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Prenons la parole pour défendre le collectif

10 juillet 2022, le congrès du MCEP -mouvement coopératif pour une école populaire- est sur le point de s’achever. Le thème de cette année était « Tomamos la palabra en defensa de lo colectivo ». Des petits groupes se sont réunis par région pour faire le bilan de la semaine et préparer l’assemblée générale qui aura lieu en fin d’après-midi. Arriverons-nous à trancher sur les points qui sont restés en suspens lors de l’assemblée intermédiaire ? La rencontre internationale des mouvements Freinet (la RIDEF) a lieu cette année au Maroc et suite à la mort de 23 migrants le 25 juin dernier dans l’enclave espagnole de Melilla certains militants refusent d’y participer, à cela s’ajoute une opposition à la politique menée par le Maroc au Sahara occidental qui est un ancien territoire espagnol.

Les tensions qui ont émergé lors de cette assemblée intermédiaire n’ont pas manqué d’intriguer les nouveaux congressistes dont je fais partie. Comment ça, même dans le mouvement Freinet les assemblées ne sont pas toujours exemplaires ? Dans le sketch humoristique que nous avons présenté ce midi pour faire un bilan de ce que nous avions observé en tant que nouvelles et nouveaux nous avons souligné à la fois la richesse des échanges mais aussi certaines contradictions. « Moins d’idéalisme et plus de réalisme ! » « Freinet n’aurait pas voulu autant de théorie ! » « Plus de dynamisme et moins d’égocentrisme ! » font partie des slogans que nous avons scandés dans notre manifestation fictive qui a beaucoup amusé les anciens du mouvement qui nous ont remerciés pour notre franchise.

Je crois que ces tensions entre théorie et pratique, entre engagement politique et travail dans la classe, entre ouverture du mouvement ou retour aux sources existent dans tous les mouvements pédagogiques. C’est justement ce qui a été débattu hier lors d’un atelier qui a réuni tout le monde mais qui a été critiqué par certaines jeunes militantes car ce sont surtout les anciens du mouvement et en majorité des hommes qui ont pris la parole. N’y aurait-il pas une difficulté à passer le flambeau ? Comment aller de l’avant sans perdre les principes fondamentaux de la pédagogie Freinet ? Le débat a porté sur la distinction entre les termes « techniques » et « méthodes » ou sur la nécessité de parler plutôt de pédagogie pour ne pas réduire le mouvement Freinet à un ensemble de techniques. Un ancien du mouvement est intervenu pour dire que certains principes étaient dépassés dans le contexte actuel tandis qu’un autre a souligné le caractère intemporel des invariants de Freinet. Il ne s’agit donc pas tant d’un conflit entre l’ancienne et la nouvelle génération que d’une interrogation plus profonde sur ce qui constitue l’essence de la pédagogie Freinet et sur sa capacité à se renouveler. Comme le faisait remarquer un autre ancien du mouvement, ce débat a déjà été mené il y a bien longtemps dans le mouvement italien, précisément quand la nouvelle génération après les événements de 68 a commencé à ouvrir d’autres perspectives. Les mouvements pédagogiques bien qu’issus d’une même source se développent d’une manière différente en fonction des pays et des contextes politiques. Le mouvement Freinet italien a été très important mais est méconnu en France : qui sait par exemple chez nous que Gianni Rodari, l’auteur du fameux livre Grammaire de l’imagination était membre du MCE le mouvement italien ?

En Espagne le mouvement Freinet qui avait émergé dans les années 30 a pu renaître à la fin du franquisme grâce à des rencontres fortuites avec des enseignants français. Appelée en 1964 ACIES (association pour la correspondance et l’imprimerie scolaire) afin de ne pas attirer l’attention des autorités franquistes, le mouvement change de nom après la mort de Franco lors du congrès de Grenade en 1977. Ici au congrès d’Alcalà de Henares tant d’années après on est surpris en arrivant de rencontrer autant de retraités qui ont connu les prémisses du MCEP, signe de leur attachement au mouvement mais aussi de la difficulté à mobiliser les nouvelles générations. Leurs liens sont extrêmement forts et le mouvement semble perdurer grâce à ces amitiés de longue date. Lorsqu’on discute avec ces militants de toujours on découvre d’incroyables histoires d’engagement à un moment où il fallait absolument rompre avec le modèle rigide et autoritaire de l’école héritée du franquisme. Toutes et tous racontent avec émotion 40 ou 50 ans plus tard leur joie en découvrant à l’époque qu’on pouvait enseigner autrement ! Assemblée scolaire, texte libre, étude du milieu, imprimerie scolaire (avec des feuilles de gélatine car l’imprimerie Freinet n’est pas facile à obtenir) toutes et tous évoquent des souvenirs différents mais avec le même enthousiasme. On remarque néanmoins une affinité particulière pour l’assemblée scolaire (que l’on appelle en France conseil coopératif) ce qui n’est guère étonnant tant il était essentiel en sortant de 40 ans de dictature de favoriser l’expression des enfants et de concevoir la classe comme un espace démocratique.

Justement l’assemblée finale va bientôt commencer… Tous les groupes sont prêts, les chaises se déplacent, comment cela va-t-il se passer cette fois ?

 

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