Laurence De Cock a bien voulu répondre aux questions de Q2C pour nous présenter le site Aggiornemento histoire-géo. Voici l’entretien que nous avons réalisé avec elle
Questions de classe(s) – Quand est comment est né le site Aggirornamento?
Laurence De Cock – Le collectif est né très exactement le 1er janvier 2011. Plongée dans l’autobiographie de Suzanne Citron, « Mes lignes de démarcation », j’ai découvert qu’elle avait écrit en 1968 un article que je connaissais pas intitulé « Pour l’aggiornamento de l’histoire-géographie ». Publié dans la revue Annales, Economies, sociétés, Civilisations. L’article appelait à une refonte totale des programmes d’histoire-géographie, trop lourds, trop érudits, inadaptés aux évolutions de l’École et non pensés en cohérence avec les autres disciplines. Le contexte était alors propice à une réflexion un peu créative sur l’École. Cet article m’a paru d’une étonnante actualité et j’ai alors décidé d’envoyer un message de « bonne année » à quelques amis enseignants, formateurs, chercheurs que je savais politiquement impliqués et soucieux d’entamer un travail de réflexion sur l’enseignement de l’histoire, de la géographie et sur les problématiques scolaires en général. Ce courriel intitulé « Pour un aggiornamento de l’enseignement de l’histoire-géographie », a, de fil en aiguille, donné naissance à un collectif encore aujourd’hui informel.
À sa création, le noyau se composait de la petite équipe déjà constituée autour du CVUH (Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire) et à l’ouvrage La fabrique scolaire de l’histoire paru en 2009. Le site est né trois mois plus tard, en avril, date du lancement public du collectif, avec une sorte de manifeste que vous trouverez encore en ligne, 1er billet.
Q2C – Quel est son projet, ses objectifs ?
Laurence – Au départ, il s’agissait d’axer nos réflexions et interventions sur quelques axes :
Tisser des liens inter-degrés de l’école primaire à l’Université en actant de la diversité de nos métiers mais en refusant la hiérarchie – même symbolique- sous-tendue par la pyramide des carrières. Autrement dit, il fallait trouver des modes de coopération horizontales et non descendantes comme elles existent souvent. Nous refusons la logique de « descente » des savoirs académiques vers l’école et lui préférons celle de « circulation ». Le collectif dispose donc d’une liste de discussion dans laquelle on trouve des enseignants de toutes les catégories, dont certains à l’interface (enseignants du secondaire et chercheurs).
Remettre la main sur nos outils de travail et se poser comme interlocuteurs de l’Institution avant même d’y être conviés par la voie traditionnelle et normative de la « consultation ». D’où le développement d’une tradition de « tribune » et d’occupation de l’espace public et médiatique.
Exercer un regard acéré et critique sur tous les discours pseudo savants circulant sur l’enseignement de l’histoire et l’École en général
Développer par ailleurs un travail de réflexion et de recherche plus approfondis sur l’histoire et l’actualité des disciplines, sur leur didactique, leur pédagogie et, plus généralement, sur les problématiques liées à leur transmission .
Proposer enfin des pistes de « programmes » (personnellement mon souhait serait de commencer par supprimer le mot)
Organiser des journées d’études sur tous ces aspects
Chatouiller et inquiéter un peu les organisations existantes et souvent confortablement installées dans leur rôle de « défense » pouvant confiner à la conservation ronronnante des acquis.
Plus prosaïquement, le collectif a aussi vocation à être un lieu alternatif, informel, engagé et conscient que sa réflexion et son travail doivent s’inscrire dans un cadre disciplinaire, interdisciplinaire, transdisciplinaire et indiscipliné.
Q2C – Comment est-il animé et alimenté ?
Laurence – Le site est alimenté par des billets de taille et de nature très variables : billets d’humeur, tribunes, articles scientifiques, actes de journées d’étude, réflexions sur les pratiques etc. À cela s’ajoute un groupe de discussion destiné à faire circuler des informations, et qui s’anime parfois sur des débats comme tout récemment sur le Bac. Il y a près de 170 inscrits sur la liste mais beaucoup de silencieux au regard d’un noyau d’une quinzaine de personnes actives c’est-à-dire disposées à coordonner des actions collectives et à publier. Nous en sommes à presque 200 articles en ligne en deux ans, avec des périodes plus nourries que d’autres selon nos disponibilités.
Surtout, il n’y a pas de « ligne » dans le collectif et certains membres de la liste appartiennent aussi à d’autres organisations (Syndicats, APHG) et ne se reconnaissent pas forcément dans tout ce que nous publions.
