(Avertissement : l’article publié ci-dessous date d’avril 2014. en écho aux événements dramatiques de Ferguson Missouri USA)
La Cour suprême des États-Unis vient de mettre un terme (provisoire) à la discrimination positive instituée à la suite des grands mouvements de libération des années 60. Personne n’aura plus le droit de se faire inscrire dans une école ou une université en expliquant que la minorité à laquelle il ou elle appartient – noire, portoricaine, femme, homosexuelle, handicapée – est moins représentée dans cet établissement que dans la population de l’état ou dans la population nationale. Cette décision est adoptée au nom de l’égal traitement entre les citoyens, qui doivent être tous soumis aux mêmes examens, alors que l’article 14 de la Constitution américaine sur le devoir d’égale protection des citoyens avait été évoqué précédemment pour soutenir l’appui aux membres de minorités, défavorisés par leurs conditions de vie.
Cette décision intervient après dix ans de lutte juridique entre adversaires et partisans de la discrimination positive. Mais prise au plus haut niveau juridictionnel elle fait jurisprudence, tant qu’un grand mouvement politique ne remettra pas en avant la lutte pour l’égalité. C’en est fini aux Etats-Unis de favoriser l’accès des minorités aux bonnes écoles et aux universités. Et les résultats se font déjà sentir : la présence des noirs dans les universités diminue fortement.
En France, cette discrimination positive a pris le visage de l’éducation prioritaire mais sous l’angle social et non ethnique : des zones puis réseaux d’éducation prioritaire ont été créés il y a trente ans et se sont multipliés. Après avoir été menacées de disparition par Sarkozy, ces structures ont finalement été maintenues, et connaissent actuellement une nouvelle relance (priorité pour « plus de maîtres que de classes », scolarisation des 2-3 ans, facilités horaires pour les enseignants des deux degrés) mais on ignore tout du devenir de sa carte, liée à celle de la Politique de la ville.
Car en France la discrimination positive a été aussi territoriale ; elle consistait à donner plus de moyens budgétaires aux territoires ciblés dans le cadre de la politique de la ville, mais pas à aider des individus à se promouvoir dans le système d’éducation. Des études de géographie urbaine ont montré que ces moyens budgétaires supplémentaires étaient très inférieurs aux moyens consacrés par les différentes institutions publiques à la réussite scolaire et sociale des élèves des quartiers les plus favorisés. Comme l’ont montré les dernières enquêtes les inégalités scolaires territoriales se sont accrues depuis trente ans, et le discours sur la discrimination positive territoriale n’y a pas apporté de remède.
Ces politiques encourent deux reproches :
les moyens dont elles disposent, sans être négligeables, ne sont pas suffisants pour contrebalancer les inégalités ; préservés jusqu’ici, ces moyens risquent d’être également frappés par les restrictions budgétaires ;
les discriminations de fait sont générées par l’existant, que ce soit dans la ségrégation spatiale par l’argent ou par l’école. Au corps défendant des enseignants, l’école discrimine négativement les pauvres, les minorités ethno-raciales, les filles ; de manière différente ou nuancée selon les situations, générant en tout cas un ressenti confus chez les discriminés, ressenti discriminatoire d’autant plus mal vécu par les enseignants qu’ils en subissent les conséquences sans bien comprendre pourquoi.
La situation est difficile et complexe. Elle ne doit pas nous conduire aux grands slogans salvateurs qui préservent de l’action quotidienne, ni à l’enfouissement dans ce quotidien au risque de perdre de vue l’horizon qui a fait naître ces concepts, ces politiques, cette actualité mouvante : la visée égalitaire !
(We hold these Truths to be self-evident, that all Men are created equal, 1776)
Anne Querrien & Jean-Pierre Fournier
Heurts et malheurs de la discrimination positive (et négative)
Rarement lu un texte aussi intelligent et nuancé sur les réseaux d’éducation prioritaire.
Merci
petit bémol
Au corps défendant des enseignants, l’école discrimine négativement les pauvres, les minorités ethno-raciales, les filles ;
les enseignants ne font pas “classe” ou “corps”, ils sont multiples surtout face à question de ce que produit l’école. Du cynique éclairé, à l’ignorant satisfait (rien à voir avec jacotot) de ceux, nombreux, qui incarnent jusqu’au bout des ongles (et de leurs pensums stupides) le verdict scolaire (si favorable, le plus souvent à leurs propres enfants) à ces collègues bienveillants qui font le petit peu qu’ils peuvent (à longueur d’année et de ministre).
Nous fréquentons trop les salles des maitres ou des profs pour savoir à quel point ce corporatisme est mal placé.
Heurts et malheurs de la discrimination positive (et négative)
Vous écrivez : “l’école discrimine négativement … les filles”;
C’est faux, les statistiques ministérielles montrent le contraire, et même les sociologues ont étudié ce fait, la raison la plus souvent avancée est que les filles sont plus “souples”, plus obéissantes, donc en position de retenir mieux.
Heurts et malheurs de la discrimination positive (et négative)
La réalité est complexe : si effectivement les filles réussissent mieux (au collège surtout), elles n’en sont pas moins victimes d’une discrimination “douce” mais réelle (voir les travaux de Françoise Vouillot sur l’orientation) et de représentations traditionnelles négatives (voir les travaux du centre Hubertine Auclert sur les manuels).
Au niveau des enseignants, on retrouve ça pour les salaires dans le tout récent bilan social du ministère : plus de professeures des des écoles, plus d’hommes profs en fac et e prépa.