Les courants de l’éducation nouvelle ont eu le mérite d’avoir contribué à introduire la formation à la citoyenneté démocratique à l’école. Mais cette conception de la démocratie gagnerait à s’enrichir des travaux contemporains en philosophie politique sur la démocratie radicale.
Éducation et régimes politiques autoritaires
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur les conditions d’émergence des régimes autoritaires et en particulier du fascisme au milieu du XXe siècle.
Les travaux de l’école de Francfort, avec l’étude sur la personnalité autoritaire, ont mis en lumière l’existence d’un lien entre un type de personnalité et des positions politiques fascisantes.
Parmi les causes évoquées pour expliquer l’émergence de ce type de personnalité figure l’éducation. Cette réflexion rejoint les travaux de la psychanalyste Alice Miller sur la pédagogie noire (voir l’ouvrage : C’est pour ton bien). On retrouve un écho de cette réflexion dans le film de Michael Haneke, Le ruban blanc : l’éducation autoritaire en vogue en Allemagne et en Autriche avant la Seconde guerre mondiale aurait favorisé l’émergence d’un type de personnalité sadique qui aurait été prédisposé à adhérer aux idées fascistes et à participer à ces crimes.
Gregory Chambat a certainement raison d’analyser les liens entre l’extrême-droite et des conceptions réactionnaires en matière de pédagogie. Toutes les visions politiques considèrent l’éducation comme le laboratoire du type de société qu’elle désire mettre en place.
Education à la démocratie participative
Dans les années 1920, les mouvements révolutionnaires socialistes mettent en avant l’importance du conseil comme institution de démocratie prolétarienne. Dans la pédagogie Freinet, on trouve ainsi établie la prise de décision au sein du conseil de coopérative qui préfigure une institution d’autogestion ouvrière économique. Dans les années 1960, en lien avec la mise en avant de la notion d’autogestion, la pédagogie institutionnelle, par exemple Raymond Fonvielle, développe l’autogestion pédagogique. Le conseil de classe y incarne également une institution d’apprentissage de la prise de décision démocratique. L’élève y apprend que la politique repose sur des institutions établies par des êtres humains : ce n’est pas Dieu ou la nature qui institue le droit. Mais plus encore, la démocratie est un régime dans lequel il y a auto-institution des règles (Castoriadis) par le peuple et non pas par un autocrate. La classe devient alors un laboratoire de la vie démocratique.
L’apport de cette conception de l’éducation à la citoyenneté, c’est qu’elle rompt avec la tradition de l’éducation à la citoyenneté républicaine qui dans la lignée de Kant, Rousseau ou Durkheim insiste sur l’apprentissage de l’obéissance à la loi générale comme condition de la vie démocratique. Néanmoins, l’expérience du Régime de Vichy avait mis en lumière que l’obéissance à la loi républicaine ne pouvait suffire à guider l’action légitime en démocratie.
Cette conception d’une éducation à la citoyenneté comme participation directe du citoyen à la vie démocratique trouve un écho dans la philosophie politique contemporaine avec les travaux du philosophe Jurgen Habermas sur l’agir communicationnel. Ces travaux influencent à leur tour des expériences sur l’éducation à la citoyenneté à partir de la philosophie pour enfant, par exemple chez Michel Tozzi.
Cette conception de la démocratie trouve un écho dans les programmes d’éducation morale et civique de 2015 puisque les enseignants sont encouragés à mettre en place avec les élèves des « Conseils d’élèves (sens des règles, des droits et des obligations, sens des punitions et des sanctions) ».
Néanmoins, cette incitation à la participation n’est peut être pas suffisante pour préparer les élèves à l’usage de leur droits démocratiques. En effet, comme il est possible de pervertir dans le cadre scolaire les conseils d’élève, il est possible de constater que l’incitation à la participation peut être instrumentalisée à des fins de domination dans la vie politique et le monde de l’entreprise. C’est le cas par exemple des conseils de quartier qui se transforment en simulacres de démocratie participative. C’est le cas également de l’entreprise libérée qui permet de faire des économies sur l’encadrement intermédiaire et qui est au service de valeurs de performance entrepreneuriale.
