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Intermèdes-Robinson : faire ensemble et investir les espaces délaissés de la ville

Cet article, publié dans le n° 600 de La Revue des parents, éditée par la Fédération nationale des Écoles des parents et des éducateurs
(180 bis rue de Grenelle – 75007 – PARIS, www.ecoledesparents.org) nous présente l’action de l’association Intermèdes-Robinson. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de la revue.

Investir les espaces délaissés de la ville, voilà ce que propose intermèdes-robinson,
une association sans local. au pied des barres, dans les caravanes ou les bidonvilles
de longjumeau, elle va à la rencontre des familles, pour les réinscrire dans une vie sociale.

«Nous sommes une association locale et nous
  faisons du travail social communautaire. » C’est de cette façon que Laurent Ott, fondateur et président d’Intermèdes-Robinson, définit le travail de cette association implantée dans les quartiers sud de Longjumeau. Dans cette zone de grands ensembles, où 50 % de la population de la ville est rassemblée sur 10 % du territoire, Intermèdes-Robinson s’attache à investir l’espace public et plus précisément tout ce qui s’apparente à des lieux délaissés : friches péri-urbaines ou espaces entre les bâtiments sont exploités pour y mener des activités sociales et éducatives avec les habitants. Le parti pris d’Intermèdes-Robinson qui ne dispose pas de local s’explique par la volonté de toucher le plus grand nombre dans différents points du quartier, en organisant des ateliers de rue ouverts à tous. « Leurs responsables – permanents, bénévoles, stagiaires ou jeunes effectuant leur service civique volontaire – se mettent dans une posture d’accueil et d’attente. Chacun est le bienvenu, nous recevons tous les âges et toutes les cultures, et personne ne nous est envoyé par personne », assène Laurent Ott, précisant qu’il n’est jamais question d’inscriptions, ni de cotisations pour participer à ces ateliers.

Ici et maintenant

Inspirée de la « pédagogie sociale »1, théorisée par Helena Radlinska et développée en France par des pédagogues tels que Célestin Freinet, la pratique de l’association tient compte de la réalité sociale des habitants du quartier et vise à une transformation de leur environnement. « Nous faisons alliance avec les personnes avec lesquelles nous travaillons et nous expérimentons une réelle proximité. » Une proximité géographique indéniable puisque les travailleurs sociaux s’installent au pied des immeubles, des caravanes ou des bidonvilles, « là où les enfants, même les plus jeunes peuvent nous rejoindre », souligne le président d’Intermèdes-Robinson, mais aussi une proximité d’ordre culturelle. « Nous échangeons en permanence, et nous aussi, nous sommes influencés par la façon de voir, de penser de ces personnes, et conscients de ce qui leur importe, de ce qui les intéresse. »

Souvent pris à l’intérieur de problématiques de précarité, de chômage, d’isolement et de dépression, les habitants sont invités à occuper une place bien réelle dans leur quartier et à y faire l’expérience de la convivialité. Ces familles qui, pour certaines, vivent recluses chez elles dans des situations de pauvreté extrême sont parfois inconnues des services sociaux. D’autres se découragent et ne vont pas au bout des démarches qui leur donneraient accès aux équipements culturels ou aux centres sociaux de la ville. « Les professionnels des services sociaux leur paraissent trop éloignés de leurs préoccupations, étrangers à leur réalité, trop ignorants de ce que sont leurs véritables conditions de vie. »

Loin de se positionner en instance intermédiaire ou passerelle entre les familles et les organismes sociaux, Intermèdes-Robinson s’emploie à répondre aux attentes immédiates des habitants. « Les gens qui viennent nous voir ne sont pas désireux d’être orientés, guidés ou éduqués ; ils demandent juste à participer à une vie sociale “ici et maintenant” et à faire collectif, ensemble. »

