La publication du dernier rapport PIRLS sur « la compréhension de l’écrit des élèves de CM1 » vaut moins par les informations fournies que par l’ahurissant spectacle donné dans sa conférence de presse par Blanquer, qui aura réussi, comme à son habitude, à détourner l’attention de l’opinion publique pour tenter de faire passer en en force les conceptions réactionnaires qui lui sont chères.
Finalement, à bien y regarder, la publication du dernier rapport PIRLS sur « la compréhension de l’écrit des élèves de CM1 » vaut moins par les informations fournies – pas franchement nouvelles – que par l’ahurissant et indécent spectacle donné dans sa conférence de presse par Blanquer, qui aura réussi, comme à son habitude, en prenant prétexte d’une enquête dont on peine à croire qu’il l’ait lue, à détourner l’attention de l’opinion publique pour tenter de faire passer en force les conceptions réactionnaires qui lui sont chères.
Contrairement à ce qui a été repris et répété par des médias toujours aussi peu regardants sur l’information fournie, l’enquête en question ne dit pas que les écoliers de 9-10 ans ne savent pas lire – la question n’est donc pas celle des sempiternelles « méthodes de lecture » – mais qu’un certain nombre d’entre eux, nettement plus nombreux que leurs voisins européens, ont des difficultés à comprendre ce qu’ils lisent (c’est d’ailleurs l’intitulé de l’enquête), à interpréter, à argumenter. Or, cet élément essentiel a complètement été occulté par un ministre qui a préféré asséner ses contre-vérités pour imposer, comme allant de soi, des mesures qui n’ont pas grand-chose à voir avec les difficultés réelles des écoliers.
Bien sûr, parmi les annonces emblématiques, celle de la dictée quotidienne n’a pas manqué d’assurer le succès du ministre auprès des chaînes de télé et des habitués du Café du commerce. Déjà annoncée par NVB en 2015 – et sans doute par la plupart des ministres de l’EN, tant l’effet est garanti – l’obligation d’un exercice quotidien, outre qu’il va à l’encontre de la liberté pédagogique reconnue par la loi, reste par principe une simple activité d’évaluation sans effet sur la compréhension en lecture qui relève d’autres démarches.
Plus grave, alors que – comme le rappelle d’ailleurs l’enquête – l’école française est celle qui consacre le plus de temps à l’apprentissage du langage (330 heures contre une moyenne de 236 heures dans les autres pays européens), Blanquer annonce qu’on en fera encore davantage, en utilisant l’heure hebdomadaire normalement dévolue aux activités pédagogiques complémentaires (APC) pour des exercices de français. Hors du bachotage point de salut : on voudrait dégoûter les élèves, bons et moins bons, de la lecture, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Dans un même ordre d’idées, le ministre prévoit la multiplication des évaluations (au milieu de l’année de CP, en début de CE1), mesure dont l’objectif de moins en moins dissimulé est d’imposer aux enseignants des méthodes officielles. Avec en embuscade, cette lourde dérive : « des recommandations du Conseil scientifique (i.e. son ami Dehaene) pour aider les professeurs à bien choisir leurs manuels. » Au rebours de la longue tradition du libre choix des manuels par les enseignants, Blanquer s’engage ici lourdement dans la voix du manuel officiel, sorti directement des bureaux du ministre. Les nombreuses « recommandations » prévues par le ministre vont d’ailleurs dans ce sens : surveiller, régenter, contraindre les enseignants à se plier aux vues de l’administration. Un autoritarisme qui confirme d’ailleurs la curieuse conception que Blanquer se fait de l’autonomie des établissements.
Enfin, pour charger la barque, Blanquer profite de ce rapport relatif aux élèves de CM1 pour mettre un peu plus à mal la politique des cycles prévus par la loi d’orientation de 2013 et reprendre la main sur les programmes du collège qui n’ont pourtant qu’une année d’application. Aucun rapport avec l’enquête PIRLS sur le CM1, dira-t-on ? Pas pour Blanquer…
Dans le cadre de cette communication surréaliste, complètement déconnectée de son objet affiché, on ne trouvera évidemment rien sur les sujets qui fâchent, à commencer par le fait que les élèves évalués par PIRLS ont fait leurs apprentissages à partir des programmes 2008 (Darcos), dont le côté lourd et indigeste, le parfum réactionnaire (privilégiant la grammaire et l’orthographe au détriment de la lecture), avaient été relevés à l’époque. Ou encore que cette période fut gravement perturbée par la quasi-suppression de la formation des enseignants mise en œuvre par le Dgesco de l’époque, J.-M. Blanquer. Le même qui, aujourd’hui ministre, n’a toujours rien de sérieux à proposer sur une question qui ne l’intéresse pas, méprisant comme rarement pour le « pédagogisme ». Pas un mot non plus sur le défaut d’origine du système scolaire français qui ne permet pas aux élèves des milieux les plus modestes de réussir à l’école. La dictée quotidienne devrait y remédier…
Dogmatique, autoritaire et incompétent : l’image que Blanquer donne de lui-même se confirme chaque jour puisque chaque jour est l’occasion d’une nouvelle annonce. En détournant les conclusions d’un enquête officielle, en instrumentalisant l’échec scolaire dans le sens qui l’arrange, le ministre ouvre toutes grandes les portes au lobby réactionnaire dont il apparaît comme l’homme providentiel.
