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Groupes de “nivo”

« Groupes de nivo… » : non ce n’est pas une erreur orthographique, encore moins une « faute » comme persistent à dire certains (pour ainsi dire un péché) non, il s’agit d’un groupe d’enseignants quelque peu choqués par le « choc des savoirs » qui se sont baptisés « groupe de nivo » pour chanter leurs inquiétudes et leur indignation.

La chanson sur Youtube : https://youtu.be/e-cKqjwKjMQ?si=ecryo9tVuMRnPPJ3

Il est vrai qu’il y a de quoi être indigné car l’histoire racontée par le premier ministre sur un ton de « Surgé » du siècle dernier est une histoire à dormir debout qui, si le sujet n’était pas si grave, il s’agit d’enfants, de la vie d’enfants, susciterait un immense éclat de rire. Le groupe d’enseignants de la région de Saint-Nazaire a choisi plutôt que d’en rire d’en faire une belle chanson, d’autant plus belle qu’elle exprime poétiquement une indignation vraie face au choc qui n’a rien à voir avec les savoirs.

A cet égard d’ailleurs il est permis de se demander ce que « sait » le premier ministre en matière d’éducation et de pédagogie. Sait-il par exemple que ce qu’il qualifie de « groupes de niveau » a toujours existé, depuis Jules Ferry au moins qui, lui, ne se payait pas de mots (en matière d’éducation comme en matière de colonisation) et qui revendiquait deux écoles, l’école du peuple, comme il disait et celle de la bourgeoisie, deux groupes de niveau strictement séparés qui constituaient une école de classes, l’école du peuple ayant pour mission de « produire » une population suffisamment instruite, mais pas trop, pour assumer les tâches les plus prosaïques (E. Morin) au service de l’élite issue de l’école de la bourgeoisie comme l’on disait.

Sait-il, ce monsieur qui opine avec tant de vibratos dans la voix, que la création du collège unique en 1975 ne fit pas disparaître les classes de niveau mais au contraire qu’il les légitima et les structura de sorte que je pouvais écrire voici déjà plus de vingt ans qu’il y avait dans les collèges les bonnes classes de germanistes-latinistes, les mauvaises homogénéisées autour d’une LV2 espagnol et les très mauvaises qualifiées AS (aide et soutien) en quatrième et I (insertion) en troisième, classes où sont rassemblés les adolescents les plus scolairement démunis dans lesquelles l’enseignement d’une deuxième langue vivante n’a même pas été jugé utile… (« Lécole des riches, l’école des pauvres » La Découverte 2001).

Sait-il cet éphémère ministre de l’éducation et tout aussi éphémère premier ministre (car un ministre est éphémère par définition ce que certains ont tendance à oublier me semble-t-il) que la création des ZEP en 1982 suscita un élan pédagogique chez nombre d’enseignants qui tentèrent de « faire quelque chose », autre chose que discriminer les élèves en bons et mauvais, qui tentèrent de « faire de la pédagogie » c’est-à-dire de créer un mode de vie dans la classe et dans l’école fondé sur l’entraide entre pairs plutôt que sur la compétition mortifère, sur l’observation bienveillante (formative, disait-on) plutôt que sur une évaluation normative (sommative, disait-on).

Car c’est cela la pédagogie : la création quotidiennement enrichie d’un mode de vie dans la classe qui permet et favorise l’acquisition de connaissances qui se structurent progressivement en savoirs par la prise de conscience quotidienne de ces acquisitions (observer, associer, exprimer, selon la triade proposée par Ovide Decroly) grâce précisément au mode de vie dans la classe fondé non pas, je le répète, sur la compétition mais sur l’entraide, un mode de vie fondé comme le disait justement Decroly, sur la vie par la vie, pour la vie.

Car la civilité si chère à nos éphémères ministres ne s’apprend pas de manière livresque ou par l’audition inattentive, nécessairement inattentive, d’un discours aux résonances nationalo-patriotiques, le petit doigt sur la couture du pantalon de l’uniforme cache-misère, mais par la pratique quotidienne d’une démocratie vivante dans la classe et dans l’école.

