[*École – écologie : Un jardin solidaire*]
Entretien extrait du numéro 6 de N’autre école, été 2017.
Un livre * qui surprend : un sujet inédit (la construction pas à pas, durant cinq ans, de 2000 à 2005, d’un jardin pour tous dans un quartier populaire et un ton inhabituel (un engagement égalitaire et libertaire qui n’interdit pas de parler de ce qu’on évite dans la prose militante).
Rare aussi la posture du lecteur qui chronique ce livre : j’ai enseigné dans le collège proche de ce jardin, mes élèves m’y ont amené **, une sortie-enquête a eu lieu… une lecture informée et attentive.
Au final, pas seulement de l’intérêt mais du plaisir, car le propos est tonique, parsemé de réflexions, et l’éditeur a fait un effort, avec des illustrations de qualité (des dessins de plantes réalisés par l’auteur).
[*Entretien avec l’auteur*]
QUESTIONS DE CLASSE(S) – Vous parlez sans complaisance de deux « publics difficiles » : les rastas alcoolisés qui voulaient squatter le jardin et les « p’tits jeunes » restés longtemps défiants devant ce qui se déroule dans ce qu’ils considèrent plus ou moins comme leur territoire. Pourquoi évoquer ces à-côtés négatifs, si souvent gommés dans les témoignages militants ?
OLIVIER PINALIE – Parce qu’on a dû les traiter. Le groupe de Sénégalais, désagréables et ne vivant que pour leur petit groupe, il fallait bien les mettre dehors le soir. Les jeunes, c’est différent : la confiance s’est construite peu à peu ; ils ont constaté une présence et un travail quotidien, des gens impliqués, et on leur a proposé des sorties, par exemple au Jardin du roi à Versailles. L’histoire du banc de musculation est révélatrice : ce banc, l’un d’entre eux l’a volé, mais les autres lui ont fait comprendre que c’étaient à tous, et le banc est revenu. Leur faire une place, proposer des activités sans obligation et sur la base de la gratuité (goûter, cinéma) leur a permis d’évoluer. Du coup, s’il y a eu des déprédations, elles n’ont jamais été graves. La seule fois où un arbre a été abîmé, il y a eu une explication avec le jeune concerné.
QdC – Vous expliquez également que ce jardin représentait une sécurité, notamment pour les personnes psychiquement fragiles.
O. P. – Il y avait dans le quartier un accueil médico-psychologique. On a vu venir des gens qui le fréquentaient. Je me souviens de Bintou, dont le discours n’était pas forcément cohérent ni crédible, mais qui parlait. Et qui pouvait être seule, tranquille, quand elle le voulait. Je parle aussi dans le livre de Moktar, qui a également repris confiance en lui au jardin.
QdC – Ce jardin était donc un lieu prenant progressivement du sens pour les jeunes du quartier, pour d’autres habitants ou passants ?
O. P. – Oui, mais parce que c’était d’abord un jardin et que je n’ai jamais lâché cette ambition. Ce n’était pas un terrain d’aventures (il en existait un autre dans le quartier), ni une simple pelouse où se réunir, mais un vrai jardin, avec son histoire de terre à amener, de plantations à réaliser, d’eau à trouver pour l’arrosage. C’est aussi cette vocation soutenue qui en a fait un lieu où il n’y a jamais eu de dégâts importants, et qui a pris du sens pour tous.
Je précise : pour tous, et pas seulement pour moi. Au début, beaucoup le voyaient comme mon aventure individuelle, me soupçonnant même de chercher de petits profits personnels via les subventions. Peu à peu, quand ils ont vu la continuité de l’entreprise, et qu’ils ont constaté que l’argent reçu servait à tous (notamment aux activités citées plus haut, mais aussi aux plantes, à la terre), ils ont compris que les volontés individuelles (la mienne, celle de ceux qui m’ont rejoint comme régis, Cédric et d’autres) avaient une visée collective.
QdC – Quelle a été l’attitude des pouvoirs publics vis-à-vis du jardin solidaire ?
O. P. –totale hostilité de la part du maire d’arrondissement de l’époque, qui a appelé la police à plusieurs reprises, laquelle s’est livrée à des destructions. Les subventions ne sont venues que de la Fondation de France et du Fonds social européen, et la reconnaissance des Parcs et jardins de la ville (au niveau central) n’est venue que tardivement, contraignant la mairie du XXe à cesser les hostilités.
Mais nous avons eu droit aussi à d’autres opposants : associations locales jalouses, hostilité du monde scolaire…
QdC – Pouvez-vous préciser ce point, que je connais « de l’autre côté » ?
O. P. – Il y avait un projet (qui a finalement abouti et chassé définitivement le jardin) de gymnase scolaire, une initiative des parents d’élèves quand il n’y avait pas de terrain dans le quartier. Depuis, il y a eu un terrain en plein air. Et si un gymnase est utile pour les scolaires, il a le défaut de ne pas être ouvert librement : il faut être membre d’un club, on ne peut pas y venir jouer quand on veut ; le personnel municipal n’est pas toujours avenant…
QdC – Le livre évoque le soutien scolaire qui avait lieu dans le jardin ?
O. P. – C’était une des activités, d’autres que moi s’en sont occupés. Mais, encore une fois, comme le cinéma, les sorties ou la muscu pour les jeunes, ça venait en plus, ça venait soutenir l’ambition du jardin qui était d’abord de faire quel que chose de beau et hors du commun… quoique commun. ■ JPF
* Olivier Pinalie, Chronique d’un jardin solidaire : Une aventure humaine et botanique, éditions CNT-RP, 2016, 248p., 12 €.