Certains s’étonnent du peu de réactions aux annonces de pseudo-réformes par le ministre de l’Education nationale Jean Michel Blanquer. Ce n’est pas si étonnant que cela :
– Pas plus lui que tous ses prédécesseurs ne touche à l’architecture et la logique du système éducatif. D’ailleurs ce sont les réformes ou mini-réformes incompatibles avec cette architecture en chaine industrielle tayloriste qui, elles, ont provoqué des levées de boucliers, depuis le tiers-temps pédagogiques, en passant par la réforme des cycles jusqu’aux dernières tentatives concernant le collège. C’est presque normal, chacun sait que vouloir mettre un peu d’essence dans un moteur diésel ou l’inverse, ça ne marche pas.
– Il se garde bien de mettre en débat la finalité de l’école, l’immense majorité du personnel de l’EN non plus, pas plus que l’immense majorité des familles. Voilà une énorme machine qui emprisonne toute la population enfantine d’un pays sans qu’on sache finalement pourquoi en dehors du fait que si elle n’existait pas on ne saurait pas quoi faire des enfants.
Pourtant ces finalités qui n’émanent pas d’une nation mais d’un État étaient bien clairement annoncées depuis Guizot ou Jules Ferry, ont été décortiquées par de nombreux analystes et leurs liaisons avec la société de marché parfaitement démontrées comme par exemple par Nico Hirt ou sur le site Q2C.
Oui, mais ! Mettre sur la table d’une nation, et pas seulement sur la table des experts et militants, les finalités de l’école, ce serait se les faire approprier par ceux directement concernés. On proclame bien que l’école doit être émancipatrice, enfin au moins quelques-uns, mais pas question d’émanciper ceux qui sont directement responsables du présent et du devenir de leurs enfants. On suppose une foire d’empoigne, on craint l’incompétence de la réflexion, bref on craint la démocratie.
Si l’État n’y tient évidemment pas, l’ensemble de la machine Education nationale n’y tient pas forcément plus. Dans cette machine dite éducative qui a été conçue pour les objectifs de l’État, chacun y occupe ou même y a conquis une position, des pouvoirs, même si ce n’est plus toujours un confort. Evidemment, je ne dis pas qu’aucun membre de l’EN n’essaie pas d’être humaniste dans le maillon où il est, mais ceux-ci ne peuvent que palier un peu à l’inhumanité d’un système. Imaginer que l’école soit simplement un lieu qui contribue (qui seulement contribue) à la construction des enfants en adultes autonomes, pas seulement en adultes s’intégrant dans une société existante et aux places à gagner, mais en adultes libres de faire entre eux la société qui leur conviendra, c’est remettre en cause non seulement l’ensemble du système mais aussi ce que chacun y fait, les positions qu’il y occupe.
Et puis la finalité de l’école et de sa nécessité ne serait-elle pas bêtement qu’il faut bien que les enfants apprennent ce que d’autres, experts eux, ont décidé qu’ils devaient apprendre, comment et quand ils devaient apprendre ? C’est apparemment rationnel, donc ça ne se discute qu’entre experts patentés ou désignés, le peuple n’a pas à troubler cela (déjà que quelques parents se permettent de ficher la pagaille, ne se contentent pas d’être complices dans les quelques instances où on les a laissés entrer !)
Finalement on ne peut reprocher à Blanquer ce qu’aucun des partis politiques qui pensent pour la population, même ceux qui se disent insoumis, n’a vraiment abordé, c’est à dire la question de la finalité de l’école avec toutes les conséquences que cela impliquerait dans la conception globale du système.
– Alors Blanquer fait simplement comme ses prédécesseurs et comme finalement l’ensemble du monde éducatif le lui demande : la machine éducative brinqueballe, est de moins en moins performante, n’a pas les résultats apparents escomptés dans des classements ? Qu’est-ce qu’on peut bricoler dans la même logique, dans la même machine, sans poser la question embarrassante de la finalité, pour que ce qui ne sont que des statistiques qui ne prouvent pas grand-chose deviennent plus satisfaisantes ? Et bien sûr pour mieux alimenter l’autre machine économique qui broie autant que la machine scolaire mais qu’on continue à croire tout aussi intangible (l’hétéronomie).
Et il sort du chapeau les neurosciences, enfin celles qui lui conviennent et celles compatibles avec ce que les enfants doivent faire dans le système. Les OGM, produits de la science, sont parfaitement compatibles avec l’agriculture industrielle. Le système deviendra-t-il plus acceptable ? Peut-être plus performant, comme pour les OGM. Ah ! Si tous les enfants apprennent à lire à 3 ans, si chacun des OS du système éducatif sait ce qu’il doit faire pour cela grâce aux neurosciences, pourquoi aller embêter le ministre ?
