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Afin de ne pas se tromper de colère…

Notre espèce passe son temps à se tromper de colère. Le journal nous parle des affrontements en Ukraine, en Syrie, peut-être bientôt en Inde entre hindous et musulmans… l’homme est décidément un « mauvais voisin », pour reprendre la formule de Henri Michaux.

Sur notre terrain scolaire, une récente étude* confirme et précise les analyses concernant les discriminations ethno-raciales : les enfants issus de l’immigration, et essentiellement des immigration maghrébine, subsaharienne et turque, se sentent discriminés à l’école. Ce mal-être se traduit par l’accusation de racisme vis-à-vis des enseignants, et le mal-être rebondit à l’étage adulte.

…. POUR LES ELEVES COMME POUR NOUS…

Tout en considérant comme indispensables les travaux de recherche, nous nous situons sur ce site dans la recherche d’actions possibles. Comment dissiper le malentendu ? Comment expliquer aux élèves qu’ils sont orientés en fin de Troisième vers la voie professionnelle essentiellement parce qu’ils sont issus des milieux populaires, enfants ou petits enfants d’ouvriers peu qualifiés ? Que si leurs ascendants ont subi, les uns la colonisation, les autres le racisme, que si la discrimination à l’embauche et dans d’autres domaines de la vie sociale persiste, c’est l’inégalité sociale qu’ils subissent ? Que cela n’empêche pas qu’on peut comprendre qu’ils ressentent fortement une discrimination, que ce ressenti soit le nom qu’ils donnent à ce qu’ils subissent ?

Comment expliquer aux collègues pour qui c’est douloureux que ces élèves souvent dans le refus, apathique ou bruyant, réagissent ainsi parce qu’ils ne se sentent pas à leur place dans l’école des « autres », les autres étant l’agglomération vague des « bien nés » socialement ou ethniquement ?


…. S’Y RECONNAITRE ENTRE DISCRIMINATIONS REELLES, RESSENTIES, INEGALITES…

Ce n’est pas facile car le thème de l’inégalité est en train d’être remplacé par celui des discriminations. Non sans bonnes raisons : la discrimination, on peut la combattre secteur par secteur à l’aide de mesures juridiques ou pratiques (hommes-femmes, handicap), c’est un champ de lutte culturel au sens large (évolution des représentations dans le domaine ethno-racial), les recours individuels sont envisageables sur le terrain des tribunaux. Mais aussi avec ses limites : dans les classes populaires, on n’a pas besoin d’être discriminé pour subir l’inégalité. Souvent, on cumule inégalités (revenus, logement, santé, environnement) et une ou plusieurs discriminations (être une femme, un immigré etc).

…. UN DÉBAT ESSENTIEL

En tout cas, il faut en parler. S’expliquer toutes ces injustices (voilà le point commun), en parler entre nous, avec les parents, que les élèves puissent en parler. Je me souviens d’un grand silence quand, réagissant à l’interpellation d’un élève de Quatrième (« Monsieur, pourquoi il n’y a que des Noirs dans le bureau de la CPE ? » (élèves renvoyés de cours) j’ai dit que l’explication était sociale et pas raciale. Je me me souviens aussi de ce mot laissé parc un élève puis affiché en classe à la suite d’une discussion « moi jaurai pas eu onte d’être pauvre ».
Inégalités, discriminations, mais quand on parle-t-on à l’école ? Quand ose-t-on en parler ? Quand en parlera-t-on enfin ?!

Car il est temps de passer du ressentiment, de l’incompréhension au débat, à l’argumentation, à la confrontation échangée avec le rel (social en l’occurrence). Des faux ennemis aux vrais adversaires.

* Parcours scolaires et sentiment d’injustice et de discrimination chez les descendants d’immigrés, Yaël Brinbaum et Jean-Luc Primon, INSEE, Economie et statistique n° 464 à 466, 2013.

5 Comments

  1. Elisabeth Huguet

    Afin de ne pas se tromper de colère…
    Depuis plusieurs années je pense que tous les enseignants, qu’ils soient professeurs du premier ou du second degré, devraient avoir un minimum de formation en Sciences Humaines et Sciences de l’Education. Tant qu’ils n’auront pas dans leurs bagages un peu de psychologie, de sociologie et de philosophie de l’éducation, tant qu’on ne leur proposera pas d’échanger dans des groupes d’analyse de pratique dans le cadre de leur travail, ils ne pourront pas vraiment aider ces enfants et ces jeunes en souffrance car enseigner ce n’est pas seulement transmettre un savoir. C’est un métier à plein temps qui questionne et interroge sans cesse, qui demande beaucoup d’énergie et des compétences d’équilibriste pour pouvoir en suivre le fil !…
    Elisabeth

