La métamorphose de l’école : Quand les élèves font la classe, Vincent Faillet (recension suivi d’un entretien avec l’auteur)
Dans ce petit ouvrage – très accessible et qui se lit d’une traite – Vincent Faillet, professeur de SVT en lycée nous fait partager sa découverte d’une méthode d’enseignement – l’enseignement mutuel – effacée des mémoires (1) et qu’il tente aujourd’hui de remettre au goût du jour avec ses élèves et ses collègues.
Le livre n’est ni un manuel pour mettre en place la « méthode mutuelle » ni une lecture historique de l’institution scolaire ni un témoignage sur le quotidien d’une classe mutuelle en lycée ni un manifeste pour changer l’école, mais il est un peu tout ça à la fois… et c’est précisément ce qui rend sa lecture agréable.
On suit le parcours de Vincent Faillet, ses tâtonnements pour changer sa classe – et l’institution ! – et ses échecs (sur l’innovation pédagogique, le numérique, etc.) qui l’ont conduit à ce constat : c’est depuis la classe, son agencement et son fonctionnement quotidien que l’on peut enclencher une « métamorphose » de l’école (terme qu’il préfère à celui de « révolution »).
Ces transformations ne sont pas le seul fait de l’enseignant, elles doivent beaucoup aux élèves eux-mêmes, mais aussi à une posture d’écoute de la part de l’éducateur qui sait les observer travailler, réussir et échouer…
L’autre idée aussi c’est que, à force de se centrer sur « l’innovation » à tout prix, on en oublie de questionner le passé et l’héritage pédagogique pourtant à portée de main. En quelques pages, l’auteur rappelle très clairement (et en partant d’illustrations éclairantes) les trois méthodes d’enseignement : l’enseignement individuel, l’enseignement simultané et l’enseignement mutuel. Le lecteur est alors armé du bagage « théorique » et pédagogique nécessaire pour penser la classe et l’école autrement.
Sans jamais s’ériger en « modèle » ni en théoricien, Vincent Faillet conclut par une réflexion sur « les trois conditions de la métamorphose de l’école » : le numérique (sans aucune illusion sur son potentiel « révolutionnaire » mais en tenant compte qu’il existe et constitue notre quotidien à tous et toutes), la salle de classe (où chacun et chacune peut penser autrement le rapport au savoir, au corps et au travail) et la pédagogie (plaisir d’apprendre et plaisir du savoir).
Un excellent ouvrage, même si l’aspect social reste implicite et si le potentiel révolutionnaire du travail en classe mériterait d’être confronté aux tendances réactionnaires de l’institution et même déjà de l’établissement…
On peut aussi écouter Vincent Faillet, en compagne d’Anne Querrien et Sylvie Jouan, parler de la méthode mutuelle dans l’émission Rue des écoles
https://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/la-decouverte-de-lenseignement-mutuel
Pour consulter le sommaire et voir un reportage vidéo de Claude Tran réalisé en première scientifique en juin 2017, visitez le site de Vincent Faillet
(1) Voir L’enseignement mutuel, une pédagogie trop efficace, Anne Querrien
La classe mutuelle, entretien avec Vincent Faillet
En librairie depuis quelques jours, le livre de Vincent Faillet (La métamorphose de l’école quand les élèves font la classe a retenu notre attention. Nous avons contacté Vincent Faillet qui a bien voulu répondre à nos questions…
Au final, la présentation de l’expérience de la « classe mutuelle » occupe seulement un cinquième de ce livre. Je ne voulais produire un ouvrage avec une coloration trop pédagogique ou technique, je ne voulais pas donner de « recettes » trop précises car je sais bien qu’aucun d’entre nous n’a les mêmes « ingrédients » à sa disposition. Il s’agissait plutôt de susciter la réflexion au travers de mes recherches mais avec mon regard forcément subjectif sur l’école, c’est pourquoi je me suis dirigé vers un format « essai ».
[*« Je ne suis pas le seul à le penser et je ne suis pas le seul à le faire, loin de là. Si ce livre doit fédérer des initiatives et impulser une dynamique de changement, je m’en réjouirai et je prendrai part à ce mouvement car c’est en cette école métamorphosée que je crois… »*]
Il serait prétentieux d’imaginer que je puisse impulser une nouvelle dynamique, je veux simplement montrer qu’il est possible, et avec peu de moyen, de changer la salle de classe et la façon de concevoir l’enseignement. Je ne suis pas le seul à le penser et je ne suis pas le seul à le faire, loin de là. Si ce livre doit fédérer des initiatives et impulser une dynamique de changement, je m’en réjouirai et je prendrai part à ce mouvement car c’est en cette école métamorphosée que je crois…
[*Au mur, une devise d’inspiration « Éducation nouvelle » : « Si tu ne sais pas demande, si tu sais explique ».*]
L’idée-force est que les élèves s’expliquent le cours entre eux, le plus naturellement du monde. Nombre d’élèves sont plus enclins à poser des questions à leurs pairs qu’à leur enseignant. « Pas de pudeur » entre eux comme le disait une de mes élèves. Au mur, une devise d’inspiration « Éducation nouvelle » : « Si tu ne sais pas demande, si tu sais explique ».