La cause de cette absence de réactions ? Mais c’est l’école elle-même dans laquelle chacun s’est construit (s’est formaté ?), pense que c’est grâce à elle qu’il est devenu ce qu’il est (position sociale) ou que c’est parce qu’il n’y a pas été bon élève qu’il n’a pas pu devenir ce qu’il aurait voulu. Dans ce sens l’école, telle elle est, atteint bien des objectifs.
Le nombre de bons élèves devenant chômeurs s’accroissant, les mal-être sociétaux s’accroissant, l’aspiration à l’épanouissement et à d’autres modes de vie s’accroissant, la fragilisation des situations privilégiées s’accroissant, on peut penser que l’opinion publique portera un autre regard sur ce qui dans toute les civilisations occidentales est leur matrice : l’école. Au-delà de tous les beaux discours entre militants, c’est l’opinion publique qu’il faut aider à devenir simplement lucide. Encore faut-il pouvoir lui proposer et lui faire connaître d’autres perspectives, d’autres possibles, plutôt que d’autres bricolages dans la même chaine industrielle dite éducative qui ne peut même pas absorber d’autres pédagogies sans les vider de leur essence.
Jean-Michel BLANQUER bien peinard !
Bonjour,
j’adhère totalement à votre analyse.
Je vous encourage à vous rapprocher de celles et ceux qui oeuvrent à la diversité éducative comme l’association EUDEC France qui promeut l’éducation démocratique.
Ce modèle est totalement compatible avec les finalités de l’éducation telles que vous les exprimez dans ce texte.
Techniquement, rien ne s’oppose à ce que cette approche puisse trouver place dans le service public de l’éducation. Seule la définition actuelle du contrat d’association avec l’Etat, nous forçant à être hors-contrat, la rend financièrement difficilement accessible aux familles.
Pourtant beaucoup de familles modestes font des efforts financiers énormes pour nous confier leurs enfants en souffrance ou en rupture totale avec l’institution.
Des tentatives récentes d’accord pour l’ouverture d’établissements publics démocratiques expérimentaux, au delà de ceux existant au sein de la FESPI, viennent d’être refusés par le cabinet du Ministre, malgré l’accord des collectivités locales.
Nous militons pour un autre contrat, d’expérimentation, qui permette de tester, hors de l’institution mais en lien avec elle, des approches réellement alternatives en garantissant le maintien à l’écart de l’éducation du secteur marchand.
Les conditions pourraient en être :
1 Structures de l’ESS
2 Interdiction de reverser des bénéfices ou des dividendes
3 Interdiction de demander des frais de scolarité ou des compléments
4 Installation dans de zones REP et obligation de prendre 50% d’enfants locaux. Ceci pour assurer une mixité sociale indispensable à l’apprentissage de la citoyenneté.
En contrepartie d’un financement public équivalent au prix de revient par élève selon les chiffres de la DEPP.
Seriez-vous prêts à en parler ?
Très confraternellement
F Miquel
Doctorant en sciences de l’éducation
Fondateur du Point d’O, école démocratique de Tours.
Jean-Michel BLANQUER bien peinard !
Démocratie et école de niche peuvent-elles faire bon ménage?
En créant, objectivement, de l’entre-soi, peut-on favoriser la promotion collective nécessaire à une société plus démocratique ?
Doctorant en rien
Pas sur d’être confraternel sans pour autant être malveillant
Alphonse
Jean-Michel BLANQUER bien peinard !
Cher Alphonse,
merci pour cette réponse non-malveillante 😉
Où avez vous lu que je prône l’entre-soi ? Je le déplore tout comme vous.
Cependant cet entre-soi n’existe-a-t-il pas de fait dans l’enseignement public sous couvert de la carte scolaire et des dérogations qu’elle suscite ?
Entre Henry 4 à Paris et un lycée REP+, l’école de niche n’existe-t-elle pas déjà ?
Entre classe générales, technologiques, pro, SEGPA et autres ULIS, l’école de niche n’existe-t-elle pas déjà ?
80% des élèves hors REP maîtrisent les compétences 1 et 3 du socle, bizarrement, ils ne sont que 50% en REP, et 25% quand ils ont redoublé au moins une fois…… c’est de l’égalité ? Pensez vous vraiment qu’en donnant à chacun la même ration on obtient la même croissance ?
Regardez le “succès” de l’école “inclusive”. Vous n’avez pas l’impression qu’on pourrait faire différemment ? Et ce n’est pas faute d’engagement de la part des enseignants et personnels d’éducation.
Nous plaidons juste pour une diversité des approches pédagogiques
je ne demande pas d’école de niche, juste de passer de l’école pour toutes et tous à l’école de chacun.
Confraternellement quand même 😇
Jean-Michel BLANQUER bien peinard !
La différence entre Henri IV et le clg du 9.3, ce n’est pas une conception scolaire ou une niche institutionnelle. Ces deux établissements sont au coeur de leurs quartiers respectifs. Ils ne sont que le témoin d’une ségrégation géographique entretenant et amplifiant une ségrégation sociale, indispensable au maintien du système (patronat) et du pouvoir.