Une réflexion de Laurent Ott, philosophe social, éducateur et formateur. Cet article est extrait du nouveau numéro du Nouvel Éducateur (juin 2013) intitulé “Aimer”.
L’école est le seul remède contre la solitude, disait Janusz Korczak ; mais encore faudrait-il pour que cela soit vrai que l’école fût l’école, et pas un simple établissement, une institution froide et effrayée par la vie qui l’entoure.
L’école est le lieu où on attend les autres ; elle est le lieu où on les découvre, elle est le lieu où on se découvre avec et parmi eux.
Parce que je suis resté proche, intimement, de cette certitude qui datait de ma propre scolarité, j’ai toujours aimé l’école pour ses rencontres. Pas celle des enseignants si souvent semblables, interchangeables, parfois inamovibles, mais surtout celle des enfants chaque fois forte et sans triche possible.
Tout est dans la rencontre…
C’est de la rencontre que tout découle : le groupe qui devient notre groupe, le temps que nous allons nous approprier et même le travail et les programmes.
La rencontre est première à l’école, car les programmes, les cadres, les règlements ne nous apprennent rien sur l’humain et ne nous disent rien sur le vivant. Ils naitront de cette rencontre, où ne seront rien que lettre morte ou littérature grise, que des empêchements à vivre, des prétextes à ne rien oser, des relations ratées.
La rencontre est première, mais force est de constater qu’elle fait également peur. Elle terrorise et rend malade les enfants comme les adultes ; elle tord les ventres, elle inquiète ; alors la tentation est grande d’en dénier l’importance. Pire, il arrive fréquemment que certains enseignants fassent tout pour que les rencontres ne se produisent pas : mise à distance, menaces dès le premier cours, fanfaronnades. Intimidations de matamores ou parfois même pitoyables, manifestations de distance ou de désintérêt, comme nous nous sommes surpris quelquefois à en faire.
Il ne reste alors au pédagogue Freinet que le long désapprentissage de toutes ces peurs acquises, de ces face-à-face stériles, et à y substituer un simple, un véritable intérêt pour chacun.
… et la reconnaissance
À l’école, la reconnaissance doit précéder toute connaissance. Car nous accueillons aujourd’hui des enfants, des groupes, et des minorités qui en ont soif et qui en ont été privés.
Comme le dit Axel Honneth « Sans la reconnaissance, l’individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie », elle est aujourd’hui devenue l’enjeu des luttes véritables, l’énergie qui peut encore bouger les choses, l’école comme le monde.
Les enfants, les parents ont faim et soif de reconnaissance
La reconnaissance, ça commence par l’expérience d’être aimé, mais pas vaguement, comme cela, comme on aimerait tout le monde. Non, il s’agit d’être aimé pour soi et comme nul autre. Et cela avouons-le n’est pas si simple à trouver, ni à donner. C’est pourtant ce que veulent, ce que demandent les enfants que nous rencontrons. Plus que tout. Pourquoi est-ce si essentiel ? Car, dit le philosophe, celui qui n’a pas éprouvé cette expérience ne pourra jamais s’aimer lui-même et encore moins aimer quiconque. Nous voilà prévenus.
Mais la reconnaissance, c’est aussi l’expérience fondamentale du respect et (notons-le) d’un respect inconditionnel. Reconnaitre un enfant – comme un adulte d’ailleurs (pour qui agit au sein d’une institution) –, c’est garantir un respect inconditionnel.
Dire ou prétendre inscrire le respect dans l’échange, dans la loi du marché, est une imposture. Le respect se donne. Dire « Tu me respectes, je te respecte », n’a aucun sens. Dire « Je te respecte même si tu ne me respectes pas » est inaugural.
Et enfin la reconnaissance, c’est l’expérience d’être estimé, de l’estime. C’est se sentir bon à quelque chose et être remarqué pour cela par un proche, un éducateur ou même un étranger. Cette expérience est précieuse. Combien d’enfants et d’adultes que nous rencontrons se disent et se sentent « nuls » ?
Ces trois niveaux de la reconnaissance ont chacun leur « scène » : l’amour est attendu des proches, le respect des institutions, et l’estime, de la société. Mais nous, éducateurs, nous, enseignants, animateurs ou acteurs sociaux, au sens large, nous sommes par notre engagement des acteurs de ces trois « scènes » à la fois.
À nous de permettre l’expérience de la reconnaissance à ceux que nous éduquons.
RÉveillons-nous…
Nous vivons encore sous d’anciens paradigmes qui ne sont plus adaptés à la condition psychosociale d’aujourd’hui.
Dans les années 70, les problèmes psychosociaux tournaient essentiellement autour de problématiques de « places », de « distance » et de « perte ».
Les pathologies sociales comme individuelles manifestaient la confusion, l’intrusion ou des pertes inconsolables.
