Célestin Freinet apprécie les objectifs de formation du ministre Jean Zay : une introduction progressive des méthodes de l’École nouvelle. Il salue sa ténacité ministérielle face à la réaction, mais met en garde à propos de l’utilisation de ces nouveaux temps qui ne doivent pas se réduire à du bricolage, de l’occupationnel et être un vrai travail en lien avec le temps d’enseignement.
« Les activités dirigées », texte paru dans l’Educateur prolétarien en juin 1939
La question est à l’étude pour les Conférences d’automne dans la majeure partie des départements. En effet, le Ministre lui-même a fait connaître qu’il lui serait agréable de voir étudier, lors des prochaines conférences pédagogiques, les Activités Dirigées considérées comme une introduction progressive des méthodes de l’École nouvelle dans toutes les disciplines.
Considérons d’abord la formule : elle nous agrée totalement puisque nous avons, à maintes reprises et publiquement, félicité le Ministre d’avoir fait des Activités Dirigées comme un coin enfoncé en plein cœur « l’École traditionnelle et auquel il nous appartient de donner le maximum d’efficacité. Et c’est cette obstination hardie de marcher vers le progrès pédagogique que ne manquent pas de critiquer et d’attaquer tous les servants de la réaction. Ils reconnaissent d’ailleurs que l’école est dangereusement en retard sur son siècle, mais s’élèvent, par principe, contre tous essais de rénovation.
Un fait n’en doit pas moins être acquis pour nous ; et c’est celui dont nous avons montré bien souvent la nécessité : ou bien les Activités Dirigées seront conçues dans le sens nouveau que nous préconisons ; ou bien on constatera bien vite leur inutilité — ou même leur malfaisance et il suffira d’une campagne bien orchestrée pour en exiger la suppression – laquelle serait un recul grave de l’esprit progressiste qui se manifeste heureusement depuis quelques années.
Or pour aboutir, il faut en effet que les Activités Dirigées ne soient pas qu’un pur verbiage de l’École nouvelle, une recommandation généreuse dont nul ne peut, pratiquement, tirer profit. On ne détruit pas le passé par des règlements, mais par des constructions nouvelles plus harmonieuses, plus efficientes, mieux adaptées aux nécessités de l’heure.
« J’ai lu, j’ai écouté, j’ai voulu comprendre, écrit un professeur dans le journal d’instituteurs le plus violemment réactionnaire de France ; mais pourquoi faut-il qu’à chaque fois, j’ai été plus frappé de l’abondance des affirmations ou des négations péremptoires que de la simple existence de conseils nets et de directions fermes ? Est-ce effet de cette déformation professionnelle qui veut, en une telle matière, précision et efficacité, beaucoup plus que rêve ou ironie ?
Rien de bien fameux si on en juge par expérience directe. C’est ainsi que des confiances s’ébranlent, se désagrègent lentement, alors qu’on ne met rien à la place. On ruine sans aucun profit, sans la contre-partie nécessaire et apaisante. Or, cela, en tout pays comme en toute langue, c’est le propre même de toute œuvre de désorganisation, de démoralisation, voire même de toute pagaille… »
Voici maintenant, à l’intention des nombreux camarades qui ont à traiter ou à discuter de la question, le problème bien posé :
Les Activités Dirigées ne doivent pas être de paisibles et anodines heures de bricolage et de travail actif jetées en travers de l’horaire traditionnel comme les dix minutes de récréation, au milieu des trop longues heures de classe. Elles doivent être le premier essai d’adaptation — et à grande échelle, — des techniques d’intérêt et d’activité à l’École publique traditionnelle.
Nous n’avons cessé de dénoncer cette tendance scolastique qui consiste à appliquer passivement les Instructions ministérielles et à remplir les heures prévues par des activités quelconques, sans lien d’aucune sorte avec la vie ou les intérêts des enfants. Et les journaux pédagogiques n’ont, bien souvent, hélas ! fait que faciliter cette orientation facile, anodine et non compromettante. On baptisera ainsi Activité dirigée non seulement le simple travail du bois, le modelage de l’argile plastique, le pliage et le découpage de papiers, mais aussi les simples passe-temps que sont les mots croisés ou même… les jeux de cartes. Ceci pour le vulgaire, car les bricoleurs experts seuls pourront accéder à ces réalisations savantes qui ne sont pas d’ailleurs une nouveauté à l’école — et qui sont la menuiserie, la reliure, le modèle réduit ou le tissage semi-professionnel.
Nous voulons des activités scolaires vivantes, liées à l’intérêt et au devenir profond des enfants, beaucoup mieux qu’un jeu ou un passe-temps, mais du travail véritable, dont on sent le besoin, dont on voit l’utilité, auquel on se donne totalement et qui, par tous ces considérants, est puissamment générateur de dynamisme et de profit pédagogique. Nous ne sommes point contre les réalisations à éclat des as du bricolage auxquels nous rendons volontiers hommage, mais nous cherchons avant tout les activités courantes de la vie scolaire quotidienne qui peuvent animer toutes les écoles de France, quelles que soient les possibilités professionnelles et techniques des éducateurs.
