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Brésil – Quand l’extrême droite fait école

L’extrême droite ne se décline pas seulement au passé, elle connaît aujourd’hui une nouvelle dynamique à l’échelle planétaire. Depuis 2018, elle s’est incarnée au Brésil dans la figure du président Jair Bolsonaro qui, pour une grande partie, doit son accession au pouvoir à sa campagne contre « le socialisme scolaire » et l’enseignement de « l’idéologie du genre ».

“Nous sommes ici car l’éducation est le pire ennemi de Bolsonaro”

Une manifestante étudiante, le 18 octobre 2022

Avec son slogan « Mathématiques, sciences et portugais, oui. Endoctrinement et sexualisation précoce, non », il a su rallier à lui le très influent mouvement de L’École sans parti. Fondée en 2004 et présentée comme une « initiative conjointe d’élèves et de parents préoccupés par le degré de contamination politico-idéologique des écoles brésiliennes », cette organisation s’est spécialisée dans la délation des enseignant·es « déviant·es ». L’une de ses cibles privilégiées est le pédagogue brésilien Paulo Freire, aujourd’hui disparu, dont Bolsanora promettait de passer les ouvrages au « lance-flammes ». L’auteur de Pédagogie des opprimés est ainsi devenu le symbole honni d’une éducation émancipatrice et égalitaire, incompatible avec les valeurs réactionnaires du bolsonarisme. Rebaptisé par ses adversaires « l’École du parti unique », le mouvement se bat également pour réhabiliter la dictature militaire de 1964.

Sitôt élu, le nouveau président s’est empressé de transformer ce combat en idéologie d’État avec sa loi « Escola sem Partido ». Rebaptisé « Leis da mordaça » (« loi du bâillon ») par l’opposition, le texte interdisant aux enseignant·es d’aborder de quelque manière que ce soit « le genre et la sexualité » est finalement déclaré inconstitutionnel. En réponse, Bolsonaro lance un programme de militarisation de l’éducation : 203 écoles ont ainsi été créées afin « d’éduquer » 500 000 jeunes, prioritairement dans les régions les plus pauvres. Dans ces établissements « civico-militaires », qui ressemblent davantage à des commissariats qu’à des écoles, il s’agit, dès la crèche, de faire régner une discipline de fer… Des « agents » ont ainsi la possibilité d’intervenir directement en classe pour y rétablir l’ordre, ce qu’ils ne se privent pas de faire, très régulièrement et très brutalement… Pour Ricardo Vélez Rodríguez, ministre de l’Éducation, « il faut nettoyer tout le déchet marxiste qui s’est emparé des propositions éducatives de nombreux fonctionnaires installés dans le ministère de l’Éducation. […] Ils [les Instituts militaires] sont excellents parce qu’on y trouve du patriotisme, parce qu’on y fait ce qu’on a cessé depuis longtemps de faire dans de nombreuses institutions publiques d’enseignement : il y a de l’étude, de la discipline, de la valorisation des enseignants et de l’amour pour le Brésil ».

Ce modèle autoritaire et cette guerre culturelle avancent au rythme de l’agenda néolibéral du pouvoir. Le budget de l’Éducation a baissé de 17 % en 2020. Accusées de « semer le désordre », celui des trois des plus importantes universités du pays a été réduit de 30 % afin de lutter contre « l’infiltration marxiste » dans les filières de philosophie, sciences sociales et littérature mais aussi de médecine. Parallèlement, l’investissement privé est fortement encouragé dans les formations qui génèrent « un retour immédiat au contribuable ».

Pour enrayer toute contestation, le pouvoir s’attaque directement à ses opposant·es. Ainsi, en 2019, 320 fonctionnaires brésilien·nes ont été licenciés du fait de leur orientation politique. Les nominations, en particulier à l’Université, sont soumises à des enquêtes de moralité et l’appartenance à un parti de gauche, un syndicat ou le choix d’un sujet de recherche jugé subversif garantissent une mise à l’écart.

Militarisation et privatisation de l’enseignement, maccarthysme pédagogique, criminalisation des enseignant·es… pour reprendre la formule du professeur Luis Felipe Miguel, « une école “sans parti” est une école qui prend le parti de l’injustice et de l’oppression ».

G. C.

Illustration : article de l’Humanité, 5 septembre 2022

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