Or cette grille d’analyse, qu’on le veuille ou non, encombre encore nos pensées et nos pratiques. Comme éducateurs nous sommes sans arrêt rappelés ou renvoyés vers « la distance nécessaire », vers « la frustration nécessaire ». Nous croyons voir partout des « enfants rois », des « enfants tyrans » ; nous pestons contre la « toute-puissance » apparente ou imaginaire des uns et dénonçons « l’esprit de consommation » des autres.
Or, réveillons-nous, ce n’est plus de cela que notre époque souffre. Elle souffre de fragmentation des relations, de ruptures, d’isolement, de dépression profonde des individus disqualifiés. Ce n’est plus la bonne distance qu’il nous faut trouver avec les enfants et les adultes, mais « la bonne proximité ».
Les enfants, les adultes avec qui nous travaillons sont nombreux à ne plus être seulement menacés de « frustration », mais bel et bien… de disparition, comme disparaissent les enfants Rroms expulsés des camps, les enfants arrachés de leur quartier par une rupture brutale, etc.
Plus que jamais l’éducateur d’aujourd’hui se doit de reconnaitre et de prendre en compte la dimension affective des relations, des rencontres et de ce qui se joue dans notre société et ses institutions.
Et parce que nous ne pouvons ignorer cette dimension affective, nous nous devons de la mettre en travail, d’en prendre conscience, de l’analyser et de la faire évoluer.
Les éducateurs de jeunes enfants savent bien que l’affectivité peut être professionnelle. Et qu’elle se doit de l’être. Ce n’est que parce qu’elle sera travaillée qu’elle cessera de hanter ou parasiter nos relations.
Pour travailler cette dimension affective, nous avons le choix : formation personnelle, groupes d’analyse de pratiques, supervision individuelle. Mais le travail d’équipe est là aussi essentiel. Ce travail suppose qu’il soit pris en compte dans un projet collectif et éducatif partagé.
… et Ayons la bonne attitude
Seule une attitude authentiquement affective (AAA, comme Stanislas Tomkiewicz appelait cette démarche) pourra aujourd’hui sortir nos pratiques des ornières et des impasses que connaissent les institutions.
Seule une telle attitude permettra aux enfants, comme aux groupes, de prendre conscience d’eux-mêmes et de s’ouvrir à ces deux dimensions essentielles de leur vie, qui sont niées dans la vie courante : le politique et l’intime.
La pédagogie Freinet est la pédagogie dont le projet est d’associer le travail de l’intimité (expression, créativité) et de la politique (organisation, initiatives sociales). Elle est la pédagogie de l’affectif et du social.
En cela, c’est une pédagogie essentielle qui produit toujours des effets étonnants : les destins, les trajectoires individuelles en sont toujours impactées et… c’est pour toute la vie !
Laurent Ott (91)
Il n’y a d’école que de l’amour
Très beau texte, merci.
J’ai souvenir, en 2010, d’une conférence* où Albert Jacquart disait qu’il faudrait mettre au fronton de chaque école: “Ici, on apprend la rencontre.” On s’y retrouve, encore une fois, finalement…
*C’était pendant un forum libération, à Lyon, mais je n’arrive pas à remettre la main dessus dans les archives du site.
Il n’y a d’école que de l’amour
Réfléchissant à une petite intervention publique lors de mon départ à la retraite après 38 années d’enseignement, je suis tombé sur ce texte inspirateur. Je partage avec force le contenu de ces lignes, que je me permettrai de citer en partie, avec le nom de son auteur évidemment.
Il n’y a d’école que de l’amour
Bonsoir Ps de problème, je donne volontiers cet accord
Il n’y a d’école que de l’amour
J’en sais quelque chose moi qui l’ai quitté en 4 eme pour cause de rêverie… mais surtout de dyslexie. Je n’ai pas oublié les dictées accrochées au dos à chaque récréation pendant toute la primaire, les brimades, les coups de règle sur les doigts et pour finir le diagnostique de débilité… ce qui ne m’a pas empêché d’être reçue aux Beaux Arts parmi les premières et d’écrire des albums de fictions documentaires étudiés en primaire! C’est la revanche du
cancre ! ah si j’avais pu rencontrer des profs comme ceux qui sont là…
Il n’y a d’école que de l’amour
La dyslexie, une autre forme d’intelligence. Quels albums avez vous écrit?
Il n’y a d’école que de l’amour
Mes albums de cancre
En tant qu’auteure et illustratrice, édition l’école des loisirs collection archimède (fiction documentaire): De l’eau fraîche pour Louise, Louise et la Martinique, Vide le Désert? etc et le petit dernier qui vient de paraître aux éditions Des ronds dans l’O ( pour adolescents et adultes) “Ces femmes qui changent le monde”