C’est dit, le nouveau ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer veut « changer la vie de famille ». Pour cela, il a décidé de lancer dès la rentrée le dispositif « devoirs faits » : à l’école comme au collège, les devoirs devront « pouvoir être faits au sein de l’établissement grâce à un temps d’étude accompagnée » et les élèves rentreront alors chez eux « devoirs faits ». Le programme électoral d’En marche ! prévoyait déjà : « Nous proposerons à tous un accompagnement après la classe. Au collège, nous rétablirons les études dirigées après la classe grâce à des bénévoles (étudiants et retraités) ».
On voit mal comment cette mesure, qui devrait nécessiter des recrutements importants et des conventions avec les collectivités locales, pourra être mise en œuvre d’ici seulement trois mois. Il est vrai que le ministre lui-même ne promet pour la rentrée que « de premières applications ». On se souvient que, comme Claude Lelièvre le rappelait récemment sur son blog, déjà en 2007 le projet législatif pour l’éducation de l’UMP prévoyait d’« Organiser des études dirigées dans tous les établissements après 16 h 30 pour les familles qui le souhaitent », mais que ce projet s’était réduit à la rentrée à un « accompagnement éducatif » dans les écoles et collèges de l’éducation prioritaire …
Mais ce dispositif « devoirs faits » pose aussi, et surtout, plusieurs questions de fond pour qui cherche à changer l’école avec une visée émancipatrice.
Un premier élément apparaît d’emblée. A l’école primaire, la doctrine voulait jusqu’ici (et depuis 1956 !) que les devoirs -« travail, exercice d’écolier qui se fait par écrit et en dehors des cours » (Larousse)- soient exclus en dehors de la classe. C’est ce que stipule le site même du ministère (http://www.education.gouv.fr/cid50506/les-parents-a-l-ecole.html#Devoirs à la maison) : « À la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre ». C’est ce que rappelle également le site de l’administration service-public.fr (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F21842) : un professeur « doit éviter de donner à faire à ses élèves un travail écrit à la maison ». Le ministre Blanquer, dans un entretien au Point du 28 mai, prend le contrepied de cette doctrine : après avoir trouvé « stérile » la « querelle » entre « ceux qui affirment que les devoirs sont indispensables à une qualité de l’apprentissage et ceux qui y voient un risque d’accroissement des inégalités sociales », il tranche : « Ça signifie que des devoirs, il y en a, mais qu’ils ne sont pas faits pour être faits à la maison mais plutôt dans l’établissement ». (1)
On pourra certes dire que dans les faits nombre de professeurs des écoles donnent déjà des devoirs à faire à la maison ; mais aujourd’hui c’est d’un renversement de perspective qu’il s’agit, qui fait une règle de ce qui était au moins déconseillé. Et ce changement est plus profond qu’on peut le penser à première vue. Un exercice écrit fait en classe rend possibles un travail collectif, une réalisation progressive, et le cas échéant une évaluation formative. Un devoir fait en dehors de la classe renvoie à un travail individuel, une réalisation globale et une évaluation sommative. Et tout ça en primaire, pas en terminale… Le ministre confirme lui-même cette vision des choses en expliquant qu’« Il est important que chaque enfant puisse travailler individuellement, au calme, pour faire des exercices, répéter ses leçons ou exercer sa mémoire et son sens de l’analyse ». C’est un écho direct des propos du candidat Macron préconisant, pour donner « les mêmes chances pour tous nos enfants », de mettre en œuvre « une individualisation des apprentissages, dès la maternelle ».
Ensuite, la mise en place de ce « temps d’étude accompagnée », à destination d’enfants peu favorisés socialement et/ou scolairement (puisque ce sont celles et ceux qui ne peuvent pas trouver à la maison un « accompagnement » ou une aide), aura comme conséquence un allongement du temps de présence dans l’école. Le ministre précise : « on va s’adapter à chaque cas, par exemple au collège cela peut prendre la forme d’études dirigées de 16 h à 18 h le soir dans tous les collèges ». C’est ce qui conduit par exemple la présidente de la FCPE à déclarer « Que les devoirs soient faits pendant le temps scolaire, c’est très bien, mais notre inquiétude porte sur l’organisation de la journée qui est déjà trop longue. » Quel-le-s sont en outre les élèves qui seront « volontaires » pour allonger de deux heures leur « enfermement » dans l’école -inchangée- pour faire des devoirs, sinon celles et ceux qui ont -ou dont au moins les parents ont- déjà intégré un habitus scolaire ? C’est toute la question des rythmes scolaires et du rôle attribué à l’école qui est ici posée, ou plutôt occultée.