L’action de développement social et éducatif que l’association désigne sous le nom de « Cultures Robinson » consiste à réunir adultes et enfants autour d’activités diversifiées, selon les principes participatifs et coopératifs de la pédagogie sociale. Les ateliers sont des ateliers de production et de transformation. « Les familles auxquelles nous nous adressons ont été exclues petit à petit du pouvoir de produire. Eh bien, nous travaillons avec nos mains, nous faisons des bijoux, de la couture, de la peinture, des spectacles… Nous avons aussi un cuiseur de rue, nous faisons du feu et de la cuisine de rue. »
S’ils se tiennent toujours en extérieur, les ateliers sont néanmoins organisés avec régularité, dans un espace donné. « Quand il est question d’un événement exceptionnel, l’information circule par le bouche à oreilles. On distribue aussi des flyers », explique Corentin, éducateur. « Ou alors nous posons des dazibaos2 au cœur du quartier. »

Créer un milieu éducatif

Intermèdes-Robinson emploie trois éducateurs permanents présents sur les différents ateliers. Corentin organise plus particulièrement les grands jeux sportifs. Il accompagne aussi enfants et adultes les jours de jardinage. Il s’agit d’un jardinage communautaire, sur des parcelles non privatisées et dont la récolte est partagée. « On essaie de faire le lien entre ce qui est cultivé au jardin et ce qui sera cuisiné ensuite. » Les terrains sont mis à la disposition de l’association par des municipalités voisines, ce qui nécessite, pour le groupe de se déplacer avec une camionnette. « Mais nous faisons aussi du jardinage dans de petits bacs, au cœur du quartier », ajoute l’éducateur, qui avec ses collègues peut encore se poster devant l’école à l’heure de la sortie pour proposer aux enfants une activité skate park.

Une fois par mois, le vendredi soir, des familles se retrouvent pour une soirée conviviale autour d’un repas partagé. Selon le thème retenu, la soirée sera animée par de jeunes musiciens qui ont fondé leur groupe ou par une autre forme de spectacle vivant né du quartier. Basée sur la durée et la continuité, puisque l’association accueille aujourd’hui de jeunes stagiaires, ayant participé enfants aux ateliers de rue, elle remplit sa mission, qui est de créer un milieu éducatif. Le terme de « milieu », employé spécifiquement, indique la transformation de l’environnement, par ceux qui y vivent. « Dans notre association, les dimensions essentielles et qui rassemblent tous les âges tournent autour de ces préoccupations : animer, occuper, transformer et habiter l’espace public », reprend Laurent Ott. À la question de savoir si ce mode de fonctionnement n’enferme pas les habitants sur le quartier, il répond qu’il est nécessaire de connaître les richesses que l’on a à partager ensemble, avant d’ouvrir l’horizon. À ce propos, il se félicite des rencontres devenues possibles entre enfants des différentes résidences, mais aussi des contacts avec les enfants roms, leurs voisins. Depuis quelques années, l’association est présente avec des ateliers éducatifs dans certains camps de l’Essonne habités par des familles roms. Ces activités dont Laurent Ott dit qu’elles ne sont pas en marge de l’action d’Intermèdes-Robinson, mais qu’elles en sont au contraire le centre, selon la philosophie de l’association.
Isabelle Lacheref

1. La pédagogie sociale était définie par Helena Radlinska (1879-1954), patriote
et pédagogue polonaise, comme « pédagogie
avec toute sa personne », « comprenant toute la vie humaine dans toutes
les phases d’âges
et fondée sur différentes formes d’associations
et de dispositifs locaux ».

2. Ce terme, qui à l’origine était utilisé en Chine
pour désigner les affiches
non officielles placardées dans la rue par de simples citoyens, n’est pas sans évoquer l’indépendance assumée de cette association
qui revendique fortement
la réappropriation
de l’espace public.

« Les adultes sont toujours amenés par les enfants »

« Notre présence dans les espaces publics permet aux adultes retranchés de toute vie sociale de sortir de l’enfermement. Ces adultes sont toujours amenés par les enfants, sans que nous sollicitions leur présence. Cela prend plus ou moins de temps, mais les adultes finissent toujours par venir, et par participer et contribuer à nos activités. Que les parents occupent une vraie place dans la société, y soient reconnus comme des citoyens à part entière et puissent se repositionner en tant qu’adultes nous paraît essentiel dans l’action de soutien à la fonction parentale que nous menons. C’est cette approche que nous privilégions plutôt que la valorisation des compétences parentales, comme cela se pratique généralement. »

Laurent Ott, président d’Intermèdes-Robinson

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