Presque vingt ans après la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la question de la scolarisation des élèves handicapé·es revient sur le devant de la scène éducative. Mais cette fois, ce n’est pas pour la revendiquer ou la défendre. C’est pour la présenter comme une difficulté ingérable, voire un danger pour la santé des personnels et/ou des jeunes. Une organisation syndicale a même appelé à une manifestation nationale, le 25 janvier 2024, pour dire « Non à une inclusion systématique et forcée ».
Dès le début de l’année 2023, le collectif Questions de classe(s) avait décidé de travailler sur ce dossier, sentant une véritable crispation et un risque de retour en arrière sur l’idée non pas seulement d’inclusion, mais d’école accessible à tou·tes les jeunes, quelles que soient leurs origines, leurs difficultés ou leur santé.
On voudrait saboter l’école,
on ne ferait pas autrement !
De fait, si l’on reprend la politique menée depuis 2005, force est de constater que, au fil des gouvernements, les moyens de l’inclusion n’ont jamais été donnés. La capacité même de l’école à accompagner tou·tes les élèves a été sans cesse diminuée et saccagée : effectifs de classes qui explosent ; recrutement insuffisant ; statut des AESH toujours aussi précaire et scandaleux ; formation indigente aux problématiques du handicap, de la différenciation, de l’accueil des allophones ; démarches administratives incompréhensibles et décourageantes pour les familles, pratiques pédagogiques dominantes peu compatibles avec l’idée d’école accessible à tou·tes, etc.
On voudrait saboter l’école, on ne ferait pas autrement !
S’ensuivent alors, inévitablement, les difficultés à enseigner ou à apprendre ; les incidents en classe pour des élèves mis·es en souffrance continuelle par l’institution ; les violences ; les accidents de service et arrêts de travail lorsque la distorsion éthique devient insupportable, entre les missions d’un service public d’éducation qui devrait être égalitaire et émancipateur et les conditions réelles de travail.
Et tout cela s’accompagne, nous le déplorons, de la montée d’un discours de rejet des enfants différent·es, sous le prétexte que nous n’arrivons pas à les accueillir. Cette politique bien orchestrée de coupes budgétaires conduit les personnels de l’éducation à se replier vers le vœu d’une école qui serait plus « homogène » et donc « plus facile à gérer ». Une homogénéisation réclamée aujourd’hui avec moins d’élèves handicapé·es, demain avec moins de racisé·es ? L’appel du 25 janvier 2024 constitue une autre étape dans ce retour en arrière vers l’école excluante et élitiste de Jules Ferry.
Le risque de la stigmatisation et de l’exclusion
Dans ce dossier, nous ne proposons pas une réponse de rejet ou d’exclusion. Pas plus que nous ne défendons l’école inclusive telle qu’elle fonctionne aujourd’hui.
Les différents textes visent à nourrir la critique de l’école et la transformation nécessaire de l’institution : la question est éminemment politique, mais elle est également humaine. De fait, ces contributions rappellent également que la transformation de l’école ne doit pas être un préalable à la scolarisation de tou·tes les enfants. Elles reposent cette exigence avec laquelle il n’est pas possible de transiger : l’école doit être et rester accessible à tou·tes les jeunes. Tou·tes ont leur place à l’école et doivent pouvoir bénéficier d’enseignements de qualité et d’une formation diplômante reconnue.
Si la souffrance des personnels et des élèves mal accompagné·es est réelle et ne doit en aucun cas être passée sous silence ni amoindrie, nous nous inquiétons que cela puisse conduire à poser la scolarisation des élèves handicapé·es comme un problème. Nous craignons que ne s’instaure une politique du bouc émissaire accablant une partie des enfants : aujourd’hui, si l’école va mal, ce serait la faute des handicapé·es, demain, ce sera la faute des élèves allophones et étrangèr·es, ensuite les élèves pauvres, et au final, à quelle école en arriverait-on ?
Construire l’école pour toutes et pour tous, collectivement
Professionnel·les de l’éducation, du champ médico-social, familles, jeunes, nous avons tou·tes à prendre le chemin de la conscientisation et à remettre en question nos postures, afin d’être de véritables allié·es, capables de réfléchir non plus de notre seul point de vue, mais aussi et surtout du point de vue des concerné·es par le handicap : les jeunes, les adultes passé·es par l’école ou par les institutions dont nombre de collectifs dénoncent les violences et réclament la fermeture. ■
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En librairie début mars.
“Inclure ? Exclure ? Pour une école accessible à toutes et tous”, N’Autre école n° 22, printemps 2024, 116 pages, 10 € en librairie.
Inclure n’a pas une signification univoque. Les controverses sur le sujet, se règlent trop souvent à coup d’idéologie et de bien pensance. Bien sûr, il faut réclamer des moyens et des personnels formés. Mais les handicaps ne sont pas tous de même nature et n’ont pas des effets identiques sur la socialisation des enfants. Il serait intéressant d’introduire des différences en fonction de la nature du problème. Un exemple : l’autisme est un spectre dont les symptômes sont tellement différents qu’il est possible de s’interroger sur la valeur de la catégorie nosographique. Une approche différenciée devrait s’imposer : l’inclusion doit pouvoir prendre différentes formes que les équipes éducatives sont capables d’imaginer en fonction des situations réelles. Ce devrait être une part importante du projet d’école et entraîner des attributions de moyens en accord.
L’école est à l’image de la société française où le rejet de la différence devient une sorte de norme qui se manifeste de plusieurs façons. Le harcèlement en est une des manifestations. Si l’on veut que l’école intègre mieux tous les élèves, il faut aussi repenser la vie scolaire et le rapport avec les familles. L’inclusion a un coût psychologique et social, pas seulement économique.