Enfin, on ne peut qu’être inquiet de la qualification et des conditions de travail des personnels qui assureront ces « études accompagnées », comme le vice-président de la FCPE conduit à espérer que les devoirs seront encadrés par des enseignant-e-s et non par « des étudiants, des retraités ou des volontaires ». Or c’est précisément cela qu’annonçait déjà le programme électoral d’En marche ! : « Au collège, nous rétablirons les études dirigées après la classe grâce à des bénévoles (étudiants et retraités) ». Déjà actuellement, un quart des personnels assurant l’« accompagnement éducatif » ne sont pas enseignant-e-s. Et lorsque des enseignant-e-s seront nécessaires, on ne court pas beaucoup de risque à penser que le recours, pour le ministère, consistera en heures supplémentaires ou en contractuels, et non en recrutement massif de titulaires…
En définitive, la question n’est pas « devoirs ou pas devoirs », mais quelle école voulons-nous ? Une école de devoirs ou d’exercices ? de l’individuel ou du collectif ? de la docilité ou de l’activité ? de bénévoles ou de personnels formés et qualifiés ? Ce sont bien deux conceptions de l’éducation qui s’opposent ici.
(1) : le ministre ne précise pas ce qu’il entend par « devoirs ». Mais le choix même du terme, l’emploi de l’expression « faire ses devoirs » et plus loin « faire des exercices » renvoient clairement à des travaux écrits, ou au moins les incluent.
“Devoirs faits” ?
On sait depuis très longtemps que le travail donné à la maison constitue une source d’inégalité car il existe globalement trois catégories de parents : ceux qui savent décodent les attentes des enseignants, ceux qui suivent leurs enfants mais qui restent sur les demandes explicites et ceux qui ne peuvent pas les suivre pour des raisons diverses. Par exemple lorsqu’un enseignant du primaire donne des mots à copier, il n’attend pas seulement que les mots soient copiés correctement, mais aussi que leurs élèves soient capables de les orthographier, ce que ne comprennent pas les parents de la deuxième catégorie. Et au collège, bien peu nombreux sont les parents aptes à aider leurs enfants dans les demandes des professeurs.
Certes, maintenir les élèves en-dehors du temps scolaire pour faire leurs “devoirs” nécessite une organisation nouvelle, certes trouver des volontaires ne sera pas toujours simple, mais plutôt que de s’interroger d’abord sur toutes les difficultés que soulève ce projet, il convient de réaliser que notre système scolaire est un des plus inégalitaires par rapport aux pays de l’OCDE, et que tout ce qui pourra être mis en place ne pourra qu’améliorer ses résultats.
MV.
“Devoirs faits” ?
Bonjour,
je partage l’inquiétude sur les “reformes” scolaires de ce gouvernement.
Je m’étonne qu’il n’y ai pas encore eu d’articles retraçant l’histoire des mouvements d’éducation populaires ces 15 dernières années et la volonté des gouvernements successifs de les faire disparaître.
Depuis Chirac, les “une classe, un prof” qui a mit fin au détachement d’enseignants dans les associations complémentaires de l’éducation nationales, la loi sur la concurrence qui a contraint les municipalités, CAF et préfecture à ouvrir à la concurrence « quantitative » (budget moins disant) des projets « qualitatifs »(contenus éducatif mieux disant) , les financements non respectés par les gouvernements (engagement de financement tri-annuel cassé dès la 1ere année et revue à la baisse), ont fragilisés, détruits par endroits, les associations (CEMEA, Ligue, PEP, …) de terrains qui pratiquaient déjà l’aide scolaires après la classe en partenariat avec les écoles, les municipalités.
Le retour à cette fausse bonne idée alors que les associations laïcs ont été très affaiblis, donne une idée des “bénévoles” qui vont être très vite disponible sur le terrain, sûrement pas des laïcs.
De plus, là ou il y avait par le passé partenariat et engagement réciproque de qualité d’intervention, de financement, de formation et d’accompagnement, le gouvernement prévoit quoi ?
Un peu d’histoire et de mise en perspective me paraît urgente sur ces sujets de transformation profonde de notre société.
“Devoirs faits” ?
Vous n’avez jamais entendu parler du C.L.A.S ?http://observatoire-reussite-educative.fr/dispositifs/dossier-CLAS
Pas plus le ministre de l’éducation, apparemment.