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Imprévu #6 – Être présent, garder le lien, par Arthur Serret

classe vide

Prévisible, mais imprévu

Mercredi 31 mars, six heures avant que le président de la République annonce la fermeture des écoles pour la semaine suivante, ma classe ferme à cause d’un cas positif. Deux classes avaient déjà fermé dans l’école les jours précédant, cette fois-ci c’est mon tour. Les élèves sont parti.es depuis une heure (à Paris, on travaille encore le mercredi), il ne reste plus que les quelques élèves qui mangent à la cantine. On appelle d’abord les parents, et je leur donne rendez-vous le lendemain de 10h à 11h devant l’école. Je leur donnerai des photocopies et un plan de travail pour bosser.

Ainsi le lendemain, je sors une table dans la rue (piétonne) et m’installe avec mes photocopies et les cahiers des élèves. Il fait beau : au soleil, avec un expresso offert par la gardienne, j’ai presque l’impression d’être à la terrasse d’un café. Mes élèves arrivent au compte goûte le sourire aux lèvres. Nous nous disons bonjour, nous donnons des nouvelles. Certains sont contents de se retrouver et jouent un peu autour de la table.

Être présent : la « continuité » sans le tout-numérique

Quand la directrice m’a annoncé la fermeture de ma classe, j’ai été saisi par la lassitude et l’angoisse. Non ! Surtout ne pas revivre cet isolement du premier confinement, ces journées passés au téléphone, sur mes mails et en visio. Ne pas revivre ce sentiment d’être toujours un peu intrusif, d’attendre des nouvelles d’untel qu’on arrive pas à avoir, revivre les doutes quant au travail donné dont on ne voit pas les résultats, revivre les tiraillements quant aux inégalités d’accès au numérique… Maëliss Rousseau a écrit dans une « lettre à un parent en continuité pédagogique » : « Enseigner à distance, c’est enseigner dans le noir ». Ma permanence du matin, a été un peu ma veilleuse. Elle permet de continuer à se voir, à construire du lien, à observer comment ils/elles se sont approprié.es ce que je leur ai donné. Ici, juste une table et ma présence : pas de nouvelles appli miracles, pas de problèmes de connexion, pas de malentendu téléphonique. Le dispositif est simple et humain. Il répond à une exigence éthique : celle de garder l’humain au centre, et le numérique à la marge. Cette première matinée apaise mes angoisses. Alors finalement, je leur ai donné rendez-vous le lendemain, et puis tous les jours de la semaine de fermeture.

Garder un lien

Certains élèves venaient me montrer leur cahier pour que je le corrige. D’autres venaient demander des explications lorsqu’ils n’avaient pas compris un exercice. J’ai aussi distribué des livres : un roman à lire, des documentaires pour prolonger un exposé ; et du matériel laissé en classe. Certains venaient dans l’espoir de croiser leurs copains et copines, et étaient d’ailleurs déçus lorsqu’ils arrivaient trop tard.

Malgré la fermeture de l’école, la permanence du matin a permis une « continuité » d’un lien pédagogique (a minima) et social, et au final, tous mes élèves sont passés au moins une fois. Même la mère qui m’avait dit dès le début « je ne ferai pas l’école à la maison » et à qui je n’avais pas essayé de forcer la main, est passée me dire bonjour et donner des nouvelles. Pendant la semaine de fermeture d’autres collègues de l’école s’y sont mis, et on a continué à faire vivre l’école : école fermée certes, mais pas une école morte ni une école virtuelle.

L’école dans la cité

Mais sortir de l’école, s’installer sur son parvis, c’est aussi aller à la rencontre de la cité. En passant une heure dans la rue, on se rend compte que les gens sont curieux : « Qu’est-ce que vous faites ? c’est pour la vaccination ? Vous vendez quoi ? ». Alors, on explique que l’école est fermée mais que nos élèves peuvent venir. On rend visible ce qui aurait été invisible ; on matérialise dans l’espace notre travail et notre engagement.

On discute avec des inconnus. Il y a cette dame très engagée dans le quartier qui me dit en me voyant ranger « j’allais vous apporter un café ». Nous discutons longuement de la cité, des associations, des moyens de faire partir les enfants en vacances… Des collègues de l’école maternelle passent tous les matins, on en profite pour discuter. Une dame à la retraite m’explique un matin qu’elle a travaillé pendant trente ans comme animatrice dans l’école. Nous parlons de l’école et du quartier encore, de son histoire et de sa rénovation il y a 10 ans.

Les parents d’élèves aussi : une mère en profite pour me montrer le recueil de poésie écrit par son fils, d’autres demandent des renseignements. Est-ce que c’est là pour les inscriptions en CP ? Est-ce que le centre de loisirs sera ouvert pendant les vacances ? Le père d’une de mes élèves nous apporte une bouteille de soda pour nous remercier. Et tou.tes, ils/elles nous encouragent : « merci, c’est bien ce que vous faîtes ». Ce n’est pas seulement les parents d’élèves, c’est tout un quartier qui discrètement nous témoigne de sa reconnaissance et ça… cela tellement fait du bien.

En temps de crise et d’isolement, ce geste : sortir de l’école et s’installer dans la rue m’a semblé important et pertinent. D’abord pour créer du lien, mais aussi pour matérialiser un engagement de l’école dans le quartier alors que la frontière symbolique entre l’école et la rue est très forte chez nous. Alors que l’école est au coeur de la cité, et au centre de la vie de beaucoup de ces habitant.es, il y a peu de liens et d’interactions avec la réalité du dehors. Attendre dehors, c’est aussi laisser place aux imprévus et être disponible à la rencontre avec ses élèves, mais pas que.

Droit à la ville contre l’épidémie

Une étude japonaise précise qu’il y a dix-huit fois moins de chance de se contaminer en extérieur qu’à l’intérieur, d’autres études vont dans le même sens. Ainsi, après avoir passé six mois avec mes vingts élèves enfermé dans une salle de classe, je n’ai aucun scrupule à continuer à les voir en extérieur et avec masque. Dans la cité, les enfants continuent à jouer au parc et il y a du monde dans les rues. Tant mieux ! Pour lutter contre la pandémie, ne faudrait-il pas revendiquer que toutes les activités qui puissent se faire en extérieur s’y fasse ? Revendiquer une réappropriation par les gens de l’espace public ? Les théâtres et cinémas sont des lieux dangereux, organisons des spectacles dehors en plein air ! Les écoles sont fermées, retrouvons nos élèves dans la rue, au parc, n’importe tant que l’air y circule ! Alors que l’État voudrait nous contraindre, faire entrer dans nos activités dans des cases, nous faire rentrer chez nous le soir, il importe de revendiquer un « droit à la ville » afin de reconfiguer les espaces extérieurs selon les besoins réels des habitant.es et parmi en particulier des enfants. De l’air !

Arthur Serret

2 Comments

  1. Matthieu Montantou

    Je déteste le genre de message que je m’apprête à formuler : tout ce pathos, c’est encombrant, ça fatigue, ça détourne de la lucidité critique qui peut seule nous permettre d’avance. Mais ce matin, j’ai juste envie de dire :
    Merci de ce témoignage. Et bravo. Je suis content, heureux, de voir que je ne suis pas tout à fait seul.

  2. Catherine Burguy

    BRAVO pour votre initiative! S’autoriser la critique constructive, une possibilité….et surtout un devoir citoyen!….Ne pas abandonner nos élèves, ne pas baisser les bras, se réapproprier l’espace public, oui c’est vraiment une nécessité! Merci, votre témoignage ajoute l’espoir à la volonté d’avancer!!! Catherine

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