De ce fait, il est sans doute utile de lutter contre les tendances réac-publicaines au sein de l’éducation, mais également contre les tendances néolibérales. Cela est d’autant plus complexe que dès les débuts de l’éducation nouvelle, une tendance libérale économiquement est présente avec des auteurs comme Herbert Spencer ou encore Edmond Demolins .
Education à la démocratie radicale
Cependant, les approches pédagogiques démocratiques sont restées largement étrangères aux travaux en philosophie politique sur la démocratie radicale qui se sont développé dans la lignée des écrits de Claude Lefort.
Dans ces travaux ce qui caractérise la démocratie n’est pas la recherche du dialogue et du consensus dans des instances de participation. La démocratie est une forme politique qui suppose possible l’expression du conflit social à la différence du totalitarisme. Or associer l’éducation à la démocratie et la conflictualité sociale est nécessaire dans une société caractérisée par l’existence d’inégalités sociales. Tant que le social est structuré par des inégalités, la conflictualité est indissociable de la définition de la démocratie.
A ce titre l’ouvrage, Le principe démocratie, co-écrit par la philosophe Sandra Laugier, avec le sociologue Albert Ogien, fournit des éléments concernant les caractéristiques d’une éducation à la citoyenneté démocratique.
– Authenticité et perfectionnisme moral
Tout d’adord, Sandra Laugier se situe dans la lignée de la philosophie transcendantaliste d’Emmerson et de Thoreau. De ce fait, une telle philosophie de la démocratie accorde une importance à l’aspiration à l’authenticité des individus. L’éducation doit donc leur permettre de développer leur voix authentique et de développer leur capacité en fonction de leur conception de la vie bonne. Elle repose sur un perfectionnisme moral.
Les élèves doivent pouvoir être encouragés à avoir suffisamment confiance en eux pour faire entendre leur voix et pas seulement pour rechercher le consensus avec le groupe.
L’attitude qu’un élève adopte face à une situation de harcèlement scolaire peut être considérée comme un exemple d’épreuve paradigmatique qui suppose la capacité à faire entendre une voix différente face au groupe.
– Le care : une voix différente
Mais cette capacité à faire entendre sa voix singulière rejoint d’autres traditions philosophiques chez Sandra Laugier. Il s’agit de la philosophie féministe du care qui implique de faire entendre une voix différente de la conception morale dominante masculine fondée entre autre sur les valeurs de compétition individuelle.
De fait, l’éducation doit permettre à l’individu d’apprendre à résister au conformisme aux normes de domination sociale. L’éducation à la citoyenneté doit donc supposer que l’enseignant joue un rôle pour aider l’élève à prendre des distances critiques avec les normes sexistes et marchandes de la société de consommation véhiculé par le spectacle des médias de masse. La formation au jugement critique est donc un aspect indissociable de l’éducation à la démocratie.
– La pédagogie, une politique de l’ordinaire
Cette voix différente que met en avant Sandra Laugier s’inscrit ainsi également dans une politique de l’ordinaire qui poursuit les travaux du philosophe Stanley Calvell. De fait, la classe et les pratiques pédagogiques de l’enseignant peuvent être analysées comme relevant d’une micropolitique de l’ordinaire c’est-à-dire qui s’inscrit dans la vie quotidienne de la classe.
Ainsi, mener un militantisme pédagogique dans le cadre de l’institution disciplinaire scolaire suppose sans doute de mettre en place des tactiques micropolitiques de résistance afin de saboter les logiques de maintien et de reproduction de l’ordre social. Celles-ci peuvent consister comme l’avait énoncer Pierre Bourdieu à « vendre la mèche » en explicitant les stratégies cognitives et sociales qui permettent aux dominants de maintenir leur domination.
