Il y a cette situation. Elle est emblématique : d’autres communes procèdent ainsi. Il faut ajouter le cas des mineurs isolés, refusés par les autorités académiques. Et toutes les situations dont on n’a pas connaissance, car toutes ces victimes de l’injustice n’ont pas forcément l’occasion de rencontrer une directrice d’école aussi exemplaire que celle dont parle l’article de Libération ci-dessous, ou des collectifs engagés comme celui d’Intermèdes.
Essonne : «A la mairie, ils disent qu’on n’a pas le droit d’aller à l’école»
Par Marie Piquemal et Corentin Fohlen, Divergence — 4 octobre 2018
Makanda et son plus jeune fils dans les locaux de l’association Intermèdes Robinson. Photo Corentin Fohlen pour Libération
A Chilly-Mazarin, dans l’Essonne, des enfants hébergés par le Samu social se sont vu refuser une inscription dans les établissements de la ville. Depuis la rentrée, les familles se battent pour leur scolarisation.
• Essonne : «A la mairie, ils disent qu’on n’a pas le droit d’aller à l’école»
Il a retrouvé de l’assurance. «En France, les enfants vont à l’école. Chilly-Mazarin, c’est la France ou c’est pas la France ?» Joseph, 45 ans, se tient droit, les bras croisés. Il a fui son pays – il était membre actif de l’opposition politique en république démocratique du Congo et électricien de métier. Demandeur d’asile, il est logé dans une chambre d’hôtel prise en charge par le Samu social dans l’Essonne, à Chilly-Mazarin. Il dort avec ses trois enfants : Herik, 10 ans, Souverain, 9 ans et Angélique, 7 ans. «Je suis papa et maman à la fois», résume-t-il.
Cet été, il se rend à la mairie avec son attestation de logement pour inscrire ses enfants à l’école. Et s’entend répondre : «Il n’y a pas de place pour les enfants de l’hôtel ici, on va transmettre votre dossier. Une école d’une ville voisine vous recontactera.» Les semaines passent. «Les baskets, le cartable, j’ai tout acheté comme il faut.» La rentrée des classes arrive, mais toujours pas de réponse. Douze millions d’élèves reprennent le chemin de l’école, eux passent leurs journées à l’hôtel, trépignent et questionnent. «Tous les jours, ils me demandaient. Ils me lâchaient pas. “Pourquoi on n’y va pas ? Pourquoi papa ?”» Le père ne répond pas. «Pour leur dire quoi ? Qu’on ne veut pas d’eux parce qu’on vit ici, à l’hôtel ? Ce n’est pas intéressant de leur dire.» Il retourne faire la queue à la mairie. «Votre dossier est toujours en attente. Patientez.»
L’hôtel le Parthenon de Chilly-Mazarin, hébergeant exclusivement des familles prises en charge par le Samu social.
Dans la chambre voisine, Makanda est aussi dans la panade avec son fils Patrice, 7 ans, qui tourne en rond. Elle avait quand même réussi par avoir le nom d’une école à Ballainvilliers, à «55 minutes de bus». Quand elle arrive dans le bureau de la directrice pour son inscription, celle-ci demande : «Mais comment vous allez faire pour l’amener et le chercher, avec tout ce trajet ?» Makanda raconte cela, assise sur le lit superposé de l’hôtel, son bébé de 5 mois assoupi à ses côtés. Elle fait non de la tête. «Tout cette route, avec le bébé. En hiver, c’est sûr, je vais pas tenir.»
Bras de fer
Laurent Ott, d’Intermèdes Robinson, une association qui aide les personnes en grande difficulté, enrage : «A Chilly-Mazarin, on a malheureusement l’habitude. Chaque année, on doit se battre pour que les enfants soient inscrits à l’école, la mairie invente tout un tas de choses pour les en empêcher.» Comme la cantine, facturée au tarif extérieur, parce que «résident à l’hôtel» ne veut pas dire «domicilié» à Chilly-Mazarin. Pour ces familles, sans le sou par définition, le repas du midi est facturé 7 euros par enfant (c’est 5,80 euros fourchette haute pour les Chiroquois). Le maire LR, Jean-Paul Beneytou, justifie : «C’est comme ça depuis toujours pour tous les enfants venant de l’extérieur de la ville. Pourquoi leur appliquerait-on une règle différente ? Il n’y a pas de raison. De toute façon, très peu d’entre eux mangent à la cantine.» Le plus souvent, les parents viennent en effet les chercher le temps du repas, et les font manger comme ils peuvent, les hôtels étant rarement équipés de cuisine.
Autre coup classique, selon l’association : les refus de scolarisation en maternelle, au motif que l’école n’est obligatoire qu’à partir de 6 ans. «A chaque fois, on se bat. Parfois, il faut en appeler au Défenseur des droits. Il faut recommencer sans cesse», témoigne Béatrice Michel, membre de l’association.
