s’en préoccupe et à la fin de la réunion, la directrice se tourne enfin vers elle, mais sa question semble purement rhétorique :”Vous êtes d’accord ? – Oui, oui, ça va”, souffle la mère. Quelques jours plus tard, elle sollicitera des explications auprès de l’enseignante référente, puis laissera transparaître quelques inquiétudes quant au choix effectué en sa présence, mais sans elle. Et l’orientation sera maintenue telle quelle.
A l’inverse, la maman de Claire, n’hésite pas à exprimer son désaccord. Elle n’a accepté l’orientation de sa fille en CLIS qu’à contrecœur, et depuis 2 ans que sa fille est dans cette classe, elle sollicite régulièrement des réunions où elle exprime ses inquiétudes : elle n’est pas satisfaite de la façon dont les choses se déroulent pour sa fille qui ne progresse pas suffisamment, qui a des soucis avec un autre élève, qui se fait trop souvent gronder. Elle écrit souvent des mots sur le cahier de liaison ; les relations avec la maîtresse se tendent, “Elle est chiante cette maman !” La dernière réunion de l’année s’avèrera particulièrement difficile. Claire a suivi un lourd et long traitement médical, et à présent que son état est stabilisé, sa mère espère qu’elle rattrape son retard scolaire, et peine à admettre que son enfant ait de réelles difficultés : cela lui sera signifié sans ménagement. Sa fille va avoir 10 ans, et “Elle n’est pas capable de suivre jusqu’au bout le programme de maths CE1. Dans sa classe d’inclusion il a fallu que le maître lui simplifie les exercices.” Toujours cette comparaison avec les classes “normales”, et le niveau scolaire comme seule mesure. La maman souhaite que sa fille rejoigne les élèves de sa classe d’âge, en CM2, avec une AVS individuelle, et malgré les arguments du psychologue en faveur de la CLIS, elle s’oppose à ce que sa fille y poursuive sa scolarité. « Je comprends ce que vous me dites, mais je ne suis pas d’accord, moi-même j’étais éducatrice spécialisée, je sais de quoi on parle. » Lors de ces réunions, ce sont les parents qui ont le dernier mot, mais la présence de tant d’intervenants autour de l’enfant tend parfois à le faire oublier.
Le poids de l’expertise savante est loin d’être négligeable dans le processus de décision. Il est difficile pour les parents de faire valoir un autre point de vue.
Exclus de l’intérieur.
La Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté est vécu comme l’orientation la meilleure possible: en l’intégrant, l’élève quitte plus ou moins le champ du handicap, par rapport à une orientation en ULIS, qui elle-même est mieux perçue tout de même que l’IME. C’est le choix le plus valorisé, en ce sens qu’il est le plus proche du “normal” (concernant les élèves issus du cycle classique, l’orientation en SEGPA est plutôt vécue comme un échec).
Au cours du mois de janvier, Arman a passé des tests, qui laissent à penser qu’il est en mesure de poursuivre sa scolarité en SEGPA, les démarches en ce sens sont donc entamées. Pourtant, en fin d’année, la psychologue du Service d’ Education Spéciale et de Soins à Domicile, absente lors de la précédente réunion, fait part de ses doutes quant au bien fondé de ce choix : l’ambiance au collège et en SEGPA particulièrement est difficile, les élèves plus nombreux, l’élève influençable, la décision a peut-être été prise de façon hâtive. Mais le père d’Arman risque de prendre très mal ce revirement, il est trop tard, l’orientation est maintenue.
Bien sûr, les anecdotes de ce récit ne concernent que les classes où j’ai travaillé. Différentes écoles, différents enseignants. Un sentiment d’imposture demeure. Que nous est-il demandé ? Un accompagnement, certes, mais vers quoi ? Pas assez « adaptés » ou trop « handicapés » pour rester dans une classe normale. La CLIS pour ces enfants est censée maintenir une orientation en « milieu ordinaire ». Pourtant, la plupart des enfants ne retourneront pas dans le milieu ordinaire dont ils ont été exclus, sauf par le biais de quelques inclusions. Exclus donc, puis inclus partiellement, telle est la situation de ces enfants. La CLIS de ce point de vue est une sorte de pis-aller du fait que l’école peine à les accepter ou que les institutions spécialisées manquent de place. Au sein même de la classe, le positionnement des enseignants est difficile, tant les problématiques sont nombreuses, et tant sont grandes les attentes des familles. L’imposture se situe également à ce niveau : leurs enfants, “porteurs d’un handicap”, sont confiés à du personnel non formé, ce que celles-ci ne savent généralement pas.
L’entrée en CLIS suggère la prise en charge de certaines difficultés, mais il n’y a que peu de regards extérieurs sur ce qui se passe à l’intérieur, peu de questionnements sur ce qui se joue en classe et le sens que l’on peut y donner. Regroupés dans la même classe, ces élèves en plus ou moins grandes difficultés présentent néanmoins des besoins très différents, accentués encore par les différences d’âge et le peu de moyens attribué au fonctionnement de la classe. L’arrivée en CLIS prend une allure de “sas” : c’est à partir de là que seront répartis les élèves vers différentes voies, la question de l’orientation se posant de façon très précoce, tant il semble urgent de les “intégrer” quelque part où, enfin, ils passeront “inaperçus”. Pourtant, à la fin de la période de scolarité obligatoire, pour beaucoup d’entre eux, la question ressurgit : quelle place pour ces “ incasables” ?
Elise Cailleau