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Les Chroniques de Véronique Decker (12) : Yvette

Tout au long de l’été, nous vous proposons de suivre les chroniques de Véronique Decker “Enseigner dans la 93”

Yvette

Yvette fut une de mes meilleures mères d’élèves. D’abord elle avait cinq enfants, ce qui fait qu’elle était parent d’élève dans toutes les classes de l’école. Puis elle était toujours disponible, toujours de bonne humeur, alors que tout de même elle vivait dans un taudis, avec une seule pièce, que son mari était en prison et qu’elle allait accoucher du 6 ème. Elle adorait les classes vertes, les sorties scolaires, les musées, les parcs. Toujours partante pour aller plus loin que le bout du quartier. Ses enfants n’étaient pas tous faciles mais elle était adorable.
L’assistante sociale lui avait dit qu’elle ne devait pas s’inquiéter, pour la naissance de la dernière. Elle prendrait en charge les 5 premiers pendant le temps de la maternité. Mais voilà, Yvette fait un malaise un samedi dans la nuit, l’assistante sociale était évidemment injoignable à son boulot le WE, résultat, le commissariat de la ville s’est retrouvé avec les 5 lapins sur les bras et ne sachant qu’en faire. Le juge des enfants n’a pas trouvé de famille d’accueil pour une telle quantité d’un coup et les petits ont passé le WE en garde à vue. Branle bas de combat à l’école le lundi matin lorsque nous apprennons la nouvelle : mais pourquoi Yvette ne nous a pas appelées ? Nous aurions pris les enfants une semaine et tout aurait été plus simple ? Sans doute n’a-t-elle pas osé. Mais voilà, impossible de récupérer les petits : il faut que la mère sorte de l’hôpital. Je vais la chercher, elle monte dans ma voiture, les contractions ont déjà commencé et le palais de justice de Bobigny est un R + 2 sur dalle. Nous montons pas à pas, la gréffière la reçoit et lui fait signer les papiers. Je la redépose vite pour finir son accouchement à l’hôpital et chaque maîtresse va cherche son petit d’Yvette pour la semaine. Ouf ! à peine le temps de se remettre, qu’Yvette est expulsée de son logement. La directrice intervient, part voir la mairie, les associations, les élus : rien à faire. C’est trop tard, le jugement est passé. Yvette n’a pas payé les traites du taudis dont elle est propriétaire.
Comment faire ? La directrice, qui habite seule avec ses quatre enfants déjà adolescents trouve la bonne idée. Elle ira dormir dehors avec ses enfants et laissera son logement à Yvette. Les enfants de la directrice trouvent l’idée marrante, mais la mairie bien moins…Finalement, avec cette bonne idée, une solution est trouvée dans la journée. Enseigner, ce n’est pas seulement transmettre des connaissances, c’est aussi partager des valeurs morales, comme la solidarité, l’amitié, et c’est cela qui rend le métier à la fois surprenant et beau.

0 Comments

  1. François Spinner

    Les Chroniques de Véronique Decker (12) : Yvette
    Les larmes aux yeux me sont venues sans y prendre garde… Merci Véronique pour ces chroniques solidaires !

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