  2. itteruz

    Afin de ne pas se tromper de colère…
    Bonjour.
    Je trouve la démonstration un peu étrange. Elle fonctionne comme un syllogisme : 1) Le système scolaire reproduit les inégalités sociales / 2) Les élèves issus de familles immigrées appartiennent aux classes populaires et subissent en conséquence les inégalités sociales / 3) Donc ils et elles ne subissent aucun autre type de discrimination et d’ailleurs le système scolaire n’est pas raciste.
    Si on y croit, on peut tenter de tenir ce discours aux élèves. Je doute que la force de conviction suffise cependant à masquer ce qu’ils et elles ont rencontré depuis leur entrée à l’école. Des blanc-he-s en beaux habits pour leur transmettre les apprentissages, pour les évaluer, les féliciter ou les sanctionner, des noir-e-s et des nord-africain-e-s en blouses uniformes pour leur changer leurs vêtements imprégnés de pisse ou de merde, pour leur servir à manger, pour ouvrir et fermer la porte de l’école, pour balayer et javelliser les tables. Des enseignant-e-s immigré-e-s de métropole payé-e-s 2 fois plus que les enseignant-e-s recruté-e-s sur place (La Réunion, Mayotte, Antilles, Guyane). Leurs mères menacées (menace parfois mise à exécution) de ne plus pouvoir entrer dans l’école ou les accompagner en sortie scolaire parce qu’un morceau de tissu leur cache les cheveux. Les centaines d’albums, de livres, de manuels scolaires mettant en scène des petits enfants blancs, avec leurs parents blancs, leurs voisin-e-s blanc-he-s, leur boulanger-e blanc-he. Voilà pour les faits.
    Là-dessus vient se surajouter le ressenti. Facile à nier, plus difficile à démonter profondément. Qui parmi mes collègues peut m’affirmer qu’il ou elle ne punit pas ses élèves noir-e-s ou nord-africain-e-s plus souvent et avec un discours différent que ses élèves blanc-he-s ? J’ai essayé de m’observer, je ne suis parvenu à aucune certitude – chaque fois que j’ai sanctionné, j’ai été persuadé même après-coup qu’il y avait une raison objective indépendante de tout autre critère que celui de la bêtise commise. M’ouais !? Est-ce que je punis toujours les bêtises ? Suis-je une machine ? On sait (des études l’ont montré) que certaines transgressions (du style batailles avec les extincteurs, vols de matériel, obscénités inscrites au tableau noir, etc) sont vues comme du “chahut de jeunes” dans certains quartiers (où aucun grand frère n’est en prison, donc il n’existe aucun “crainte”) et des actes graves de pré-délinquance à éradiquer tout de suite dans d’autres quartiers. Je n’ai aucune raison de douter que l’on fait pareil pour des faits plus anodins. Que devraient dire les élèves tou-te-s noir-e-s dans le bureau du ou de la CPE ? “Madame, monsieur, vous êtes classiste” ?
    Les discriminations ne s’annulent pas, il n’y en a pas une qui prend la pas sur les autres et les annihile, non, elles s’agrègent. La société française est raciste, elle est post-coloniale, elle développe depuis quelque temps plus particulièrement une islamophobie qui est une évolution spécifique et très forte du racisme anti-arabes qui existe lui depuis longtemps. Le système scolaire n’a pas les moyens de se protéger de la société, il est toujours à son image, il reproduit tous ses travers. (Par ailleurs, nous ne pouvons pas oublier que l”école républicaine française est née dans l’idéologie coloniale de la fin du 19e siècle, elle n’est donc pas seulement raciste aujourd’hui par contamination de la société, elle est raciste depuis toujours, intrinsèquement). Nous, enseignant-e-s, ne devons pas nous cacher que nous sommes toujours les agent-e-s de tout cela. C’est par la prise de conscience de cette fonction qui nous est assignée que nous pouvons espérer au moins en limiter les effets néfastes. Nous participons à la fonction de tri social du système scolaire, et ce tri est classiste, il est raciste, il est sexiste. Osons l’avouer à nos élèves, de toute façon ils et elles savent bien distinguer celles et ceux d’entre nous qui font ce qu’ils et elles peuvent dans le système et celles et ceux qui sont réellement racistes.
    Ne nous trompons pas de combat, menons-les tous de front !

  3. Anonyme

    Afin de ne pas se tromper de colère…
    Merci de ce message, que je vois plus comme complémentaire que contradictoire. J’apprécie de plus qu’il se fonde sur des réalités concrètes que chacun de nous peut vivre ou côtoyer.
    Réponse rapide : n’oublions aucun aspect en effet. Pas les diverses discriminations dont la présence est maintenant reconnue après avoir été minorés ou oubliés. Pas non plus l’inégalité sociale.

  4. Clot-Ourghanlian

    Afin de ne pas se tromper de colère…
    Bonjour,
    j’ai bien conscience que nous agissons de façon raciste mais le tableau que vous faites est tout de même un peu caricatural je pense . Ce qui est vrai c’est que les populations immigrées appartiennent souvent aux catégories très défavorisées socialement et qu’elles forment les gros bataillons d’élèves qui doivent jongler avec une double culture, parfois un parcours scolaire fait de ruptures, un bilinguisme mal reconnu alors que c’est une chance, une famille très soucieuse de réussite mais parfois peu connaisseuse des codes scolaires et dans l’incapacité d’apporter une aide aux devoirs ou d’en payer. La rancoeur à l’égard de l’école est à la mesure de la déception éprouvée quand les résultats ne sont pas là. Franchement c’est la même chose pour les enfants de familles “gauloises” très défavorisées, elles sont d’ailleurs moins représentées lors des commissions d’appel, ayant presque intériorisé l’échec scolaire comme une fatalité. Ce qui est urgent c’est bien de permettre à ces jeunes de réussir, d’acquérir des diplômes (et pas des CAP qui les empêcheront d’évoluer). On peut toujours évoquer le racisme, le reconnaître, le combattre et le dépasser.

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