[*
« Justement, j’espère participer à cet effort de mémoire comme d’autres avant moi ont pu le faire, je pense ici à Anne Querrien avec son excellent ouvrage « L’école mutuelle : une pédagogie trop efficace ? ». Il est essentiel de connaître nos racines, de savoir sur quel socle l’école que nous pratiquons aujourd’hui s’est construite. Et lorsque l’on connaît ce pan de l’histoire de l’éducation que je raconte dans le livre, on est plus enclin à oser sortir du cadre normatif. »*]
[*« … il est difficile, sinon impossible, de changer de système d’enseignement sans changer la salle de classe, les deux étant intimement liés. Je propose – avec d’autres – de casser ces codes hérités du XVIIème siècle en faisant de la salle de classe un espace d’apprentissage coopératif et collaboratif »*]
Le deuxième levier, c’est le plaisir d’apprendre, que j’associe dans le livre à la pédagogie ; les deux termes ne devraient-ils pas être synonymes ? Il y a quelques semaines, j’ai animé une rencontre parents-professeurs de la classe de première scientifique dont je suis le professeur principal au Lycée Dorian. C’est une « classe mutuelle » particulière en ce sens que la presque totalité des enseignements (français, mathématiques, histoire-géographie, sciences physiques, SVT et anglais) sont conduits selon un mode mutuel. De plus, les élèves occupent une seule et même salle qu’ils ont investie, ce sont les enseignants qui se déplacent. Nombre de parents s’accordaient sur un même point : leurs enfants avaient retrouvé le plaisir de venir travailler au lycée. La notion de plaisir n’est pas antinomique avec celle de travail scolaire, c’est même un nécessaire préalable. Philippe Meirieu nous dit que « la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation » et j’en suis absolument convaincu. La méthode d’enseignement mutuel associée à une salle de classe et à des règles scolaires redéfinies concourent à la prise en compte du plaisir d’apprendre.
[*« Philippe Meirieu nous dit que « la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation » et j’en suis absolument convaincu. La méthode d’enseignement mutuel associée à une salle de classe et à des règles scolaires redéfinies concourent à la prise en compte du plaisir d’apprendre. »*]
Enfin, le troisième levier, c’est le numérique. Un levier à actionner en dernier car le numérique doit s’insérer dans une salle de classe et une pédagogie toutes deux rénovées. Il convient de mettre le numérique à sa véritable place, celle d’un précieux auxiliaire pour l’enseignement et non pas celle d’un prétendu « Saint-Sauveur » pédagogique omnipotent…
Le creuset du changement c’est, comme vous le soulignez, la salle de classe et son aménagement ; or c’est un espace sous la responsabilité des collectivités territoriales : mairies pour les écoles, conseils départementaux pour les collèges et conseils régionaux pour les lycées. Depuis la sortie du livre, je suis contacté par les collectivités qui perçoivent bien, pour beaucoup d’entre elles, que l’on ne peut plus décemment équiper les salles de classes comme on le faisait déjà au XIXème siècle avec des rangées de tables et de chaises et un tableau magistral. Les collectivités consultent, réfléchissent et se nourrissent des expériences de terrain mais elles sont dans un entre-deux inconfortable, coincées entre la facilité de reconduire la norme et le pari de la rupture. Elles ont besoin de prendre la mesure de ce mouvement de fond qui se dessine et d’être rassurées et cela est bien normal. Je crois que la solution passera par la base et pour ce faire, il convient dans un premier temps d’équiper les salles de classes pour ceux qui le désirent. J’échange tous les jours avec des collègues motivés par enseigner autrement, pour repenser l’espace et qui me disent les difficultés qu’ils rencontrent pour faire évoluer leurs salles de classe : le mobilier n’est plus adapté, les moyens peuvent manquer pour couvrir les murs des salles de tableaux supplémentaires ou pour aménager des coins plus isolés. Et l’on se retrouve avec des enseignants qui doivent devenir des adeptes du « Do-it-yourself » ou de la récupération pour transformer les espaces pédagogiques. C’est louable mais cela n’est ni normal, ni tenable ; les collectivités doivent absolument accompagner les enseignants dans leurs réflexions pédagogiques ! Il faut arrêter de penser l’équipement des salles de classe a minima selon des normes standardisées et venues d’un « autre monde ». Heureusement, comme la demande est forte, l’offre d’équipement commence, elle aussi, à faire sa mue et il devient possible de trouver du mobilier qui sorte de la norme. C’est de bon augure.
[*« De l’école mutuelle, je garde la philosophie et les principes fondateurs, sûrement pas leur mise en œuvre. Une mise en œuvre, en effet, extrêmement disciplinaire et codifiée qui s’inscrivait bien dans le XIXème siècle et qui était aussi rendue nécessaire par les effectifs pléthoriques que pouvait absorber cette méthode d’enseignement (il pouvait y avoir plusieurs centaines d’élèves pour un seul maître). »*]
Propos recueillis par Grégory Chambat pour Questions de classe(s)
Pour consulter le sommaire et voir un reportage vidéo de Claude Tran réalisé en première scientifique en juin 2017, visitez le site de Vincent Faillet