Si les Activités dirigées sont ainsi liées à toute la vie scolaire, si elles en suivent les destinées, si elles s’incorporent vraiment dans notre pédagogie, il est impossible alors qu’on n’en reconnaisse pas les multiples avantages. L’expérience sera concluante. Les Activités dirigées, loin de disparaître, iront se développant et s’épanouissant pour animer de leur esprit nouveau, pratique et technologique, toute notre éducation publique.
Il faut que nos camarades insistent tout particulièrement sur ces points essentiels et que partout ils montrent le danger des Activités dirigées scolastiques, et la seule voie efficiente des Activités dirigées adaptées à nos écoles et liées à la vie.
Mais le professeur dont nous avons cité ci-dessus la critique, a bien raison de s’élever contre le verbiage d’éducation nouvelle qui se donne libre cours à l’occasion de cette Institution nouvelle. Et nous sommes persuadés que c’est là, effectivement, le deuxième grand danger qui menace les Activités dirigées.
On nous recommande les Activités dirigées ? Qu’à cela ne tienne… On prend les mêmes et on recommence…
On avait en stock un matériel qui s’écoulait difficilement avec l’ancienne formule scolaire ; on va le relancer par les Activités dirigées. Un livre qui ne se vendait pas : nous allons en recommander la lecture pour les Activités dirigées. Vous voulez une rubrique d’Activités dirigées dans telle revue : on va vous en donner… et pour tous les goûts : musique et théâtre, bois et lino, contes et poésies, promenades scolaires et visites d’usines, etc. Une abondance extraordinaire de possibilités s’ouvre devant nous. Mais quand on veut les atteindre, bernique î Nous nous trouvons dans la situation humiliante du petit affamé qui défile le soir de Noël devant les vitrines illuminées… Pour des raisons multiples nous ne pouvons et savons rien réaliser… Et nous maudissons alors ceux qui ont substitué à l’aide effective que nous attendions ce verbiage prometteur qui est trop souvent un regrettable mensonge.
Une seule organisation en France a vu l’action indispensable sous son vrai jour. Et cela n’est pas étonnant puisque sa raison d’être est de travailler justement, pour toutes les écoles, pour tous les éducateurs, à la mise au point du matériel et des techniques les mieux adaptées aux Activités dirigées.
Et les auteurs de cette mise au point ce sont les instituteurs eux-mêmes, directement intéressés à cette adaptation et qui, à plus d’un millier, collaborent au sein de la Coopérative de l’Enseignement Laïc.
Ici pas de verbiage prometteur : des réalisations. Et des réalisations nées de l’effort des éducateurs dans leurs classes, toutes possibles dans les écoles populaires.
Nous ne vous présentons pas une liste de plusieurs centaines d’Activités possibles. Mais nous vous disons : voilà des Activités expérimentées dans nos classes, qui partout ont enthousiasmé maîtres et enfants ; voici, sans tape à l’œil, un matériel pédagogique, vraiment pratique et que vous pouvez acquérir sans hésitation ; voilà des directives techniques précises, grâce auxquelles vous pouvez, dans tous les cas, pleinement réussir : imprimerie à l’École, journal scolaire, échanges interscolaires – contreplaqué, linoléum, clichés, dessin libre, découpage, décoration – Fichiers et Bibliothèque de travail – Sciences pratiques – Conférences – musique, chants et fêtes…, la liste en est déjà longue, on le voit. Elle est tout entière détaillée dans notre brochure Activités dirigées, 2e édition de notre brochure Loisirs Dirigés si vite épuisée.
Il faudra justement qu’en octobre, dans tous les centres, une petite exposition de nos réalisations persuade les éducateurs que nous ne nous sommes pas contentés de parler dans le vide, mais que nous avons construit patiemment, méthodiquement, pendant quinze ans, et que les Activités dirigées sont comme un légitime triomphe de nos efforts.
Nous demanderons à nos Délégués départementaux d’organiser méthodiquement l’information et la propagande à ce sujet dès maintenant et au moment des conférences pédagogiques. Aucun rapport ne devrait se faire sans que soient signalées les possibilités incontestables qu’offrent nos techniques ; des visites d’écoles pourraient avoir lieu, des démonstrations et des expositions roulantes pourraient être prévues dans chaque département.
Ce faisant, nous servons notre C.E.L. ; nous servons notre idéal de libération, mais nous nous servons nous-mêmes et nous contribuerons à rendre indestructible cette institution des Activités dirigées, première étape vers l’amélioration technique et l’adaptation permanente aux nécessités de l’heure de notre école publique.