Il est désolant d’avoir à rappeler tout cela qui devrait constituer le savoir minimum de tout ministre de l’éducation. Car la littérature traitant de l’éducation et de la pédagogie est foisonnante. Citons, pour faire court et par exemple « Les Cahiers pédagogiques », « Questions de classe(s), et « Le café pédagogique » sans oublier les recherches actuelles, par exemple celles de Sylvain Connac sur les pédagogies coopératives.

Mais tout cela est ignoré des ministres successifs non par indifférence sans doute mais parce que leur école, celle de la compétition et de l’uniforme n’a pas pour objectif l’émancipation ce qui impliquerait la pratique du « penser contre soi-même » qui de Montaigne à Sartre en passant par Foucault et bien d’autres, contribue, autant que faire se peut, à la libération des déterminismes de toutes sortes.

Leur école, on le sait bien, se donne pour objectif de produire (produire, en effet) des « ressources humaines », (autrement dit des êtres humains chosifiés en ressources) parfaitement adaptées à la société du « ruissellement » celle qui en appelant à la compétition et au fallacieux concept de mérite, produit à son tour la plus inique des formes sociales, celle de la perpétuation des inégalités les plus scandaleuses.

Nestor Romero sur le Club de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/nestor-romero/blog/150324/groupes-de-nivo

2 Comments

  1. Françoise Clerc

    Les “groupes de niveau” ne sont certes pas une nouveauté. L’organisation forcée de certaines pratiques pédagogiques plus ou moins bien conçues non plus. Le problème à mon sens est plutôt qu’en imposant une solution (?) unique le ministre ignore la réalité, les différences entre les élèves, entre les établissements, entre les ressources des personnels enseignants et d’éducation. Finalement, quelle que soit la modalité pédagogique, dès l’ors qu’elle est unique et imposée, elle devient forcément inadéquate.
    Différencier les modes d’organisation des groupes d’élèves en fonction de leurs besoins d’apprentissage, de leurs goûts, des formes de sociabilité à développer (entraide, coopération…) de façon adaptée et variable dans le temps en fonction de l’évaluation que les enseignants font de la situation, est la seule solution vraiment efficace. Mais pour cela, il faudrait repenser l’organisation des établissements, faciliter le travail collectif des enseignants et leur redonner une marge d’initiative fondée sur leur connaissance de leur terrain professionnel. Bref, il faudrait changer de paradigme : passer de l’autoritarisme d’un ministre surtout préoccupé d’idéologie à un travail pédagogique de fond fondé sur de réelles compétences professionnelles.
    L’autre problème est la manipulation des savoirs à laquelle se livrent les gouvernements successifs depuis deux décennies. Exemple récent : la Banque de France vient d’inventer un “Passeport Educfi” pour les élèves de 4ème pour leur apprendre à gérer un budget… Sûrement avec de bons conseils glanés auprès des financiers libéraux. A signaler aussi qu’un élève qui n’aura pas effectué ses JDC (Journées de défense et citoyenneté) sous la responsabilité du Ministère des armées, ne pourra pas s’inscrire au Baccalauréat.
    Nous sommes au-delà de la pédagogie.Nous entrons dans une ère (largement préparée) d’endoctrinement et de ségrégation dont l’ineffable et bref ministre de l’éducation Attal n’est que l’accélérateur zélé.

  2. Marie-Thérèse ARZELIER

    C’est pour cette raison que mes appels aux divers gouvernements sont restés sans réponse ! J’ai pratiqué la Démarche Scientifique pendant 35 ans avec des classes très hétérogènes de tous niveaux, et TOUS parvenaient à progresser de façon spectaculaire… Et surtout PAS de groupes de niveau !!! Je fais des conférences au cours de Salons du Livre, et j’aimerai aussi en faire dans les écoles… Mais toutes mes tentatives ont échoué. Les enseignants se méfient peut-être de cette démarche qu’ils ne connaissent pas. Je laisse quand même mes coordonnées : O6 14 32 82 23 pour ceux qui voudraient en savoir plus.

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