Question : quel a été le suivi scolaire et social des frères Kouachi (par l’Aide sociale à l’enfance, qui ne se contente pas de faire la guerre aux jeunes étrangers) ? Et pour Mohamed Merah, qu’a-t-on fait pour le sortir de l’hyper-violence de son père et de son frère aîné ? Peut-être beaucoup, mais on a eu la pudeur de n’en pas parler (sans doute au nom de cette confidentialité professionnelle qui laisse tant dans l’ombre tant de désengagement).
Il n’y a bien sûr pas de relation de cause à effet entre la misère et la négligence d’une part, le basculement dans le meurtre idéologisé d’autre part. Pour quelques-uns, ça peut jouer.
En fin d’après-midi, plusieurs collègues évoquent leur discussion avec les élèves. Cela va de « je leur ai dit que ce n’était pas le programme » à « j’ai fait différemment selon les classes ; le mieux, c’est quand les élèves ont beaucoup à dire, que je suis juste le donneur de paroles, sauf quand on m’interroge ».
Ce soir, des jeunes à la rue à qui l’on essaye soir après soir de trouver un toit, et pour qui il faut l’arracher (rappels téléphoniques incessants, règles absurdes, accompagnement par des militants, attente de trois heures devant les portes fermées d’un gymnase), se retrouvent devant un gymnase fermé. Pas grand risque que ces jeunes-là lorgnent du côté de l’islam radical – ils ont généralement la foi du charbonnier, mais beaucoup sont maliens et ont dû souvent mendier comme talibés, certains sont afghans – alors les barbus, ils savent ce que c’est. Mais devant l’organisme officiel qui trie les jeunes, et leur refuse les droits humains de base (se nourrir, dormir, vivre en sécurité, bénéficier de l’éducation) s’est planté l’autre jour un organisme humanitaire « fondé sur les principes islamiques », distribuant plein de vêtements et de nourriture. Pas franchement drôle.
Etre dans le souci du commun, en classe dans le débat raisonné ou plus largement au travail ou encore à côté, faire avancer les droits humains, et d’abord ceux des plus pauvres et des plus discriminés, quels autres moyens pour tisser patiemment le linceul de la violence hystérique ? Cela ne donnera pas de garantie, mais quelle autre protection imaginer ? Pour combattre le pire, il faut cultiver le meilleur.
Sans oublier bien sûr que l’ivresse peut l’emporter chez tous, que l’on ne compense jamais certaines carences (voir Alice Miller), surtout quand c’est aux quatre coins de la planète que coule ce mauvais vin.
Mais au-delà de la juste et massive indignation d’un moment, au-delà de la tristesse, c’est bien continuer qu’il nous faut. En laissant de côté les grandes phrases, en affûtant nos outils, notre empathie, notre vigilance, en travaillant, en luttant.