Q2C – Quels retours avez-vous ? Quelles activités déployez-vous autour du site ?
Laurence – Les retours sont très variables. D’un côté il y en a qui nous détestent parce qu’ils nous font entrer dans ce débat stérile et stupide pédagos/républicains. Nous serions donc ceux qui sapent les assises disciplinaires en vendant notre âme aux sciences de l’éducation. Nous sommes aussi régulièrement qualifiés de « gauchistes » ce qui est une façon efficace de disqualifier toute prise de parole critique dans l’espace public (mais ceux qui sont passés par le CVUH y sont très habitués) ; Pour l’APHG (Association des professeurs d’histoire-géographie), nous apparaissons comme des briseurs de consensus alors que la discipline attaquée dans ses fondements aurait besoin au contraire d’une Union sacrée… En même temps, nous sommes aussi très relayés et appréciés pour notre impertinence et la vitesse parfois de nos réactions. Au final, nous sommes très souvent soutenus dans nos diagnostics mais moins consensuels dans nos propositions, et notre présence ne fait que recouper les clivages internes aux débats sur l’École.
Q2C – Quelle est sa fréquentation ?
Laurence – La fréquentation dépend vraiment de la nature des billets. Un mois « creux », nous avons près de 8000 visiteurs différents ; à mi-juin, nous sommes déjà à 15000. On ne descend pas en dessous de 300 quotidiennement.
Q2C – Avez-vous des projets pour développer le site à l’avenir ?
Laurence – C’est surtout l’avenir du collectif lui-même qui se pose. Devons nous officialiser notre existence et nous constituer en association ? Profiter au contraire de ce caractère informel qui permet à beaucoup de nous suivre et nous rejoindre ponctuellement et qui nous profile à la fois comme partout et nulle part ?
Sur le fond, il nous faut réfléchir en priorité à trois questions à mon sens :
– La première est très vaste mais fondamentale : enseigner l’histoire-géographie, à quoi bon ? Parce que le poncif du « connaître le passé pour comprendre le présent » est totalement éculé (et faux) et le fameux « esprit critique » se réduit aujourd’hui à une formule fétiche et vide de sens présente dans tous les préambules des programmes
– Quels programmes seraient susceptibles de répondre à des finalités réellement critiques ? c’est-à-dire pouvant contribuer à la formation d’une relation critique à la construction des savoirs, condition préalable à un « être critique » au monde. Vaste programme
– Comment penser, dans l’École, la spécificité d’un pôle de sciences humaines et sociales non engoncé dans des chapelles et appelé à revitaliser le concept d’émancipation.
Vous me direz, c’est un peu le projet d’une vie tout ça ; et nous manquons de bras ; notamment de bras de géographes. Avis aux amateurs…
Le site Aggiornamento : http://aggiornamento.hypotheses.org
Aggiornamento histoire-géographie
C’est passionnant ! Bonne continuation !
En histoire de l’art on rejoint les même problématiques en exacerbées,
une discipline que certaines sommités aimeraient bien estampillées “Chasse gardée”
ou “Quand l’Art se perd en préciosité”.
Ce qui m’a fait renoncer au professorat en fin de cursus, me rendant compte par exemple en Art Contemporain, preuves à l’appui d’un enseignement de parti pris, loin du social, bien loin. Surtout après la rencontre de l’artiste Gottfried Honegger et sa fondation Art Concret à Mouanx en Sartoux où il inventa des outils pédagogiques (composition, couleurs, contrastes, prisme…) à destination des primaires afin de sensibiliser les enfants à la lecture d’un tableau dès le + jeune âge, une démarche qui reste confidentielle.
Pourtant l’Art d’une époque reflète sa société, représente l’Homme de son temps et est souvent annonciateur de nouveaux prémices encore en gestation, le rendre accessible à tous, le partager au quotidien, une réelle émancipation.
Aggiornamento histoire-géographie
Plus explicite un lien “Éduquer le regard” pédagogie G. Honegger à Mouans-Sartoux
http://www.evene.fr/culture/lieux/espace-de-l-art-concret-1417.php
Aggiornamento histoire-géographie
Je suis enseignant en philosophie, mais les questions et propositions soulevées ici me semblent extrêmement pertinentes; je veux dire que cette impertinence à l’égard du sommeil de l’institution est bien vivifiante. Il y a également dans le domaine de la philo des tentatives de préférer la “circulation” à la “consultation”, et de manière générale de ne plus attendre que l’institution vienne nous proposer une formation; certains collègues sont à l’initiative (Acireph, GFEN, association des micro-lycées) pour penser les transformations en cours de notre métier.
Merci donc à Aggiornamento pour le tracé du chemin.