Cette rentrée, le bras de fer a pris une autre tournure. Au printemps, le maire de Chilly-Mazarin a alerté la préfecture. «Nos écoles sont saturées, nous n’avons déjà quasi plus de place pour les enfants des Chiroquois. C’est bien de vouloir accueillir tous ces gens en difficulté mais les villes se retrouvent à gérer seules. Cette situation, on ne l’a pas voulue.» L’édile explique qu’au début de son mandat, en 2014, il y avait trois enfants scolarisés venant des hôtels. «Puis les demandes n’ont cessé d’augmenter, on s’est retrouvé avec 37 enfants, vous imaginez ?» Il marque un temps, puis ajoute : «C’est facile de montrer du doigt en disant “le vilain maire”. Mais l’Etat devrait aller au bout de sa démarche.» A l’issue d’une réunion tripartite (académie, préfecture, mairie), il est décidé de «répartir les enfants» dans les communes voisines, sans que la question de la prise en charge des tickets de transport ou des frais de cantine ne semble avoir été évoquée. En fin de semaine dernière, 16 dossiers (donc 16 enfants) étaient toujours en attente. Sans proposition de scolarisation donc, reconnaissait la mairie. «C’est une façon de décourager les familles, comment voulez-vous qu’ils fassent ?» s’indigne Laurent Ott.
«Histoires d’adultes»
Encouragés par l’association et ragaillardis, Joseph et Makanda tentent un coup. C’était il y a quinze jours. Un matin, ils déposent leurs enfants devant les grilles de l’école Pasteur à Chilly-Mazarin, près de leur hôtel. «Ils étaient là, avec leurs cartables, prêts à apprendre. Ils ont bien parlé à la directrice», raconte Joseph, esquissant un sourire de fierté. La directrice : «J’ai fait ce que je devais faire. J’ai procédé à l’admission provisoire, je les ai répartis dans les classes. Puis j’ai prévenu la hiérarchie, ainsi que la mairie.» La suite de l’histoire est à peine croyable. L’inspectrice a déboulé dans l’école «demandant de lui montrer les enfants du doigt. J’ai évidemment refusé, ils n’ont pas à être mêlés à ces histoires d’adultes», confiait-elle un peu sonnée au lendemain de l’affaire, et insistant pour que l’on précise qu’elle a de très bons rapports avec la direction académique de l’Essonne. «Elle m’a demandé de faire une information préoccupante [procédure pour les enfants en danger, ndlr] et d’appeler le commissariat afin que la police vienne sortir les enfants de l’école. J’ai refusé.»
Sollicité à plusieurs reprises, le rectorat apporte, mardi, quelques précisions, par communiqué : «Selon notre conseil, l’inspection s’est rendue dans l’école pour tenter de connaître l’identité des responsables légaux et de les contacter.» Joseph raconte avoir été reçu par l’inspectrice. «Elle m’a dit avoir trouvé une école pour eux à Massy [une ville voisine]. Qu’ils ne pouvaient pas rester là, car c’était la loi à Chilly-Mazarin. Comment payer les cartes de transport ? Pas de réponse.»
Moquette et dorures
En attendant, ses enfants et le fils de la voisine continuent d’aller à l’école Pasteur. On les rencontre dans leur chambre, à l’hôtel, le 26 septembre. Le bâtiment, avec ses colonnes grecques, a un drôle de look. Il est situé à la sortie de la ville, sur le parking de deux boîtes de nuit. A l’intérieur, moquette bleue à fleurs et dorures sur les rampes d’escalier. Herik, le fils aîné de Joseph, dit qu’ici, c’est «un palace». Il n’y a que des familles hébergées par le 115 dans cet hôtel d’une centaine de chambres. Cet après-midi, Intermèdes Robinson toque à toutes les portes, un atelier jeux est organisé au rez-de-chaussée. Des enfants sortent de toutes les chambres, joyeusement. Combien sont-ils à aller à l’école ? Difficile de savoir. «Quand tu demandes aux parents, souvent ils répondent que oui, pour ne pas perdre la face, explique Abdelnasser Pochet, éducateur spécialisé dans l’association depuis dix ans. Souvent, ils vont dans des écoles loin d’ici. Les parents tiennent bon, puis finissent par abandonner. Parfois aussi, ils demandent aux grands de garder les petits pendant qu’ils font des petits boulots. Le problème de la non-scolarisation est beaucoup plus étendu que ce qu’on imagine et que l’on veut bien voir.» Le 17 septembre, dans les colonnes de Libération, un collectif d’associations en appelait solennellement au président de la République pour «combler le fossé entre les textes [qui garantissent le droit à la scolarisation de tout enfant] et leur application effective». Il demandait la mise en place d’un observatoire pour «mettre des chiffres et des visages sur cette réalité méconnue».
Dans la salle de jeux éphémère, Herik parle de son maître génial qui fait des blagues du type : «Ça va, beau gosse ?» L’enfant s’esclaffe. Il veut être footballeur professionnel, «c’est pour ça que je dois absolument aller à l’école». Pour info, son frère Souverain, plus intimidé, sera aussi footballeur. Et Angélique, danseuse. Elle nous regarde dans les yeux et sans sourire : «A la mairie, ils disent qu’on n’a pas le droit d’aller à l’école parce qu’on vient de l’hôtel. Mais tous les enfants doivent y aller, pas vrai papa ?» Un peu plus tôt, leur père avait fait sonner son téléphone, pour qu’on écoute sa nouvelle sonnerie : «Papa, je t’aime. T’es le meilleur papa du monde.» Un enregistrement de la petite fait au pied levé, le soir de la première journée de classe.