– La désobéissance civile comme acte démocratique
Cette référence au transcendantalisme, dans la conception de la démocratie telle que la développe Sandra Laugier et d’une capacité à faire entendre une voix différente au risque de l’anti-conformisme, doit être comprise en lien avec la notion de désobéissance civile. En effet, dans le transcendentalisme, tel que le théorise Thoreau, c’est n’est pas l’obéissance à la loi générale qui caractérise le citoyen. Au contraire, c’est sa capacité à pouvoir désobéir à la loi injuste. La capacité à désobéir face à l’injustice constitue donc une dimension de l’éducation à la citoyenneté. Cela signifie que celle-ci inclut l’étude des mouvements de désobéissance civique des suffragettes aux faucheurs d’OGM, en passant par le mouvement noir américain des droits civils, afin d’analyser en quoi ils constituent un apport à une citoyenneté démocratique.
– La démocratie sauvage
La notion de « démocratie sauvage » est reprise par Sandra Laugier à Miguel Abensour qu’elle cite ainsi : « Se forger une « idée libertaire de la démocratie », pour reprendre les termes de Claude Lefort, c’est la penser comme sauvage. Une attitude qui ne saurait se solidifier en doctrine. Est libertaire celui qui ose parler quand tout le monde se tait, le contradicteur public qui ose rompre le mur du silence pour faire entendre la voix intempestive de la liberté. […] Résistance à la domestication, la « démocratie sauvage » désigne positivement l’ensemble des luttes pour la défense des droits acquis et la reconnaissance des droits bafoués ou non encore reconnus ».
L’éducation à la démocratie désigne ainsi la possibilité pour l’individu d’entrer dans le dissensus par rapport aux normes de domination pour s’inscrire dans des luttes collectives sociales. Là encore, cela suppose que cette histoire des luttes sociales fasse l’objet d’un enseignement explicite à l’école par des enseignants conscients.
Conclusion :
Face à la montée des inégalités sociales et aux tentatives de récupération par le management néolibéral de la pédagogie nouvelle, il est sans doute nécessaire d’ensauvager l’éducation à la démocratie. La pédagogie ne peut se contenter de développer les capacités de coopération et de participation active des élèves. Il faut également qu’elle les dote de capacité de résistance critique en rendant possible le dissensus et légitime la désobéissance à la loi injuste.
Bibliographie :
Parmi les auteurs s’inscrivant dans le courant de la démocratie radicale, il est possible de citer :
Abensour Miguel, La démocratie contre l’État, Paris, PUF, 1997.
Laugier Sandra et Ogien Albert, Le principe démocratique, Paris, La Découverte, 2014.
Lefort Claude, L’invention de la démocratique, Paris, Fayard, 1981.
Rancière Jacques, La mesentente, Paris, Galilée, 1995.
Ensauvager l’enseignement de la démocratie à l’école
Bonjour !
Je vous propose ci-dessous mon blog d’éditos humanistes dans lequel je tente modestement de défendre des valeurs fondamentales en m’appuyant sur des sujets d’actualité et aussi sur mon expérience de Responsable-bénévole dans l’humanitaire depuis bien des années et ceci dans 4 associations successives. Ces textes sont librement utilisables pour réfléchir sur des enjeux de société pour amener plus de justice, de paix et d’égalité entre les hommes. Je ne prétends surtout pas détenir la vérité absolue, mais ces éditos sont écrits surtout pour faire réfléchir et débattre avec les adultes et surtout la jeune génération.
Depuis quelques mois, je vais dans des établissements scolaires rencontrer des élèves pour leur parler de sujets que je connais : pauvreté en France, situation des enfants du Sénégal ou encore respect des différences. Utilisant la vidéo et je jeu de rôles en classe comme supports, j’enclenche surtout le débat avec les élèves pour leur donner la parole, ils ont tellement de choses intéressantes à dire et se sentent concernés par le monde qui les entoure, j’en apprends beaucoup de leur part !
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Autrement, je vous donne aussi l’adresse de notre association festive et humanitaire que l’on a créée en 2010 sur notre commune de Monterblanc et qui tend à mobiliser le maximum de forces vives, dont des enfants et des jeunes, autour d’un même projet pour créer un esprit de solidarité, de convivialité, notre monde en a tant besoin !
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