A l’image, des lycéens blancs, minces, sur deux jambes qui se tiennent droit, les pieds écartés comme il faut pour être ancrés sur le sol, les mains croisées devant, tou·tes avec le même t-shirt et le même masque, une classe qui se tient sage. Les murs sont propres et colorés. Devant, un homme s’agite, micro à la main, dépense une salive de dingue, tant et si bien qu’il en vient à étouffer dans son masque, l’enlève, éternue dans son poing et en réclame un autre, « plus léger ». Accident dans le cadre : le hors champ surgit sous la forme d’un homme en uniforme qui lui tend l’offrande.
Que dit cet homme ? Qu’il faut repérer des élèves (à la fin de la troisième). Repérer, comme le font les militaires, les policiers, les chasseurs, puis cibler. Ensuite envoyer la cible dans un « internat d’excellence ». Repérer, extraire, interner, pour aller sceller à l’extérieur. Voilà donc le rêve de M Macron, si bien secondé par M. Blanquer.
Une image vient en tête : des prisons dorées, campus à l’américaine sous bulles, posées sur pilotis au-dessus d’une vaste terre gaste, reliées entre elles par des tubes translucides et hermétiques. Plus bas se débattent comme ils peuvent ceux qui ne sont rien, les “incasables” selon la belle formule de Rachid Zerouki (voir notre note de lecture). Ce n’est pas un cauchemar, nul besoin de nous réveiller, cette dystopie s’installe peu à peu.
On se prend à rêver, par contre, d’externats sans seuils, sans portes flanquées de guérites, qui s’organise pour l’émancipation de tous. Ce n’est pas par hasard que les mouvements d’éducation populaire des années 60 et 70, et les instituteurs qui en étaient le fer de lance ont développé en même temps des pédagogies non descendants, non sélectives et des pratiques de classe démocratiques. Faire une école qui soit à la fois sensible à ce qui surgit (compter les dizaines et les centaines en rassemblant dans des sacs les tiges de marronniers, faire écrire des poèmes en s’asseyant par terre devant le lycée, rendre visite à un boulanger, tout est pédagogie) et à ce qui frotte : le conseil de classe – version Freinet – pour discuter des discriminations de genre ou de la mise en place des règles de vie commune, les élèves médiateurs pour introduire de la parole dans les conflits). Une école enfin à laquelle on demande de produire non pas de l’évaluation mais du sens et de l’expérience. Parce que, comme le disait si bien Philippe Perrenoud : « A l’école, avant d’évaluer, de certifier, de sélectionner, on est censé enseigner. » 1
Mathieu Billière
Philippe Perrenoud, « Culture scolaire, culture élitaire ? », La Pédagogie des différences, Paris, ESF, 1996.