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Le Pain et les miettes KroniKs des Robinsons

Dans son livre, intitulé « De la Totalité », le philosophe, Christian Godin, entame une réflexion sur les relations entre le tout et la partie , l’uni et l’éparpillé. Il trouve que la meilleure image de cette relation est celle qui existe entre le pain et les miettes.

Le pain est un tout, un élément total, global qui désigne à la fois son contenu et son contenant. Il est souvent synonyme même de l’alimentation humaine.

Mais pour l’homme, le pain n’est pas seulement son aliment , tiré de la nature, il est également son oeuvre, le résultat façonné de mille recettes. C’est une « oeuvre-aliment », une oeuvre qui nourrit dans tous les sens du terme, mais qui nourrit aussi tous les sens: la vision, le toucher, le goût, l’odeur et même le bruit de sa déchirure.

Aliment total, le pain est aussi l’image de la totalité. Souvent rond, il figure la terre , comme le soleil.

Mais il y a le pain et il y a les miettes. Les miettes tout au contraire, ont peu de forme, peu d’unité et une quantité négligeable. Elles sont éparpillement, traces et ce qui reste.

Négligeables sans doute, elles appartiennent cependant à tous. Elles sont innombrables et de ce fait elles nous représentent tous. Ne formons nous pas les miettes de l’humanité. L’évangile chrétien ne cite-t-il t il pas, au détour d’une parabole, le droit absolu du chien à manger les miettes de pain qui tombent de la table? Droit tellement puissant qu’il interrompt immédiatement la colère divine?

Le droit aux miettes est un droit absolu comme celui de vivre et de s’installer dans les interstices de la vie, dans les anfractuosités de la modernité, dans les friches de la ville.

Le droit aux miettes est tout simplement le droit des gens; le droit le plus antique comme celui de glaner ou quémander; le droit le plus absolu comme celui de coexister quand on est petits, avec les grands, quand on est faibles, avec les puissants.

Il est particulièrement inquiétant pour toute société de voir le droit des gens attaqué, mis en cause, dénoncé et jeté en pâture à l’opinion. Car le droit « aux miettes » est le commencement de tous les droits. Contrairement à ce qu’on nous représente ou répète sans arrêt, il est le contraire d’un abus.

A Robinson, nous aimons le pain et les copains, la mie et les amis et nous le fabriquons constamment entre nous comme un aliment universel et sans cesse différent; un aliment qui nous rassemble et nous distingue. Nous le pétrissons et le cuisions ensemble , au jardin, comme au quartier; et les miettes innombrables nourrissent tous les oiseaux affamés.

Car ce pain, quelle est sa finalité si ce ne sont les autres? Reprenant la formulation d’Albert Jacquard , reprise par notre ami Thierry Lavignon qui développe en pédagogie sociale des projets sociaux et culturels sur le pain, le vieux savant voyait d’abord dans le pain, une lancée dans le temps, l’investissement de la durée.

Nous sommes partis de la graine, pour aller au pain, dans un mouvement qui embrasse et permet le futur. Mais ce n’est pas encore assez, et il précise:

« Mais en bout de chaîne, ce pain obtenu, quelle est sa finalité? Bien sûr il est une nourriture nécessaire; mais arrêter là les maillons successifs de cette projection vers l’avenir commencée avec la plantation d’une graine serait bien décevant. Ce pain si appétissant capable d’assouvir ma faim, il devient plus qu’une nourriture si je l’offre à l’autre. Sa finalité est alors de créer un lien entre lui et moi, de me construire, de le construire par notre rencontre.

A ce stade, il n’est plus nécessaire de poser la question d’un pourquoi, puisqu’il s’agit du bonheur.” Albert JACQUARD

Ainsi sont le travail, ainsi est la culture en pédagogie sociale; tous deux porteurs d’avenir , lancées et implications dans le temps ; mais leur finalité est avant tout sociale. Elle implique l’autre et le don.

La Pédagogie Sociale est une « pédagogie du pain »: globale, totale, elle concerne l’entièreté de l’existence, dans toutes ses dimensions humaines.

Mais la pédagogie sociale est aussi une « pédagogie des miettes »: elle fabrique de l’innombrable, elle s’adresse à tous, elle ne pose aucune condition. Elle constitue en acte le droit indiscutable à l’éducation et à la vie sociale , miette par miette. Car même les miettes, c’est toujours du pain.

Lire la suite http://recherche-action.fr/intermedes/2014/10/23/le-pain-et-les-miettes/

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