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Comment aborder l’Autorité en pédagogie sociale ?

Pour accompagner le stage “Pédagogie sociale : l’autorité” un article introductif de Maël Lefeuvre, Animateur social

Lors du précédent chantier de pédagogie sociale, qui s’est déroulé le 12 octobre dernier à la XXème Chaise (Paris 20ème), nous – les personnes présentes – avons choisi « l’Autorité » comme thème du prochain stage de Pédagogie sociale.

Un choix très intéressant, puisque cette question est au cœur de nos pratiques et qu’elle définit nos choix pédagogiques et, plus largement, notre conception politique de la société.

Autorité et soumission

Récemment, lors d’une réunion avec des collègues de l’accompagnement à la scolarité, une situation m’a interpellé. Un enfant, en classe élémentaire, avait apparemment « mal répondu » à sa maîtresse qui lui interdisait d’aller voir un de ses camarades qui était puni. L’enfant avait répondu une sorte de « C’est bon, c’est pas moi qui suis puni ! » En réponse, l’enfant a eu le droit à un mot sur son cahier à faire signer par les parents. L’enfant ne comprenait pas pourquoi cela lui avait valu ce mot. La seule explication qu’il lui a été apportée fut : « On ne parle pas comme ça à un adulte. »

Ce n’est pas la sanction – n’ayant pas vécu la scène – que je souhaite questionner ici mais l’explication donnée. « On ne parle pas comme ça à un adulte » ; mais à un enfant oui ? Un enfant est-il obligé de respecter l’adulte mais pas forcément les autres enfants ? La question se veut naïve et quelque peu provocante. Je pense que la plupart des adultes diront naturellement que le respect vaut pour les adultes ET les enfants. Pourtant, dans la pratique, l’évidence n’est pas si … évidente ! Précisément lorsqu’il s’agit du rapport entre l’adulte et l’enfant.

L’estrade a été supprimée et cependant j’ai parfois le sentiment qu’il en demeure une, invisible. Qui n’a jamais – dans toute sa pratique – haussé le ton lorsqu’il rencontrait des difficultés avec un ou des enfants ? Pas moi ! Qui n’a jamais imposé un atelier ou un temps d’apprentissage sans tenir compte de l’intérêt ou des envies exprimés, sur le moment, par les enfants ? Pas moi ! Qui n’a jamais décidé d’un fonctionnement sans en débattre réellement avec le groupe d’enfants ? Réellement, c’est à dire en risquant soi-même d’être en désaccord avec la décision prise. Encore une fois, pas moi ! Il ne s’agit pas, pour autant, de se jeter la pierre. Nous sommes conditionnés ainsi.

Quelque soient les méthodes utilisées, quelque soient les pédagogies dont nous nous revendiquons, nous croyons que l’autorité est détenue par l’adulte et que l’enfant doit l’écouter, voire lui obéir. Or obéir signifie : « Se soumettre à quelqu’un, à une autorité »1. C’est ce que l’on nous apprend enfant et c’est ce que nous avons tendance à reproduire face aux enfants et même, parfois, face à certains adultes.

Désacraliser l’adulte

Cette soumission est d’autant plus visible lorsqu’elle est se fait via l’utilisation de notes. Quelque soit notre âge, quelque soit notre métier, c’est généralement elle qui est utilisée pour évaluer, pour juger notre travail. Les notes sont utilisées – consciemment ou non – comme un outil de domination et non comme un outil de valorisation des compétences. Qui, adulte face à un employeur ou face à quelqu’un détenant « l’Autorité », n’a jamais ressenti cette impression d’être infantilisé voire, parfois, de se retrouver comme un enfant face à son professeur mécontent ? Évitons de reproduire ce mode de relation !

En pédagogie Freinet, l’éducateur – au sens large – travaille directement avec l’enfant : il le rend acteur de ses apprentissages. Je partage cette manière de faire et l’utilise en permanence, notamment pour les ateliers sciences que je mène2. Mais je me rends compte que c’est encore une fois l’adulte qui propose le sujet ou le thème et qui oriente l’enfant plus qu’il ne l’accompagne.

Ne pourrions-nous donc pas aller plus loin et partir véritablement de choix d’enfant dans lequel nous ne détenons que peu, voire aucune, compétence ? Accepter ainsi de ne pas savoir et, de cette manière « désacraliser » l’adulte – pour reprendre l’expression d’un instituteur Freinet – afin de construire réellement avec l’enfant ? En un mot, tâtonner avec lui.

Faire autorité

Se lancer dans cette réflexion amène logiquement à se questionner sur la place de l’éducateur. Ce dernier peut être, comme les autres enfants, force de proposition et inviter le groupe à de nouvelles découvertes (matières, activités, etc.) Mais, ce qui pourrait être intéressant, c’est de se placer tel un coordinateur, à savoir : faciliter les échanges et assurer un cadre sécurisant, fédérer le groupe autour d’un projet et veiller à ce que ce projet soit conduit.

Nous pourrions même imaginer des ateliers ou des cours dans lesquels l’enfant est libre de participer, ou non. La règle étant, comme dans les ateliers de rue, que ceux qui ne veulent pas participer ne doivent pas empêcher ni même gêner ceux qui le veulent.

« L’enfant doit pouvoir évoluer de façon désordonnée dans un cadre ordonné. »
Je ne sais plus où j’ai entendu cette phrase mais je trouve qu’elle résume parfaitement ma pensée. Nous nous devons de garantir un cadre bienveillant et sécurisant à l’enfant dans lequel il puisse évoluer sereinement. Cependant il doit pouvoir y faire ses propres découvertes, ses propres expériences et s’approprier des savoirs. L’enfant pourra ainsi faire lui aussi autorité. Une autorité légitime due à ses compétences qu’il aura acquis et développé au cours de ses années d’apprentissage. Et nous, adulte, nous l’aurons accompagné et nous lui aurons donné la possibilité de conquérir le pouvoir sur sa propre vie3.
Faire co-autorité
par Khaled Gaiji, Animateur au sein de l’association Dédale

Faire autorité, est-il suffisant à lui seul ? La pédagogie Freinet n’est pas seulement la notion de l’autorité, mais de la “co-autorité”. Ce qui est le plus primordial dans une démocratie est que le pouvoir (de discussion, de décision et donc d’autorité) soit celui de celui du peuple (et donc discuté et décidé “directement” par lui). Ce qui est donc le point primordial est que les décisions soient prises collectivement par l’assemblé sans domination (ou en la réduisant le plus possible). Les enfants discutent et décident eux même collectivement de ce qu’il y a à faire.

La notion d’autorité à elle seul nous amène à réfléchir le réel dans une optique individualiste. C’est ce qui amène l’imaginaire dominant à rejeter cette notion pour l’associer à la domination et aux régimes totalitaires. Alors que la “co-autorité” amène à penser l’ensemble des personnes comme étant ceux qui tracent le cour leur propre vie. C’est cette voie qui les surement amènerait vers leur émancipation.

En laissant une grande place à l’expression, la pédagogie Freinet ne tombe dans le piège aliénant de la violence collective qui ferait taire la “personne”. En laissant, une grande liberté à l’expression, celle-ci amène, un système de co-auteurs et non pas une domination collective. Domination qui tue les personnes au profil de l’aliénation au groupe dominant les individus dominés.

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