Blanquer et l’apprentissage de la lecture : comment instrumentaliser l’échec scolaire
Et les EPI et la désastreuse réforme du collège c’était pas à l’encontre de la liberté pédagogique ?
Blanquer et l’apprentissage de la lecture : comment instrumentaliser l’échec scolaire
A ma connaissance, l’EN s’est toujours méfiée de la liberté pédagogique, utilisant ce concept – flou au demeurant – dans le sens qui l’arrange. S’appuyant sur deux siècles de centralisation administrative, elle entretient une méfiance viscérale, systémique, pour les acteurs du terrain, le plus souvent réduits au rang de simples exécutants (ce qui, il faut le reconnaître, ne déplait pas forcément à tous).
Mais avec Blanquer, on voit bien que c’est quelque chose de nouveau qui se met en place : l’annonce de manuels « conseillés » (bientôt officiels ?), la multiplication des évaluations centralisées, normatives, les neurosciences comme credo – c’est-à-dire indiscutables -, le renforcement de l’autorité des chefs d’établissement sur les personnels (ce que Blanquer appelle, curieusement, l’ « autonomie »), les liens étroits entre le ministre et la mouvance réactionnaire (par ex. la présence de Kerrero à son cabinet), le dogmatisme du ministre, tout indique la volonté d’un contrôle accru de l’administration sur la marche du système, d’une surveillance étroite des profs.
L’infantilisation des profs n’est certes pas une chose nouvelle mais dans cette voie, Blanquer semble ne pas se donner de limites.
Compréhension de lecture et expression écrite oubliées
C’est bien de la compréhension de lecture et de la traduction écrite de la pensée qu’il faut se préoccuper, au point qu’elle en devienne son expression (d’ailleurs ça s’appelait expression écrite). Je ne suis pas contre la dictée, l’auto dictée de préférence, mais son caractère préconisé systématique ne rendra service qu’au respect des règles d’orthographe et de grammaire et d’orthographe des mots (dont le sens, (la compréhension donc) relève lui du vocabulaire). Sur cette pente, dans peu de temps nous reviendrons au bon vieux BLED.
Blanquer et l’apprentissage de la lecture : comment instrumentaliser l’échec scolaire
C’est intéressant de constater que le problème ne serait pas le niveau de la compréhension en lecture des élèves – si l’enquête démontre scientifiquement sa faiblesse – mais la conférence de Blanquer ! N’importe quel enseignant – dont je suis – ne sera pas étonné d’apprendre les résultats de l’enquête parce qu’il les connaît déjà pour les observer quotidiennement. Par rapport à cela, il y a deux solutions : défendre coûte que coûte tous les sabotages successifs des gouvernements en s’appuyant sur les discours politiquement corrects ou considérer que l’état de l’école en France est précisément le résultat de ces sabotages commis au bénéfice de la privatisation, de la marchandisation de l’école publique avec l’approbation de groupements divers. Cela fait des années que des enseignants, des organisations politiques, des syndicats, des philosophes le répètent en vain. Plus l’addition est lourde et sévère aux dépens des élèves des classes populaires, plus les ministres enfoncent le clou, plus le Medef en rajoute pour aller toujours plus loin dans la destruction de ce qui subsiste, plus les “réac-publicains” se frottent les mains. On ne peut pas se réclamer de Freinet comme certains le font et soutenir cette destruction de l’école. Il faut choisir son camp et se battre. L’urgence est de changer l’école qu’on nous fabrique depuis 30 ans. Au fait, la Russie est 1ère dans le classement en lecture : faut-il y voir une très lointaine conséquence de l’alphabétisation massive et rapide opérée avec la révolution d’Octobre 17 en cette année du centenaire ?
Blanquer et l’apprentissage de la lecture : comment instrumentaliser l’échec scolaire
Blanquer, ex directeur de l’ESSEC, a pour objectif de saboter le service public d’éducation : c’est un ministre de droite qui poursuit le travail de sabotage engagé par la ministre de “gauche”.
Mais nier la baisse du niveau de compréhension de la lecture, présenter comme “réactionnaire” la connaissance de l’orthographe et de la grammaire ou du latin et du grec, ce n’est pas défendre le service public d’éducation. Ces attaques contre la transmission des connaissance conçues par les milieux pédagogistes et quelques illuminés qui se prétendent “libertaires” servent objectivement les intérêts de la bourgeoisie.