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Recit d’ une expulsion ordinaire de familles et d’enfants

Squat de l’Usine Galland-Villebon-sur-Yvette, nuit du 2 au 3 juin 2014

« Demain, je ne sais pas où je vais aller »
« Nous sommes restés parce que nous n’avons rien d’autre »
« Demain, j’aurai peut-être un appartement pour ma famille. C’est ce que m’a promis le maire »
« Je veux aller à l’école »
« Quand je vais à l’école, ma mère est très fière de moi parce que j’apprends à écrire et à faire plein de choses. Elle est très contente pour moi »

Le dimanche 2 juin vers 21h, veille d’expulsion annoncée du platz, nous arrivons Aline et moi, Leïla, les bras chargés de boîtes de thon à l’huile, de feuilles de bricks, de tubes d’harissa et d’énormes bouquets de coriandre et de menthe fraîche. Nous découvrons un village que nous ne reconnaissons pas. Un petit quart des habitants seulement y est présent. Les autres, on ne sait où ils ont pu fuir.

Nous allons saluer les quelques familles avec lesquelles nous avions l’habitude de travailler, dont les enfants fréquentaient régulièrement nos ateliers. Nous faisons cuire des bricks thon-fromage-menthe que nous noyons un peu dans l’huile frétillante dans une atmosphère chaleureuse qui ne parvient malgré tout pas à déloger l’inquiétude omniprésente. Inquiétudes de tout un chacun. Nous ne pouvons qu’imaginer les questions qui traversent alors les esprits : que va-t-on devenir ? Peut-on vraiment espérer un avenir « ici » ? Et peut-être que seul le triste fatalisme de se faire marteler la conscience encore un fois, se faire dire par « la force de l’ordre » qui se veut ordre des choses que sa vie est prise en otage par un temps qui sera « au jour le jour ».

Des jeunes et moins jeunes hommes sont en train de détruire leurs propres baraques et de les éplucher des derniers biens « de valeur ». Leurs propres maisons, fabriquées de leurs propres mains et marquées des souvenirs d’une vie de famille de plus d’un an.

De ce que nous avons vu, ça n’était pas seulement pour y décortiquer les éléments à en garder pour les réinvestir ou les revendre. Dans ces moments, la chasse aux interprétations est ouverte mais l’image elle-même nous arrache un flot violent d’émotions qui dépasse toute tentative de sens.

Une expulsion orchestrée à la seconde et au gravier près

L’arrivée des gendarmes, celles de la police municipale, puis nationale, des C.R.S, des assistantes sociales de la Maison des Solidarités puis des divers services de nettoyage.

Ici sur la photo, en « chef d’orchestre » malgré elle : Aniela.
D’un côté, entre les barrières, les enfants jouent en attendant que leurs familles se voient attribuer des hôtels sociaux pour huit jours, éparpillés dans les quatre coins de l’Ile-de-France. De l’autre, les gendarmes, C.R.S. (Compagnies Républicaines de Sécurité), policiers français, roumains et des « pays de l’est », comme me l’a dit à demi-mot l’un d’entre eux, sont là. Des « crèmes » variées sont au rendez-vous également : maires, responsable de cabinet du préfet de l’Essonne, commissaire et tutti quanti.
Tout cela est bien sage, « sans heurt » comme l’a dit un journaliste de France 3 quelque peu maladroit à mon sens, pas de violences policières, pas d’échauffourées du côté des « Roms », bref pas de scandale, tout cela se déroule dans un calme plat.

Parmi les quelques personnages « loufoques » de cette pièce façon « la République en bottes sur un plateau d’argent servie pour le p’tit déj’ à six heures du mat’» : une traductrice roumaine en bottes bleu marine et pantalon retroussé, de sulfureux policiers « des pays de l’est » appartenant à des brigades spécialisées en délinquance itinérante (?) et, cerise sur cette tarte de mauvais goût : le propriétaire de la maison voisine du platz en personne, en acteur-spectateur resté deux heures durant appuyé sur le poteau d’un panneau « Interdiction de stationner » à respirer ce doux carnage.

Froideur, Hygiénisme

Non, pas de violence. Aucune. Seulement un balai machinal des services d’hygiène des villes mitoyennes. Tractopelle qui déplace les pierres géantes placées à l’entrée du camp. Petits et grands hommes jaunes fluo « armés » de pinces ramasse-déchets et de pelles à racler le sol d’une possible contamination biologique des gravats du parking voisin (?). Camion-citerne des services d’assainissement des eaux pour nettoyer le canal de l’Yvette qui encerclait la fameuse Île d’Amour que les « Roms » partageaient avec leurs voisins peu friands des bruits et odeurs « des pays de l’Est ».

Enfin quelques noms aux sonorités florales me restent : Iasmina, Eugenia, Nicolae, Madona, Helena, Andrea, Esmeralda, Susano, Cosmin, Aniela, Ionut, Florin, Maria, Laura, Natalizja, Soledad, Graciela, Sara, Sorinel, Livia, Alexandru, et bien d’autres dont seule la musique agite encore mes écoutilles.

Je n’ai jamais mis les pieds en Roumanie et n’ai que de vagues images lointaines et sans doute fantasmées de ce pays et de la problématique des « Roms » en Roumanie. C’est là juste un regard qui n’a plus de prétention que d’être un récit sensible qui pourrait bien être la page solitaire d’un journal intime, la feuille volante d’un carnet déchiqueté.

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